B. Les rapports entre l'Administration de mission et les
institutions administratives connexes
Nous avons choisi de comparer l'Administration de mission avec
l'Administration de gestion, l'établissement public et l'Autorité
Administrative Indépendante, du fait que ces derniers lui sont
très proches.
1. Les rapports avec l'Administration de
gestion
E. PISANI, à qui on doit la découverte de la
notion d'Administration de mission, a initié l'habitude de
définir cette dernière en l'opposant à l'Administration
traditionnelle de gestion. Celle-ci se présente, en effet, comme
assurant le fonctionnement des services publics dans le cadre des règles
de droit administratif et financier classiques.
Par contre, l'Administration de mission est chargée de
monter un projet d'intérêt général et de coordonner
son exécution en bénéficiant d'un régime juridique
plus souple, dérogatoire du droit commun pour l'efficacité de son
action.
Il faut reconnaître, cependant, que cette opposition est
tempérée. En effet, l'Administration traditionnelle, dans sa
tâche principale de gestion, recourt nécessairement à la
coordination. De même, l'Administration de mission, dans son rôle
principal de coordination, recourt à la gestion pour éviter
d'agir dans l'abstrait et de devenir un fantôme.
2. Les rapports avec l'établissement
public
L'établissement public est toute personne publique
autre que les collectivités territoriales, soumise au principe de la
spécialité et qui assure la gestion d'un service public ou d'une
activité incombant à l'Administration suivant les règles
variables en fonction de la nature de cette activité, mais comptant un
minimum de sujétions et de prérogatives de droit
public36.
L'Administration de mission présente beaucoup de
similitudes avec l'établissement public. Les deux institutions sont en
fait toutes des personnes publiques chargées d'un service public. Et
puis, tous les deux procèdent de la répartition fonctionnelle des
missions de l'Etat. De même, elles ont en commun la
spécialité de leurs objets respectifs, contrairement aux autres
personnes publiques qui ont des objets généraux consistant en la
satisfaction des besoins
36 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème
éd., Paris, P.U.F., 2000, pp. 349 --350
collectifs de la population. La spécialité de
l'objet envisagée ici en ce qui concerne l'Administration de mission est
celle qui est définie par rapport à l'objectif visé et non
par rapport au temps. L'établissement public se rapproche
particulièrement de l'administration de mission
décentralisée qui, comme lui, est dotée de la
personnalité morale mais soumise au contrôle de l'autorité
de tutelle. D'ailleurs, les administrations de mission
décentralisées sont assimilables aux établissements
publics dans la mesure où elles font partie de ce que l'on appelle
« des personnes morales de droit public innomées [qui] se sont
ajoutées aux établissements publics traditionnels
»37.
S'agissant des règles juridiques applicables,
l'Administration de mission s'éloigne un peu de l'ancien
établissement public à caractère industriel et commercial
(E.P.I.C.), devenu aujourd'hui la société publique, dont le
fonctionnement est régi par le droit privé pour se rapprocher
davantage de l'établissement public à caractère
administratif (E.P.A.) soumis au régime du droit public. Les deux
institutions administratives se distinguent également par leur objet et
leur organisation. L'Administration de mission a pour objet de concevoir, de
mettre en oeuvre et coordonner une politique gouvernementale
déterminée.
L'établissement public lui, a pour objet la gestion
d'un service public économique, social, scientifique ou d'enseignement.
L'Administration de mission a un organe de décision à
caractère collégial et un secrétariat exécutif ou
une autre structure administrative qui lui sert de support technique.
L'établissement public est, de son côté, doté d'un
Conseil d'administration et d'un organe de direction. Il faut noter enfin que
les établissements publics ont un cadre légal
général38 alors que les administrations de mission
n'en ont pas encore.
3. Les rapports avef1lip 'RoriRé1p GP HARIERIM-1
Indépendante (A.A.I.)
Les Autorités Administratives Indépendantes sont
des instances de régulation dont la création est soustraite aux
influences politiques comme aux intérêts économiques et
professionnels. Elles se situent toujours en dehors de la hiérarchie
pyramidale de l'Administration. Elles sont qualifiées de «
nouvelles magistratures » car elles rappellent les organismes
juridictionnels, et leurs
37 R. GUILLIEN et J. VINCENT, op. cit., p.
286
38 Tous les établissements publics sont
soumis au régime du D.-L. n°1/23 du 26 juillet 1988, B.O.B.
n°10/88 pp.220-226, mais les anciens E.P.I.C. sont
dorénavant régis par la loi n°1/002 du 06
mars1996 portant Code des Sociétés privées et publiques
B.O.B. n°3/96 pp.95-141
membres sont des « sages »39. La
formule d'A. A.I. et celle d'Administration de mission ont tellement de
similitudes dans leurs modalités d'application qu'elles engendrent une
crise d'identité sur le plan institutionnel.
a. La crise d'identité des institutions
administratives nouvelles
Les A.A.I. et les Administrations de mission présentent
tellement de ressemblances qu'à un certain moment, on peut s'imaginer
que toute démarche de différenciation est vouée à
l'échec. L'insuffisance de critères précis de distinction
peut entraîner une controverse de classification de certains organismes
administratifs dans l'une ou l'autre catégorie juridique. Ainsi, en
France, Jean DONNEDIEU de VABRES range la Commission des Opérations de
Bourse (C.O.B.) parmi les administrations de mission40 alors que
d'autres auteurs la classent parmi les A.A.I.41
Au Burundi, le législateur ne commence à se
prononcer sur la nature juridique des institutions administratives nouvelles
que très récemment à l'occasion de la loi n°1/18 du
25 septembre 2007 portant missions, composition, organisation et fonctionnement
du Conseil National de la Communication
(C .N .C.)42. Il ressort de l'article 1
alinéa 2 de cette loi que le C.N.C. est une A.A.I., mais la Constitution
du 18 mars 2005 le classe parmi les conseils43.
Mais, d'autres institutions administratives telles que la
C.E.N.I., le Comité de pilotage tripartite en charge des consultations
nationales sur la Justice Transitionnelle au Burundi, les commissions
tripartites de rapatriement, les commissions de facilitation ou de mise en
application des accords de cessez-lefeu, le Conseil Supérieur de la
Magistrature, etc. suscitent une question de classification juridique qui n'est
pas résolue de manière nette.
Le problème est d'autant plus posé que les
missions de régulation et de coordination s'imbriquent dans certaines de
ces structures. La recherche de solution à ce problème nous
conduit à deux hypothèses :
39 G. DUPUIS et alii, 8ème éd., Droit
administratif, Paris, Armand Colin, p.192
40 Voir « La C.O.B., une administration de mission »,
in Revue Administrative, 1980, p.237 cité par C. DEBBASCH.,
op. cit., p.446
41 G. DUPUIS et alii, op. cit., p.187
42 Voir B.O.B. n°9/2007, pp. 1599-1603
43 Les dispositions de la Constitution relatives au C.N.C.
figurent à son Titre XII intitulé « Des conseils nationaux
», (articles 268-288)
- ou bien A.A.I. et Administration de mission
sont de nature différente mais la combinaison dans leur emploi peut
conduire à la création de structures administratives hybrides ou
mixtes ;
- ou bien la différence qui existe entre
A.A.I. et Administration de mission n'est pas de nature mais de
degré44.
b. Essai de distinction
On peut trouver, nonobstant la difficulté de l'exercice,
des traits spécifiques permettant de distinguer A.A.I. et Administration
de mission.
Il y a d'abord l'absence de la mobilité chez les A.A.I.
Ensuite, celles-ci fonctionnent à la manière plus d'une
juridiction que d'une administration. En d'autres termes, les A.A.I. se
réfèrent dans leur fonctionnement aux règles juridiques
relevant plus du droit judiciaire que du droit administratif. C'est notamment
les règles relatives à la garantie d'impartialité et
d'indépendance, aux pouvoirs d'enquête plus étendus, aux
délibérations ou à la prise de décision, etc.
En outre, certaines administrations de mission sont
présidées par les autorités de l'Administration centrale
ou bien soumises au contrôle tutélaire de ces dernières,
mais cela n'est jamais le cas chez les A.A.I. vis-à-vis de toutes les
autorités politiques et administratives de l'Etat. Contrairement aux
administrations de mission dont la marge d'autonomie peut être
réduite, les A .A.I. ne peuvent pas voir la leur diminuée sans
que cela ne soit dommageable à l'efficacité de leur action. Une A
.A.I. peut être incarnée par une seule personnalité
(l'Ombudsman par exemple) mais une administration de mission est toujours
dirigée par un collège de membres.
Enfin, les deux types d'administration diffèrent, au
moins en théorie, dans leurs méthodes et dans leurs
finalités. Les administrations de mission procèdent d'une large
coordination des intervenants, dans la conception et la mise en oeuvre d'une
politique gouvernementale complexe. Par contre, les A .A.I. procèdent
d'une large participation des opérateurs dans un domaine précis
d'activités pour que la régulation de ce dernier se
réalise dans la plus grande indépendance et la plus grande
impartialité.
La notion d'Administration de mission est comprise davantage
lorsqu'elle est complétée par l'étude de son fondement
socio-politique et juridique.
44 Par exemple le degré d'indépendance, de
régulation et de coordination
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