Sect2 : La nécessité d'un lien de
causalité entre la faute et le préjudice
La matérialité du lien de causalité est
laissée à l'appréciation souveraine du juge, l'existence
ou l'absence de lien de causalité entre la faute avérée et
le dommage. C'est pourquoi la caractérisation du lien de
causalité est une exigence pour pouvoir engager la responsabilité
du praticien Pag1. Cependant la littérature juridique s'arroge d'un
concept que le juge utilise souvent en cas de causalité doueusePag2
Pag1: La caractérisation du lien de
causalitéSelon les principes classiques de la
responsabilité civile, la victime qui demande
réparation de son préjudice doit non seulement
établir la réalité de son dommage, mais encore faire la
preuve de la faute et du lien de causalité entre la faute et le dommage.
Nous avons vu que l'expertise médicale49 a notamment pour
objet d'apprécier la réalité du dommage corporel subi par
la victime. En matière de responsabilité médicale,
l'expertise a un autre objet : celui d'établir la faute médicale
commise par le médecin auteur du dommage. Or précisément,
sur le terrain de la preuve de la faute, comme sur celui de la
causalité, la
49 Sur l'expertise médicale et
l'appréciation m'dicale du dommage corporel,cf supra,ch.I,n° 20
à83
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jurisprudence tend à favoriser par divers biais
l'action de la victime. En principe la victime doit établir non
seulement la faute du responsable et la réalité du dommage, mais
également le lien de causalité qui les unit. La victime d'un
accident thérapeutique est généralement un malade que l'on
soigne pour une affection préexistante. Si des complications
surviennent, sont-elles liées à l'évolution
endogène de la maladie ou à l'activité
thérapeutique ? Bien plus certaines fautes déontologiques ont des
conséquences assez hypothétiques sur le dommage corporel
lui-même: le diagnostic correctement établi, l'information
thérapeutique complètement délivrée au malade, son
consentement libre et éclairé obtenu quel aurait
été le cours des choses ? Face à ces incertitudes qui
relèvent du caractère particulier de la responsabilité
médicale entraine souvent une causalité douteuse ou
hypothétique. Dans la mesure ou le fait générateur, l'acte
thérapeutique fautif et le dommage sont des données connues d'une
affaire de responsabilité médicale, c'est l'élément
« lien de causalité » qui demeure souvent incertain: il est en
effet parfois difficile de rattacher les complications survenues soit à
l'évolution normale de la maladie, soit à l'acte
thérapeutique, fautif ou non. L'examen des arrêts rendu en
matière de responsabilité médicale montre que
l'appréciation du lien de causalité entre le dommage et la faute
a été toujours problématique, c'est pourquoi on peut
souvent noter dans les arrêts, que la cour de cassation utilise souvent
certaines formules comme « La cour d'appel a caractérisé le
lien de causalité qui unit directement les fautes commises au
préjudice subi » ou bien la cour d'Appel a légalement
justifié sa décision en retenant que la faute... était par
la même la cause de toutes les conséquences dommageables » ou
bien « la cour d'appel en déclarant non établi le lien de
causalité entre faute et préjudice n'a fait qu'user de son
pouvoir souverain d'appréciation » ou encore « la cour d'appel
a pu en déduire qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre
les fautes retenues et le dommage allégué.50En
revanche, chaque fois que les juges du fond n'expliquent pas en quoi la faute
était en relation de cause à effet avec le dommage subi,
l'arrêt encourt la cassation, faute pour les juges d'avoir
qualifié le lien de causalité. Ainsi le fait pour un
médecin de ne pas avertir la clinique dans laquelle est
hospitalisée une patiente pour dépression nerveuse de ses deux
précédentes tentatives de suicide constitue certes une faute ;
toutefois la clinique qui connaissant l'état de santé de la
patiente l'a pour autant mal surveillée. Dans ces conditions les juges
devaient démontrer en quoi ce défaut d'information était
en relation de cause à effet avec la survenance de l'accident, au lieu
de quoi ils
50 Respectivement Cass Civ.1, 16oct.1990, cass.civ1.9
mai1990,cass civ.1,30 oct1985,cass civ.1.7juin 1988
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se sont contentés de l'affirmer51. Comme on
pouvait tout aussi bien imputer le dommage à la faute de la clinique,
l'absence de qualification du lien de causalité a été
censurée. Enfin, si le lien de causalité doit être
établi entre la faute contractuelle et le préjudice
occasionné encore faut il vérifier de quel préjudice il
s'agit. En effet, si les séquelles effectivement subies ne sont pas dues
à la faute, il peut néanmoins exister un lien de causalité
entre la faute et le préjudice. Toutefois dans les années 1965
ont émergé un nouveau concept celui de perte de chance de survie
ou de guérison.
Pag2 L'avènement de la notion de perte de
chance de guérison Cu de survie
La notion de perte de chance a pris naissance dans la
jurisprudence civiliste à la fin du XIX siècles l'on en croit les
historiens du droit par un arrêt de la chambre des requêtes de la
cour de Cassation du 17 juillet 1889(S.1891.1.399). Avait alors
été admise la responsabilité d'un mandataire de justice
ayant privé un justiciable de la possibilité d'exercer un
recours. La chambre civile l'a admis peu après par un arrêt du 23
Mars 1911(DP1914, I.225 note Lalou), en condamnant un avocat ayant
laissé passer le délai de recours et ayant de ce fait
privé son client de gagner son procès. La perte de chance est
dans le droit de la responsabilité un dommage certain qui résulte
d'un empêchement d'accéder à des espoirs précis et
réels. Mais appliquée au domaine médical, cette notion a
toujours posé problème parce qu'elle semble ambigüe. Pour
tenter d'expliquer l'origine de cette ambiguïté raisonnons à
partir de l'exemple classique de l'étudiant privé d'une chance de
réussite par un conducteur qui le blesse. Sa réussite
dépendait de ses propres capacités et s'il n'a pas pu faire ses
preuves, c'est parce qu'un tiers l'en a empêché. En revanche le
patient contracte avec le médecin dans l'espoir de voir son état
amélioré; si tel n'est pas le cas, même à admettre
que le préjudice réparable est non pas l'atteinte subie, mais la
perte de chance de guérison, c'est bien l'exécution du contrat
par le médecin qui est alors en cause en ce qu'elle a privé le
patient de l'espoir qu'il mettait en lui d'être guéri. Au travers
de cette question, ce qui est en cause c'est le contenu même de
l'obligation du médecin, non pas de résultats mais de moyens. Or,
la guérison n'est qu'une éventualité. En revanche, lorsque
le médecin est intervenu tardivement, lorsqu'il a mal
apprécié l'état de santé, lorsqu'il n'a pas fait
faire qui auraient permis d'être fixé sur la maladie en cause
,bref quand l'évolution de celle-ci aurait pu être enrayée
e du moins quand les conséquences effectivement subies auraient pu
être amoindries par une intervention adéquate, alors les juges
51 CCass Civ.1.dec.1984,arret n°83-13904
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considèrent que ces fautes ont causé au client
une perte de chance. La reconnaissance de la perte de chance comme
préjudice permet d'éviter deux écueils, le premier qui
consisterait à considérer que l'atteinte effective subie par le
malade est nécessairement liée à la faute du
médecin, le second qui consisterait à considérer à
l'inverse à écarter toute responsabilité du médecin
parce que la faute commise n'est pas la cause du préjudice. Pour mieux
illustrer cette notion de perte de chance de guérison ou de survie nous
pouvons examiner ces arrêts ci-dessus, d'abord nous avons l'arrêt
rendu par le conseil d'Etat52. En l'espèce M
Alfret Joncart a été victime dans sa jeunesse d'un
traumatisme à l'oeil qui s'est traduit dans des années plus tard,
par un glaucome dont le traitement a échoué. Le 4 septembre 1995
il a été opéré à l'oeil dans une clinique
privée. Deux mois plus tard, il a éprouvé de violentes
douleurs localisées dans l'oeil qui avait été
opéré. Il s'est présenté aux urgences du Centre
Hospitalier, l'interne de garde a obtenu que le malade soit examiné par
le chef de service d'ophtalmologie, qui a prescrit un traitement anti biotique
sous forme de collyre. M, Joncart est rentré chez lui, au cours de la
nuit suivante il a éprouvé de nouvelles fortes douleurs et il a
décidé de retourner aux urgences du centre Hospitalier vers 1
heure du matin. L'interne a administré un antalgique par voie veineuse.
Quelques heures plus tard, tôt dans la matinée du 6novembre, M
Joncart a consulté son praticien libéral qui a
préconisé une hospitalisation rapide ce n'est qu'à ce
moment que le bon diagnostique a été posé mais il
était déjà trop tard M Joncart perd définitivement
l'usage de l'oeil. C'est qui lui a permis de saisir le tribunal pour engager la
responsabilité de l'hôpital, l'expert a conclu l'existence d'un
retard fautif dans le diagnostic, le tribunal a suivi le raisonnement de
l'expert. Il a considéré que le centre hospitalier a commis une
faute, compte tenu du délai qui été nécessaire pour
diagnostiquer l'affection et entamer le traitement. Donc nous pouvons noter que
c'est le Conseil d'Etat qui a pris l'initiative en admettant le premier, la
possibilité d'une indemnisation de la perte de chance dans le cas d'un
patient dont les chances d'éviter une amputation avaient
été compromises par les négligences du personnel soignant
négligences constitutives d'une faute (CE 24 avr 1964,hôpital
Hospice de Voiron ,Lebon). Ensuite la cour de cassation lui emboita le pas sur
cette lancé d'indemnisation de la perte de chance dans l'arrêt de
la première chambre civile du 14 décembre 1965 dont la solution a
été reprise peu après par la décision Civ1, 27 jan
1970 JCP 1970. Mais le ralliement de la cour de cassation a soulevé
pendant plusieurs années l'ire de la doctrine. Ses commentateurs ont
estimé que
52 Conclusion sur Conseil d'Etat, Sect.,14 fevrier
2008, Centre Hospitalier de Vienne c/ M. Joncart,req.n°289328
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le juge civil avait recours à cette notion non pas pour
la seule évaluation du préjudice, mais assouplir voir
édulcorer l'exigence d'un lien de causalité certain. Ils
étaient par l'idée qu'on puisse prononcer contre un
médecin une condamnation indemnitaire alors qu'on avait pas la certitude
que c'est sa faute qui avait directement causé le dommage et que le lien
n'était pas supposé. Le doyen Savatier avait
publié un article critique publié au Dalloz de 1970(Lebon123)
intitulé « Une faute peut-elle engendrée la
responsabilité d'un dommage sans l'avoir causé ?».
Après, les choses se sont malgré tout
atténuées puisse que la cour de cassation a recadré le
débat par un arrêt de sa première chambre civile du 17
novembre 1982(JCP G1983.ll.n°20056)qui, sous le visa de l'art 1147 du code
civil, a explicitement rappelé que le recours à la perte de
chance ne saurait pallier l'absence de preuve d'une relation de cause à
effet entre la faute et le préjudice.
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