Sect3 : La faute de surveillance
De nombreux arrêts sanctionnent des fautes de
surveillance dans deux domaines de prédilection : la surveillance
postopératoire(Pag1) et la surveillance
psychiatrique(Pag2).
Pag1 : la surveillance post
opératoire
L'obligation de surveillance des anesthésistes est
l'une des plus lourdes de la responsabilité
médicale16. L'anesthésiste a des obligations
préopératoires (examen du malade), au cours de l'opération
(anesthésie proprement dite) et post opératoire jusqu'au
réveil total du patient. La surveillance post opératoire suppose
la présence d'un médecin qualifié et c'est
précisément la spécialité de «
l'anesthésiste réanimateur » : il ne suffit pas de savoir
endormir le malade, il faut veiller à son réveil complet et
être apte à faire face à tout accident respiratoire ou
cardiaque17. Il est aujourd'hui admis que l'anesthésiste,
même s'il est choisi par le chirurgien, passe lui-même un contrat
avec le patient lors de la visite préopératoire .Si en raison de
sa spécialisation reconnue par un diplôme, le médecin
anesthésiste-réanimateur est tenu d'une obligation
spécifique, il n'en résulte pas pour autant que le chirurgien
lui-même puisse se désintéresser de son patient dés
la fin de l'opération. De nombreux arrêts retiennent la
responsabilité personnelle du chirurgien en cas d'accident post
opératoire. Naguère la responsabilité du chirurgien
était justifiée par le lien de subordination par lequel une aide
anesthésiste peu qualifiée, souvent une infirmière,
l'assistait au cours de l'opération ; cette responsabilité du
fait d'autrui 18 a perduré dés lors que
l'anesthésiste était choisi par le chirurgien. A l'hôpital
public, même dans le cadre du secteur privé, les médecins
anesthésistes et auxiliaires médicaux sont mis à la
disposition du chirurgien par le service public en qualité d'agents un
arrêt du 20 juillet 1988, de la cour de Cassation précisait que le
chirurgien « ne pouvait être contractuellement responsable à
l'égard de la patiente, des actes des médecins
anesthésistes »19. Désormais,
l'anesthésiste est lui-même un spécialiste et, à
l'ancien lien de subordination, s'est substituée une collaboration entre
deux médecins qualifiés. Cependant, le chirurgien peut demeurer
responsable personnellement pour faute de surveillance dans la phase post
opératoire : l'arrêt
16 Responsabilité des
anesthésistes,doctrines :J.Ambiater, »responsabilité du fait
d'autrui en matiere de responsabilité médicale »LGDJ. ,1965
;PJ.Doll
17 Responsabilité des
anesthésistes,jurisprudences :civ.1,17mai 1970 JCP1971.ll.16833,note
Savatier
18 Responsabilit » du chirugien du fait d'autrui
;cf.J.Ambialet précité : « responsabilité du fait d
autrui en droit médical » LGDJ.,1965.trib civ.Grenoble,16 mai
1956
19 Civ.1,20juillet 1988,JCP.,1984
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La notion de faute médicale en droit de la
responsabilité
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rendu par la Cour d'Appel de Dakar est illustratif à ce
niveau ainsi les héritiers de Hyssam Farhat
ont saisi le tribunal hors classe de Dakar pour homicide involontaire de leur
père lors d'une intervention chirurgicale au coeur survenu à la
clinique Casahous de Dakar. Les héritiers de Hyssam mettaient en cause
non seulement la clinique mais aussi les médecins qui avaient intervenu
lors de l'intervention chirurgicale que sont le professeur Baye Assane Diagne
chirurgien, le médecin Wagi Assi et Thierno Dieye infirmier
Anesthésiste. Ainsi le tribunal correctionnel de Dakar statuant dans
ladite cause, a rendu à la date du 24 /07/2001 un jugement frappé
d'Appel dont le dispositif est ainsi conçu: « Relaxe les
prévenus, se déclare incompétent sur les
intérêts civil ». Les parties civiles ont relevé Appel
du jugement sus énoncé. Dans cette affaire les héritiers
de Hyssam reprochaient à la clinique de ne pas se doter en permanence
d'effectifs minimaux techniques conformément au Décret 77-45 du
20 Septembre 1977 puisse qu'en l'espèce lors de l'intervention au lieu
d'un médecin anesthésiste la clinique avait recruté un
infirmier anesthésiste ce qui n'était pas en phase avec le
décret précité. Ensuite la partie civile soulignait
l'absence de monitoring cardiaque lors de l'intervention. Pour sa
défense, la clinique considérait qu'il y'avait un seul
médecin anesthésiste et il était à l'hôpital
principal et pour ce qui concerne l'absence de monitoring la clinique conclu
que cet appareil ne peut pas empêcher un arrêt cardiaque, il permet
tout simplement de contrôler le coeur au moment de l'intervention par
conséquent l'accident survenu lors de l'intervention doit être
considérait comme un aléa thérapeutique. Aux termes des
conclusions des deux parties, la cour considérait que les
prévenus étaient poursuivis pour homicide involontaire sur le
fondement de l'article 307 du code pénal ; que les dispositions de cet
article visent à réprimer le comportement des individus qui par
maladresse, inattention, imprudence, négligence ou inobservation des
règlements auraient commis involontairement un homicide. Qu'en
l'espèce, l'imprudence commise par les prévenus résulte de
ce que les médecins et l'infirmier, en décidant de
procéder à une opération même bénigne doivent
prévoir toutes les éventualités surtout les plus
pessimistes avant de procéder à l'opération étant
admis que la faute d'imprudence est celle que les individus prévoyant ne
commettent pas ;qu'il est constant que le seul fait d'avoir à
évacuer Hyssam Farhat à l'hôpital principal, ou il devait
mourir, a établi que les prévenus ne disposaient pas de tous les
moyens pour faire face à toute éventualité avant de
procéder à l'opération(...). Ainsi en ordonnant son
transfert les prévenus ont indirectement fait la preuve qu'il leur
manquait quelque chose que l'hôpital avait et qui était
nécessaire à
l'opération .Que le premier juge en ne procédant
pas à la revue des différentes composantes de l'infraction
visée à l'article 307 du code pénal a fini par limiter son
analyse. Qu'il échait donc de relever qu'il ya bien un homicide
involontaire au sens de l'article 307 du code pénal, et de constater la
culpabilité des mises en cause.
C'est ainsi aussi que la Cour de cassation française en
avait décidé dans l'affaire
Farcat20 . Le jeune Alain Farcat
21est décédé le 25 septembre 1973 des suites
d'un arrêt cardio-respiratoire ayant entrainé des lésions
cérébrales irréversibles, survenu le 16 juillet 1973 peu
après une intervention banale pour amygdalectomie. L'accident s'est
produit pendant la période post opératoire ; le malade ayant
regagné sa chambre, le chirurgien est même passé lui faire
une visite avant de partir. Le médecin anesthésiste a
quitté en même temps la clinique, sans faire de recommandations
particulières à l'infirmière non qualifiée :
l'arrêt cardiaque s'est produit alors que celle-ci s'était
absentée quelques minutes pour préparer une piqure. La conduite
de l'infirmière était irréprochable dans le contexte de
ses fonctions : celle de l'anesthésiste parti trop tôt
après l'opération alors que les accidents dans les
opérations ORL sont relativement fréquents, était
manifestement fautive et sa responsabilité engagée ; celle du
directeur médical de la clinique, ayant entrainé des
polémiques tenant davantage à sa personnalité et sa place
au conseil de l'ordre qu'aux faits de l'espèce, n'a pas
été retenue. En définitif l'intérêt juridique
de cette affaire tenait dans la coresponsabilité du chirurgien dans la
phase post opératoire, alors qu'un médecin anesthésiste
qualifié participait à l'opération. L'attendu de
l'Assemblée plénière rendu le 30 Mai 1986(treize ans
après les faits !) est particulièrement net : « Attendu que
si la surveillance post opératoire incombe au médecin
anesthésiste pour ce qui concerne sa spécialité, le
chirurgien n'en demeure pas moins tenu, à cet égard, d'une
obligation générale de prudence et de diligence ; qu'en
s'abstenant de rechercher si, en raison des conditions dans lesquelles il avait
quitté la clinique le Docteur L... n'aurait pas du s'assurer que le
malade restait sous la surveillance d'une personne qualifiée ».
Dés lors on peut conclure que si la surveillance post opératoire
incombe en premier lieu à l'anesthésiste, une faute du chirurgien
peut toujours être relevée et engagée sa propre
responsabilité. Ainsi, du début de l'anesthésiste,
à la fin de la période post opératoire la collaboration du
chirurgien et de l'anesthésiste s'impose, et le
20 Affaire Farcat :Paris,24 fevrier1983,et sur pourvoi
criminel.10 mai 1984 JCP 1984
21 Affaire Farcat :Paris,24 fevrier
1983,Gaz.Palais.,3juin 1983 ;Paris,24 fevrier1983 et sur pourvoi,Crim 10mai
1984,JCP ?1984
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La notion de faute médicale en droit de la
responsabilité
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chirurgien doit vérifier l'examen du groupe sanguin
(affaire Sarrazin), la vacuité de l'estomac du
patient (affaire Saïd22), la position
correcte du malade sur la table d'opération comme les conditions de son
réveil23. De l'obligation de surveillance des patients dans
la période postopératoire, on peut rapprocher l'obligation de
surveillance des malades mentaux qui pèse sur les cliniques et les
établissements psychiatriques.
Pag2 : La surveillance psychiatrique
Les institutions psychiatriques contractent à
l'égard du malade une responsabilité contractuelle classique pour
violation des obligations hôtelières et des obligations de soins
hospitaliers comportant une obligation de surveillance des hospitalisés
adaptés à l'état du malade et à donner à ce
dernier des soins conformes aux données nouvelles de la science. Mais
compte tenu du risque de suicide, cette obligation de surveillance, qui demeure
une obligation de prudence et de diligence est plus rigoureuse en
matière de surveillance psychiatrique compte tenu de l'état du
patient. La surveillance doit être d'autant plus importante que le malade
est susceptible d'attenter à ses jours et le médecin doit prendre
toutes les mesures et précautions pour assurer la sécurité
du malade .La responsabilité est donc retenue après suicide, si
le médecin a laissé à la portée du malade des
objets, si le malade a été abandonné à
lui-même ,si les mesures de sécurité et de surveillance ont
été insuffisantes, si la gravité de l'état de
l'hospitalisé a été sous évaluée. En
régime ouvert l'obligation doit être conciliée avec un
régime de liberté thérapeutique et la
jurisprudence24 admet que dans ce cas le degré de confiance
à accorder au malade est apprécié par le médecin
qui est seul juge du traitement et averti de l'état psychologique de son
malade .Cette obligation de surveillance et de sécurité est
définie comme une obligation de moyens, mais la diligence exigée
est d'autant plus stricte que le risque est
connu25
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, il convient surtout d'éviter que les malades ne se
fassent eux-mêmes un
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dommage (tentative de suicide, évasions, blessures) ;
le médecin psychiatre luimême peut être responsable
lorsqu'il n'a pas prescrit les mesures de précaution par l'état
du malade26 . En ce qui concerne les dommages causés par le
malade mental à des tiers, rappelons que depuis 1968, le nouvel art
489-2 du code civil
22 Responsabilité personnelle du chirurgien
pour defaut de surveillance préopératoire
:Crim.ééjuin 1972
23 Responsabilité personelle du chirurgien pour
defaut de surveillance preoperatoire :Crim.22 juin1972,aff Sarrazain,(non
verification du groupe sanguin
24 Civ 1 juin1997,RDSS1997,p840 obs G Memeteau
25 CF.A. Dorsner-Dolivet, « responsabilité
des cliniques en raisons des accidents survenus aux malades mentaux »
Gaz.Pal,19oct1980,p.2 ;F Chabas
26 Responsabulité du medecin Psychiatrique
:Jeason,Ghestin et Flécheux,la resposabilite des psychiatres
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La notion de faute médicale en droit de la
responsabilité
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français reconnait la responsabilité personnelle
du dément ; cependant cette responsabilité personnelle de
l'auteur du dommage n'exclut pas dans tous les cas celle du médecin
psychiatre ou de la clinique qui a laissé au dément une marge de
liberté imprudente. A cet égard, les traitements en milieu ouvert
et les autorisations de sortie du malade doivent être données avec
toute la prudence requise27. Mais au delà de ces fautes qui
ont trait à la technique médicale, nous constatons aussi des
fautes qui sont consécutives à l'humaniste médical.
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