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Décrochage scolaire: du contrôle social aux logiques de solidarité entre les différents intervenants

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par Antonio Rizzo
Université catholique de Louvain  - Master en sciences de l'éducation 2010
  

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3 Résultats et interprétation des différentes logiques de solidarité des différents acteurs

Logique de solidarité conditionnelle :

L'acteur scolaire, l'école technique subventionnée

Une augmentation de la problématique du décrochage scolaire sur le territoire louvièrois ; un besoin de travailler avec les autres services sociaux pour ramener le jeune à l'école. Face à ce constat, l'école participe à la CAS pour former un groupe de professionnels afin de s'outiller, de s'informer sur les services existants et les nouveaux décrets.

Constat sur le décrochage scolaire (DS) : l'éducateur142 a conscience de l'importance du DS. Il relève

que la problématique est de plus en plus inquiétante et insuffisamment prise en main par les autorités de l'école. CPMS143 : l'AS relève une augmentation inquiétante du DS tant dans le secondaire que le primaire. Il estime que le CPMS n'est pas assez compétent pour assurer une réponse adaptée dans une situation de plus en plus complexe.

L'acteur issu du milieu associatif, l'AMO Transit

Forme un groupe de professionnels pour la gestion du décrochage scolaire.

Constat sur le DS : la problématique est de plus en plus difficile à gérer (problèmes de comportement

des élèves, renvois dans différentes écoles). Il y a lieu de réfléchir sur le phénomène144.

L'acteur judiciaire, le Service Jeunesse et Famille

Sentiment d'appartenir à un groupe de travail qui oeuvre dans la même direction. Face au DS, « on est tous dans le même bateau. »

Constat sur le DS : le travail à accomplir est colossal : les jeunes sont de plus en plus déstructurés, le

service se sent limité et impuissant car tout le monde est en détresse145. Il est indispensable de travailler en collaboration (il y a du « bon boulot » avec les différents intervenants).

L'acteur communal, l'Antenne Accrochage Scolaire du PSSP

La CAS (lieu de centralisation de toutes les informations et des actions où chacun apporte sa pierre à l'édifice contre le décrochage scolaire) regroupe des acteurs sociaux qui sont régulièrement présents. Constat sur le DS: la problématique est assez importante sur la zone de La Louvière, la situation est

complexe car elle relève de différents facteurs avec, également, des conséquences diverses : isolement (phobie scolaire, victime de racket, dépression, tentative de suicide) ; mauvaise orientation scolaire, problèmes de consommation d'alcool et de drogue ; glissement vers une certaine délinquance (racket, deal) 146.

Commentaires :

Les acteurs locaux se rencontrent à raison de trois à quatre fois par an dans le cadre de réunions de concertation gérées par l'acteur communal. Ils font partie d'une même région avec ses caractéristiques147 et d'un même groupe de professionnels face à un problème commun : la complexité de gérer le décrochage scolaire et d'apporter des réponses adaptées. Par conséquent, les acteurs se rencontrent avec des demandes communes : trouver des solutions et, pour l'acteur issu du milieu associatif, réfléchir sur le phénomène. Selon nous, cette solidarité conditionnelle est le socle des autres logiques de solidarité entre les opérateurs.

142Voir annexe 2, interview de l'éducateur, L. 11-13 & 27-30.

143Voir annexe 3, p.8 : L. 11-21.

144Voir annexe 2, interview de l'assistant social, L. 262-267.

145Voir interview de l'agent de quartier, L. 210-219.

146Voir interview de l'assistant social, L. 14-23.

147Pour rappel, nous invitons nos lecteurs à consulter le second chapitre de notre travail relatif à la présentation de la Ville de La Louvière et du décrochage scolaire sur ce territoire (p.30-34).

Logique de solidarité contractuelle :

L'acteur scolaire, l'école technique subventionnée

Ecole : Intérêt de faire revenir le jeune au sein de l'école (collaboration ave le CPMS, l'AAS

pour des visites au domicile du jeune, avec la Police pour des échanges d'informations), si le jeune est en danger, l'école relaie vers le service de la Protection à la Jeunesse. Création d'un sas d'écoute en interne pour prévenir le décrochage scolaire (collaboration avec le CPMS et les enseignants).

Participation à la CAS : pour s'outiller ; adhésion au projet Pass scolaire ; obtenir des

informations pour faciliter le travail et aborder au mieux le décrochage scolaire.

CPMS : Etant donné les limites de collaboration de la DGEO et le SAJ, l'AS favorise les

acteurs locaux : l'AMO pour préparer le retour du jeune à l'école dans les meilleures conditions ; l'AAS pour favoriser l'écoute et le soutien des jeunes dans un endroit «neutre». Lorsque la situation du jeune devient inquiétante, il existe une collaboration avec la Police et le SAJ (échanges d'informations).

Participation à la CAS : découvrir de nouveaux acteurs et établir d'éventuels partenariats

(participation à la conception du Pass scolaire ; collaboration avec certains membres (CPMS, AAS) de la CAS pour la création d'un outil pédagogique destiné aux écoles.).

L'acteur issu du milieu associatif, l'AMO Transit

Collaboration avec le CPMS dans certains dossiers (préparer le retour du jeune à l'école) ; collaboration avec les éducateurs de rue de l'Action de Prévention et de Citoyenneté (ressources humaines, financières et logistiques importantes) pour des activités intersportives, collaboration avec la DGEO afin de réintégrer le jeune dans son école. Participation à la Commission de l'Aide à la Jeunesse : création de campagnes de prévention (folders, affiches) et demande de financer les activités des jeunes.

Participation à la CAS : avoir une vision plus complète du DS ; identifier les acteurs locaux

qui travaillent avec la jeunesse en mettant des noms sur des visages (identifier leurs compétences, leur fonctionnement, leurs réalités de terrain) pour favoriser le partenariat ; défendre des idées qui peuvent s'étendre sur le territoire ; collaboration avec certains membres (CPMS, AAS) de la CAS pour la création d'un outil pédagogique destiné aux écoles.

L'acteur judiciaire, le Service Jeunesse et Famille

Le partenariat ave les autres acteurs (les équipes mobiles, la DGEO) vise à détecter les jeunes susceptibles de basculer dans la délinquance ; orientation vers les services sociaux pour insérer le jeune (l'AAS, les écoles et l'AMO) ; répondre aux demandes du Procureur du Roi (Juge de la Jeunesse) ; intervention dans les écoles pour les élèves considérés comme ingérables.

Participation à la CAS : participation au projet Pass scolaire : contrôle en rue des jeunes et

collaboration avec les acteurs scolaire et communal dans les échanges d'informations (fréquentation scolaire du jeune, comportement et résultats scolaires).

L'acteur communal, l'Antenne Accrochage Scolaire du PSSP

Collaboration (échanges d'informations et complémentarité dans l'action sociale visant la réinsertion du jeune dans une école) avec des partenaires incontournables, le Parquet de Mons (ave les criminologues) et la Police car se sont eux qui contrôlent les jeunes et reçoivent les plaintes : collaboration avec le CPMS et les écoles (informations sur le suivi des dossiers) ; dans le cadre de projet pédagogique, l'AAS échange des informations avec l'AMO.

Gestion de la CAS : Réunit les acteurs traitant le DS, diffuse des informations sur les

nouveaux décrets et présente des acteurs sociaux en vue d'établir des collaborations éventuelles (répond à ses objectifs stratégiques).

Pour répondre à leurs missions, les différents acteurs collaborent, échangent des informations ou participent à des projets bien spécifiques avec les organisations qui répondent au mieux à leurs intérêts. En ce qui concerne les collaborations avec les acteurs en général, nous avons soulevé que les différents acteurs fonctionnent sur des logiques contractuelles. Ce qui distingue les acteurs dans notre analyse, ce sont leurs missions, leurs limites, leurs perceptions des autres acteurs qui traitent le décrochage scolaire. Chacun va privilégier des services qui répondent au mieux à ses intérêts, ses objectifs et son idéologie du travail social.

Les intérêts des différents acteurs qui participent à la CAS sont sensiblement communs : l'éducateur scolaire y cherche des outils, des informations (décrets, nouvelles lois), des contacts avec d'autres organisations pour aborder au mieux le décrochage scolaire ; le CPMS y participe pour établir des partenariats et s'insérer dans des projets qui rencontrent au mieux ses objectifs (création d'un outil pédagogique destiné au école) ; l'AMO adhère également à la création de l'outil pédagogique dans le cadre d'une sous-commission ; elle participe à la CAS pour identifier les compétences et les fonctionnements des autres acteurs ainsi, pour obtenir une vision globale de la problématique abordée, défendre ses idées afin de les étendre sur le territoire louvièrois ; le SJF y participe pour favoriser les collaborations avec les acteurs scolaires et adhère au Pass scolaire pour obtenir davantage d'informations sur les élèves ; en gérant la CAS, l'AAS répond à ses objectifs en établissant des contacts entre les différents acteurs et en élaborant des projets visant à diminuer le décrochage scolaire. Enfin, précisons que l'AMO n'adhère pas au projet du Pass scolaire faisant office de contrôle social. L'acteur issu du milieu associatif s'inscrit davantage dans l'optique des Droits des jeunes et travaille à la demande de son public cible. En revanche, le Pass scolaire est utilisé par les acteurs scolaire, communal148 et judiciaire qui axent leur travail sur le binôme préventionrépression pour accrocher le jeune en difficulté.

148Il existe une ambigüité quant au rôle de l'acteur communal. En effet, l'AAS ne sanctionne pas «directement» l'élève. Le service utilise des moyens de pression (la loi répressive) pour responsabiliser le jeune. En collaborant et en faisant des retours sur certains dossiers (le jeune étant informé de la démarche) aux acteurs judiciaires (le SJF et les criminologues du Parquet de Mons), l'élève, en fonction de ses démarches personnelles et des efforts fournis pour intégrer une école, sera ou ne sera pas réprimandé ou sanctionné (est-il en danger ou dangereux pour la société ? ) par les acteurs judiciaires.

Logique de solidarité fusionnelle :

L'acteur scolaire, l'école technique subventionnée

Collaboration privilégiée avec l'AAS et le CPMS axée sur l'efficacité (l'intervention rapide est capitale pour accrocher l'élève) ; le professionnalisme (importance du retour d'information, répondre à la demande) ; la motivation et l'investissement des partenaires. Dans le cadre de la CAS, les membres se centrent sur l'épanouissement du jeune ; sur la conviction que pour combattre le DS, les participants doivent aller dans le même sens (sans cette conviction, il ne sert à rien d'y participer).

L'acteur issu du milieu associatif, l'AMO Transit

La collaboration est une valeur incontournable, de même que l'envie de réaliser un projet et de s'impliquer.

L'acteur judiciaire, le Service Jeunesse et Famille

Le besoin de travailler en partenariat ; c'est la cohésion qui permettra de faire face au décrochage scolaire ; il faut travailler dans l'intérêt du jeune. Le partenaire privilégié est l'AAS parce qu'il garde son indépendance et son professionnalisme par rapport au réseau de l'accrochage scolaire.

L'acteur communal, l'Antenne Accrochage Scolaire du PSSP

L'envie de travailler en collaboration, de se connaître et d'élaborer des méthodes qui visent l'efficacité par la complémentarité avec les intervenants sociaux (cela évite de se cacher derrière le secret professionnel).

Commentaires :

Nous pouvons noter que la CAS génère des logiques de solidarité fusionnelle : les acteurs soulèvent, en effet, des valeurs communes comme la collaboration (influencer les missions de chacun), la complémentarité (tant au niveau des suivis des jeunes que de la mise en place des projets), l'efficacité, l'envie de faire quelque chose avec des partenaires sociaux pour aider le jeune et les familles en difficulté. L'un des objectifs149 communs est donc le bien-être du jeune. Les acteurs ont conscience qu'il faut travailler avec les différents services et se réunir autour d'une table pour traiter la problématique. Dès lors, selon les acteurs, les réunions de concertation sont capitales pour atteindre ces objectifs. Ces logiques de solidarité fusionnelle se fondent sur des valeurs communes (le bien-être du jeune, etc.) et sur des croyances telles que «l'union fait la force». Par ailleurs, notons que l'acteur scolaire est le partenaire privilégié des acteurs scolaire et judiciaire : ces derniers mettent en évidence le professionnalisme et l'efficacité de l'AAS. En revanche, l'AMO est l'acteur le plus «marginalisé» dans les collaborations parce que, d'une part, il ne s'inscrit pas dans relations qui visent le contrôle social du jeune et, d'autre part, il est mal vu par les écoles d'interpeller les Droits des Jeunes.

149Un autre objectif commun aux acteurs communal, scolaire et judiciaire est de contrôler les jeunes à l'aide du Pass scolaire. Cet outil, selon le CPMS consiste à concevoir des normes communes avec les différents acteurs qui adhèrent au projet (annexe 3, p. 19).

Logique de solidarité affective :

L'acteur scolaire, l'école technique subventionnée

La CAS : lieu où l'on fait partie d'un groupe ; un lieu décontracté où l'on rigole ; impression de se connaître de longue date ; crée des liens (noue des partenariats) et favorise le travail avec les membres en présence.

L'acteur issu du milieu associatif, l'AMO Transit

Aime collaborer avec les personnes connues car cela permet de travailler dans une certaine transparence (confiance). Exemple : relation privilégiée, construite avec le temps, avec l'éducateur de l'AAS.

L'acteur judiciaire, le Service Jeunesse et Famille

La CAS permet de mieux se connaître et d'améliorer le travail social entre les différents membres et crée des liens affectifs et des affinités : déstygmatise l'image de la Police (répression et prévention) et favorise les collaborations avec certains acteurs scolaires.

L'acteur communal, l'Antenne Accrochage Scolaire du PSSP

A force de se fréquenter, les acteurs se connaissent de longue date ; création des liens privilégiés favorisant les collaborations avec les intervenants sociaux (échanges de dossiers et d'informations) ; grâce à ces liens, on ne se cache plus derrière le secret professionnel et les actions sont plus ciblées (optimalisant le suivi socio-éducatif).

Commentaires :

Nous constatons que la CAS est un lieu qui favorise les rencontres entre les acteurs du champ de l'accrochage scolaire. La CAS permet de réunir ces personnes dans un contexte «convivial» et de créer ainsi des affinités, des liens privilégiés se construisant au fil du temps. Selon certains acteurs, ces liens optimalisent les collaborations dans les suivis socio-éducatifs des jeunes en difficultés.

Ce type de solidarité a intensifié les relations entre l'AMO et les CPMS ; a amélioré l'image de la Police auprès des intervenants sociaux ; a favorisé l'échange d'informations sur certains dossiers entre les acteurs communal, scolaire et judiciaire et, selon l'AAS, a permis de ne plus se cacher derrière le secret professionnel150.

150Le secret professionnel n'a pas été abordé dans notre étude. Cette question vaudrait d'être approfondie au regard des logiques de solidarité.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon