Chap2 : LES DIFFERENTES FORMES DE
RESPONSABILITE MEDICALE
Lorsqu'on parle de responsabilité, il importe de savoir
quelle responsabilité est concernée il peut s'agir de la
responsabilité source de sanction et de la responsabilité source
d'indemnisation. La première consiste à sanctionner des
comportements que la société réprouve, la seconde consiste
à faire indemniser la victime d'un dommage causé par un tiers.
Aujourd'hui la distinction est nette, mais pendant très longtemps ces
deux types de responsabilité ont été confondus, c'est
pourquoi nous examinerons successivement la responsabilité
médicale source d'indemnisation (Sect1) pour voir
ensuite la responsabilité médicale source de sanction
(Sect2).
Sect1 : LA RESPONSABILITE MEDICALE SOURCE
D'INDEMNISATION
La responsabilité médicale peut avoir comme
source l'indemnisation et sa mise en oeuvre se justifie par la saisine de la
justice civile(Pag1) ou celle
administrative(Pag2).
Pag1 : La mise en oeuvre de la responsabilité
civile
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La notion de faute médicale en droit de la
responsabilité
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Le patient qui entame une procédure pour rechercher la
responsabilité civile du médecin à un choix à
opérer (si une transaction amiable n'a pas été
recherchée ou obtenue). Le délai pour intenter une action est,
depuis la loi du 4 mars 2002, de dix ans à compter de la date de
consolidation des dommages (Art. L. 1142- 28). La personne qui demande une
indemnisation doit introduire sa demande auprès du tribunal, au moyen
d'un avocat s'il s'agit du TGI, au Sénégal c'est le tribunal
régional qui est compétent en première instance. Cette
assignation au tribunal est communiquée par voie d'huissier au praticien
mis en cause. Celui-ci ne peut donc l'ignorer. Il peut s'agir soit d'une
procédure « au fond », soit d'une procédure de «
référé » permettant d'ordonner immédiatement
les mesures nécessaires, notamment les mesures d'instruction
(désignation d'experts). Dans ce dernier cadre, le tribunal d'instance
ou de grande instance ne statuera que sur ces mesures d'urgence, l'analyse au
fond du conflit intervenant dans un second temps. Cette procédure est la
plus fréquente et doit retenir toute l'attention du praticien dès
ce stade. Qu'il s'agisse d'un référé ou non, la
procédure est «contradictoire ». C'est-à-dire que le
demandeur (le patient ou ses ayants droit), comme le défendeur (le
médecin libéral ou l'établissement privé) doivent
disposer des mêmes documents, qu'ils s'adressent donc mutuellement. Le
secret médical ne peut être opposé au praticien mis en
cause, à condition de limiter les informations divulguées
à ce qui est nécessaire à sa défense. Il revient au
demandeur d'expliquer sur quelle base il se fonde pour réclamer
l'indemnisation. Pour cela, il faut qu'il y ait un préjudice
chiffré. Il faut également qu'il y ait une faute, et un lien de
causalité direct et certain entre la faute et le préjudice. En
dehors du domaine particulier de l'information, la charge de la preuve revient
au demandeur. Généralement la mise en évidence d'une
preuve résulte d'une expertise, dont les frais sont supportés par
le demandeur. En cas de revenus insuffisants, il peut demander à
bénéficier d'une aide juridictionnelle. Le juge désigne le
ou les experts. Le rapport d'expertise est adressé au juge et aux
parties, qui disposent d'un délai pour faire connaître leurs
observations. A partir de tous les éléments fournis par les
parties, le juge décide si les conditions de la responsabilité
sont réunies ou non. En matière d'information, il apprécie
si le médecin apporte la preuve qu'il s'est acquitté de cette
obligation. A défaut, il juge ensuite, si ayant reçu une
information valable, le patient aurait ou non modifié sa
décision. Pour ce qui concerne l'exécution de l'acte, le juge
recherche, généralement dans l'expertise, l'existence d'une faute
et son lien de causalité avec le dommage. Le dommage subi ne peut
qu'etre qu'une perte de chance de n'avoir pu échapper à ce qui
est advenu. Enfin, en
fonction des chefs de préjudice retenus et de leur
appréciation sur la base des justificatifs fournis, le juge
décide du montant de l'indemnisation. Celle-ci compense le
préjudice subi, mais le seul préjudice subi du fait de la perte
de chance. Le montant de l'indemnisation ne couvre que ce préjudice. Il
est à noter que les caisses d'assurance maladie doivent être
appelées au procès, car elles sont admises à poursuivre le
remboursement des prestations mises à leur charge en raison de
l'accident (action subrogatoire); c'était le cas des deux arrêts
précités avec la clinique Casahous où les Assurances
Générales du Sénégalaises ont été
appelées dans la cause. Ces prestations constituent en effet pour le
patient la première réparation des conséquences de
l'accident médical subi; ne pouvant pas être indemnisé deux
fois de son préjudice, s'il choisit de demander réparation
à l'auteur de l'accident médical, l'indemnisation qui
répare l'atteinte à son intégrité physique sera
diminuée des sommes déjà perçues au titre des
prestations de sécurité sociale. Celles-ci constituent souvent la
majeure partie des sommes allouées par le jugement. Une fois le jugement
rendu en première instance, il est possible d'en faire appel. Dans
l'hypothèse oü la solution ne semblerait pas conforme au droit, un
recours est envisageable devant la Cour de Cassation (chambre civile), qui ne
statue pas sur le fond de l'affaire, mais sur la validité juridique du
jugement, au Sénégal c'est la chambre civile de la Cour
Suprême qui est compétente. Les arrêts, qui constituent la
jurisprudence, confirment si la loi a été correctement
appliquée par les juges d'appel ou si elle a été
violée. Dans ce dernier cas, le jugement est cassé et
renvoyé devant une autre cour d'appel, qui rejuge alors sur le fond. Si
la responsabilité du médecin ou de l'établissement
privé est reconnue, il leur est demandé d'assumer l'indemnisation
des conséquences dommageables de l'accident, lesquelles sont prises en
charge au titre du contrat d'assurance (rendu obligatoire par la loi du 4 mars
2002). Au-delà de ces considérations, nous avons la
responsabilité civile, on a aussi la responsabilité
administrative qui est source d'indemnisation.
Pag2 : La responsabilité administrative
Le contentieux administratif est donc différent du
procès civil. Certes, dans les deux cas, on a affaire à des
conflits d'intérets parce qu'une des parties au procès reproche
à l'autre de lui avoir causé un dommage; mais le fait que le
défendeur au procès, soit l'administration modifie la
configuration et du procès et de l'application des règles. Le
jugement des litiges administratifs a quant à lui été
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La notion de faute médicale en droit de la
responsabilité
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conçu comme devant aller de paire avec l'action
d'administrer et, par suite comme devant être inclus dans les
attributions des administrateurs. La justice administrative n'a donc pas
été dissociée de l'administration, c'est ainsi que le
rappelle René Chapus, cette conception procède de la
considération et de la conviction " qu'un juge administratif doit
être, non pas et sans plus un juge spécialisé en
matière administrative mais un juge ayant l'esprit de l'administration,
un juge conscient que ses décisions doivent être complément
de l'action administrative ». En d'autres termes, et pour utiliser une
formule qui sera maintes fois reprises au cours des temps, cette conception
procède de la conception que " statuer en matière de contentieux
administratif, c'est encore administrer ». Au Sénégal nous
avons une unité de juridiction c'est à dire il n'y pas comme en
France la séparation des juridictions administratives et celles
judiciaires, mais cette unité de juridiction n'empêche pas qu'on a
une dualité de contentieux au sein de la même juridiction. Le
fondement de la responsabilité administrative au Sénégal
se trouve dans l'article 142 de la loi 65-51 du 19 juillet 1965 portant code
des obligations de l'administration, cet article dispose: " Les tiers et les
usagers ont droit à la réparation du dommage causé par le
fonctionnement défectueux du service public. Ce fonctionnement
défectueux s'apprécie en tenant compte de la nature du service,
des difficultés qu'il rencontre et des moyens dont il dispose. Les
juridictions administratives sont seules compétentes pour
apprécier la responsabilité des hôpitaux publics du fait
des actes médicaux réalisés au sein du service public. Le
délai pour agir est, comme en matière civile, de dix ans depuis
la loi du 4 mars 2002 (Art. L. 1142- 28). L'usager du service public
hospitalier qui demande une indemnisation doit adresser une requête
gracieuse au directeur de l'hôpital. Si celui-ci refuse ou ne
répond pas dans un délai de deux mois, la personne peut saisir le
tribunal administratif compétent. La procédure est
également contradictoire. Il existe une possibilité de
référer. La grande différence avec la
responsabilité civile est que le praticien n'est pas mis en cause, mais
l'hôpital lui-même, puisque le patient n'a pas de relation
juridique avec le médecin. Le chef de service du praticien est
généralement informé de la procédure par son
administration, et c'est souvent ainsi que le praticien apprend qu'une action a
été engagée. Très schématiquement,
l'hôpital peut être déclaré responsable si une faute
médicale ou une faute d'organisation a été reconnue. Une
exception d'importance existe à la couverture indemnitaire par
l'hôpital et son assurance des conséquences financières des
fautes des `agents publics' : la faute détachable de la fonction, et
donc `personnelle', laquelle a été définie de façon
très concise par une très
ancienne mais toujours actuelle jurisprudence du Tribunal des
conflits par la formule suivante : « faute médicale plus que
lourde, d'une gravité exceptionnelle, et inexcusable, ou n'ayant aucun
rapport avec l'activité médicale ». La reconnaissance de
cette faute personnelle entraîne une seconde conséquence lourde
pour l'intéressé, puisqu'elle le prive également de la
protection pénale prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet
1983 en vertu duquel la collectivité publique assure une protection au
fonctionnaire faisant l'objet de poursuites pénales à l'occasion
de faits n'ayant pas le caractère d'une faute personnelle
c'est-à-dire que les frais d'avocats du procès dirigé
contre le médecin ne seront alors pas pris en charge par
l'hôpital... d'oü l'intérêt majeur d'associer à
son assurance de responsabilité civile professionnelle (RCP) une
garantie de défense et protection juridiques. Cette dernière
n'est pas automatiquement associée par tous les assureurs, surtout ceux
qui « cassent les prix » pour attirer le chaland. La formule du
Tribunal des conflits appelle un commentaire pour chacune des deux
hypothèses évoquées par cette définition: la `faute
sans aucun rapport avec l'activité médicale'. Cette
première sorte de faute détachable est souvent illustrée
par quelques cas -hélas réels mais rares- de vols, rixes, abus
sexuels et autres faits volontaires délictueux que nul ne songerait
sérieusement à assimiler à la pratique médicale. Il
n'est sans doute pas nécessaire d'y insister, sauf pour souligner que le
médecin qui s'écarte d'un rôle strictement médical
s'expose à la tentation pour l'administration hospitalière de
mettre ce raisonnement en avant pour tenter d'éviter d'indemniser un
accident, une maladresse ou une erreur. Un directeur hospitalier avait ainsi
temporairement essayé d'adopter cette logique pour se décharger
sur un interne de médecine des conséquences d'un accident de
brancardage survenu à un patient agité en état
d'ébriété, tombé du brancard alors que l'interne de
garde tentait, seul, de le faire passer du lit du scanner vers son brancard
pour le convoyer d'urgence en neurochirurgie. L'hôpital prétendait
qu'il n'entre pas dans les missions de l'interne de brancarder les patients et
qu'en tenant seul cette manoeuvre à risque, l'interne avait fait preuve
d'une imprudence qui l'exposait à une condamnation personnelle pour
coups et blessures involontaires. Ainsi, pour l'administration, la faute
était-elle détachable de la fonction. Dans ce cas particulier,
c'est la pression du syndicat des internes et de celui des Chefs de clinique
qui a convaincu l'administration hospitalière à renoncer à
son raisonnement et à indemniser le patient au titre d'un défaut
d'organisation du service (le manque de brancardiers). La Cour de Cassation a
récemment étoffé cette première série de
fautes
personnelles en jugeant que le salarié qui soumet ses
subordonnés (ou ses collègues) à un harcèlement
moral -fût-ce avec le prétexte de l'intérêt du
service- commet une `faute personnelle', détachable du service. La faute
`médicale d'une gravité exceptionnelle, et inexcusable' : cette
seconde catégorie de fautes personnelles mérite également
quelques développements. Historiquement, était toujours
citée pour l'illustrer la faute de l'équipe chirurgicale et
anesthésique qui avait précipitamment quitté un bloc
opératoire en feu sans avoir tenté d'emmener lors de leur fuite
leur patiente endormie. Plus récemment, le Conseil d'Etat, dans son
arrêt n°213931 du 28 décembre 2001 (déjà
ci-dessus cité), a reconnu la qualification de faute personnelle
détachable du service, pour un médecin chef de service de
radiologie qui avait tardé délibérément à
révéler une erreur médicale commise dans son service: du
fait d'une erreur de flacon, de l'eau souillée avait été
injectée lors d'un scanner, au lieu du produit de contraste, et avait
entraîné un choc septique chez le patient.
Ces deux premiers exemples illustrent des cas extrêmes
où la faute médicale est `non seulement contraire à toutes
les règles professionnelles, mais également aux impératifs
les plus élémentaires de la conscience. Mais les Juges ont
récemment avalisé de nouvelles sortes de fautes médicales
personnelles, bien plus angoissantes car plus proches du quotidien : les refus
de se déplacer lors d'une garde ou les abstentions de faire appel
à un collègue plus spécialisé ou plus
compétent pour solliciter un avis rendu nécessaire et urgent
par l'état du patient. Dans le premier cas, le
raisonnement est d'une simplicité imparable: l'hôpital qui a
payé un praticien pour qu'il se déplace en cas d'appel refuse de
payer pour indemniser le refus de se déplacer, considérant que le
praticien s'est
délibérément abstenu de son
obligation. Dans le second cas, la Cour de Cassation n'a
considéré que l'absence de recours nocturne d'un
anesthésiste à un chirurgien, `face à des
éléments médicaux graves et non expliqués,
constitue une faute qui doit être retenue dès lors qu'elle a
privé incontestablement d'une chance de survie. Dans cet arrêt, il
est par incidemment rappeler qu'une faute pénale n'est pas ipso facto
constitutive d'une faute personnelle détachable de la fonction. En
dehors de ces deux hypothèses classiques, il faut aussi souligner que le
praticien hospitalier qui exerce une activité libérale sort ainsi
du cadre du service public et doit alors personnellement assumer (avec son
assureur) les conséquences financières de ses actes
médicaux ainsi que de ceux qu'il délègue `sous sa
responsabilité et sa
surveillance' aux manipulateurs hospitaliers. Ainsi,
après l'examen de la responsabilité source d'indemnisation, nous
avons aussi la responsabilité source de sanction.
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