Titre1 : LA CARACTERISATION DE LA
FAUTE MEDICALE
En se référant aux données acquises de la
science, l'arrêt Mercier de 1936 imposait la comparaison de la conduite
du médecin à l'état d'une technique scientifique : les
fautes de techniques médicales sont les plus
classiques(CHAP1). Cependant l'évolution de la science
elle-même conduit à s'interroger sur les pouvoirs
prométhéens du médecin face à la faiblesse et
l'impuissance du malade : les exigences éthiques ont été
précisées et les fautes relatives à l'éthique
médicale(CHAP2) constituent aussi une source
remarquable de responsabilité.
Chap1 : Les fautes de techniques
médicales
L'arrêt Mercier de 1936
faisait référence aux données6 acquise de la
science médicale, aujourd'hui la jurisprudence évoque parfois les
données actuelles de la science, comme si la maturation du
progrès scientifique de l'acquis cédait la place à
l'attrait de l'innovation scientifique actuelle. En fait la sagesse des juges
entend surtout, par cette formule sanctionner la formation continue des
médecins qui doivent se tenir au courant des progrès
scientifiques reconnus par les publications médicales. Il faut rappeler
que selon larticle16 du code de déontologie » les médecins
ont le devoir d'entretenir et de perfectionner leurs connaissances ». La
non conformité de l'acte médical aux données scientifiques
reconnues permet de déterminer la faute de
diagnostic(Sect1), mais au delà de cette faute de
diagnostic le médecin aussi peut engager sa responsabilité en cas
de non respect de ses obligations de choix thérapeutique et
d'exécution des soins(Sect2).
Arret Mercier, 20Mai 1936, D., 1936.1.88, concl.Matter.Josserand,
note EP
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La notion de faute médicale en droit de la
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Sect1 :La faute de diagnostic
Le raisonnement médical procède en proportion
variable de l'intuition personnelle et de la déduction objective.
Penché sur son malade, le praticien part des symptômes, des signes
qu'il perçoit, donc du particulier, pour le conforter avec la
description abstraite de la maladie qu'il suspecte, c'est-à-dire avec le
général .Tout acte tendant à identifier une maladie ayant
sa place dans le code nosocologique participe de la notion de diagnostic qui
n'est défini par aucun texte. Mais de manière
générique on peut le considérer comme le fait de
reconnaitre par les symptômes morbides une maladie après examen
clinique et auscultation étayés par des examens
complémentaires dont l'éventail s'accroit chaque jour. C'est
souvent en fonction de la prévision du diagnostic que le médecin
pourra émettre un pronostic, une prévision évolutive de la
maladie c'est pourquoi nous examinerons successivement erreur manifeste de
diagnostic (Pag1) avant d'étudier la faute de
diagnostic prénatal (Pag2).
Pag1 : Erreur manifeste de diagnostic
Le diagnostic est un temps particulièrement important
de l'acte médical puisse que sa fonction est de se prononcer sur le
caractère avéré ou non de la maladie. La distinction de la
faute et de l'erreur de diagnostic revêt pour le médecin une
connotation morale importante : la faute qualifie le comportement que n'aurait
pas eu le paradigme du « bonus medicus » ; en revanche l'erreur est
inhérente à la faillibilité humaine. Sur le plan
juridique, la frontière entre la faute et l'erreur de diagnostic est
ténue, les juristes versent l'erreur fut elle humaine dans le champ de
la faute, la réalité médicale impose de faire cette
distinction. Les statistiques d'autopsie révèlent, en effet, que
10% des cas, l'affection principale responsable de la mort était
méconnue du vivant du malade, et dans un pourcentage variant entre10%et
30%, le diagnostic est complété ou redressé. Le code de
déontologie médical du Sénégal dispose en son
article 26 : « Le médecin doit toujours élaborer son
diagnostic avec la plus grande attention, sans compter avec le temps que lui
coute ce travail. Il doit faire appel, s'il y'a lieu aux conseils les plus
éclaires et aux méthodes scientifiques les plus
appropriées(...) ». La jurisprudence en la matière
sanctionne en effet la faute du médecin qui a négligé de
recourir aux moyens modernes d'investigation que lui fournissent les
données de la science médicale2.Pour éviter une
telle responsabilité notons seulement que des médecins ont
tendance à ordonner systématiquement des examens de plus en plus
sophistiqués, de plus en plus couteux, et parfois inutiles, qui
pèsent lourdement sur la bourse des malades et
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sur le budget de la sécurité sociale. Mais
l'obligation qui pèse sur le médecin en matière de
diagnostic demeure une obligation de moyens (ne pas commettre de faute) et non
de résultat (ne pas se tromper) : l'erreur de diagnostic ne constitue
pas en elle-même une faute susceptible d'engager la responsabilité
du médecin. Cependant l'erreur de diagnostic devient fautive si le
médecin n'a pas agi conformément aux données de la science
et avec la prudence nécessaire. La responsabilité du
médecin est retenue si l'erreur commise est liée à une
interprétation de l'état du malade non conforme aux
données de la science, s'il ne fait pas pratiquer les examens et
investigation nécessaire pour éviter une erreur, s'il n'adopte
pas les précautions d'usage. Comme l'indique cette décision
l'erreur n'est fautive que si elle révèle l'ignorance par le
médecin de données médicales qu'il aurait du normalement
connaitre, ou une négligence caractérisée, un
défaut de précaution, notamment par un recours insuffisant aux
méthodes d'investigation7. Afin d'éviter les fautes de
diagnostic, le médecin a également le devoir de faire appel
à une spécialiste pour les questions qui dépassent sa
compétence. Au delà de l'erreur manifeste de diagnostic qui est
fautif, on peut aussi noter la faute de diagnostique prénatal.
Pag2 : La faute de diagnostic prénatal
Le diagnostic prénatal est décidé
après une consultation spécialisée ayant pour but de
diagnostiquer des anomalies chez le foetus, selon l'article L 2131 du code
santé publique français « le diagnostic prénatal
s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in
utero chez l'embryon ou chez le foetus une affection d'une particulière
gravité il doit être précédé d'une
consultation médicale adaptée à l'affection ». La
manifestation la plus éclatante de cette erreur de diagnostic est
illustrée par l'arrêt Perruche dont les
faits se sont déroulés comme suit : Monsieur P médecin de
famille de Mme Perruche constate en Avril 1982 que sa fille de 4 ans a une
éruption cutanée laissant penser que c'est une rubéole, il
constate un peu plupart une éruption semblable sur Mme
Perruche8 à laquelle il prescrit
une recherche d'anticorps en raison de son état probable de grossesse,
un premier prélèvement révèle un résultat
négatif impliquant qu'elle n'est pas immunisée; puis une autre
analyse après confirmation de la grossesse révèle des
résultats positifs impliquant qu'elle est
7 Bourges 20 juin 2000, cité in M.Harichaux,
Fasc.18-2,n°11
8 Assemblée Pléniére de la Cour
de Cassation Francaise 17 Novembre 2000
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immunisée. La contradiction des résultats du
laboratoire conduit à une vérification des premiers
prélèvements, mais par suite d'une erreur le laboratoire conclut
à tort en Mai 1982 que Mme Perruche est immunisée. Or en janvier
1983 elle met au monde un garçon qui développera un peu plus tard
des troubles neurologiques qui laisseront de très graves
séquelles dont la cause réside dans la rubéole
contractée pendant la grossesse. Après expertise médicale
et judiciaire par le jugement du 13 janvier 1992 le tribunal de grande instance
Evry a retenu que le médecin traitant et le laboratoire avaient commis
une faute en ce qui concerne l'analyse de contrôle du premier
prélèvement qui était en réalité
négatif alors qu'il était présenté comme positif.
Cette juridiction a donc déclaré le laboratoire et le praticien
responsables de l'état de santé de Nicolas Perruche et les a
condamnés « in solidium ». Le médecin traitant et le
laboratoire ont exercé des recours et l'affaire est venue devant la cour
de cassation. L'Assemblée Plénière dans son arrêt du
17 novembre 2000 a énoncé que « dés lors que les
fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution
des contrats formés avec Mme Perruche avait empêché
celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la
naissance d'un enfant atteint d'un handicap ce dernier peut demander la
réparation du préjudice résultant de ce handicap et causes
par les fautes retenues ». Ainsi la faute médicale peut aussi se
manifester dans le choix thérapeutique et dans l'exécution des
soins.
Sect2 : La faute dans le choix thérapeutique et
dans l'exécution des soins
La liberté thérapeutique ou liberté de
prescription signifie que le médecin est libre dans ses prescriptions et
de ses actes, selon la science et sa conscience ce qui est conforme à
l'indépendance professionnelle et à l'intérêt du
malade9. La liberté de prescription qui trouve son origine
dans le code de déontologie médicale. Cette liberté de
prescription a comme corolaire l'engagement de sa responsabilité en cas
de choix thérapeutique fautif(Pag1) ou
d'exécution de soins non conformes aux données acquises de la
science(Pag2).
Pag1 : La faute dans le choix thérapeutique
Au 17 siècle la thérapie employée est
essentiellement déplétive, on saigne, on purge, la loi
n'excluait aucun mode de traitement. Aussi peut-il revêtir
plusieurs formes peu importantes la valeur scientifique du
procédé tendant à l'élimination,
9 R Savatier,J M.Auby,Dr H
Péquignot,Traité de droit médical,Lib Techiqueds
1956.n289
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l'atténuation ou même la prévention d'une
maladie. Les informations de ces dernières années nous
amènent à nous interroger sur ces différentes affaires
tant sur le plan humain mais aussi de la déontologique médicale,
les scandales concernaient certaines fautes thérapeutiques. La
liberté du choix thérapeutique est l'un des principes
fondamentaux de la médecine ; inscrit à l'article 9 du code
déontologie français " Le médecin est libre de ses
prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la
circonstance », il est revendiqué avec vigueur par l'ensemble du
corps médical ; or la responsabilité est le corollaire de toute
liberté10. La responsabilité médicale est
retenue lorsque le médecin n'a pas fait un choix conforme aux
données " acquises » ou " actuelles » des sciences. Bien
entendu le juge n'est pas apte d'en juger, et c'est le médecin expert
qui devra l'éclairer en déterminant si le médecin est
fautif d'avoir utilisé une thérapeutique ancienne,
obsolète une innovation thérapeutique imprudente et mal connue,
ou au contraire si son choix était justifié dans le contexte des
faits. Donc le praticien choisi parmi les différentes
thérapeutiques en présence, pourvu qu'elles aient
dépassé le stade purement expérimental. La jurisprudence
actuelle interprète largement la notion de traitement que le code de la
santé ne définit pas, le code de déontologie
médicale du Sénégal en son article 26 ne définit
pas non plus il parle de " après avoir posé un diagnostic, doit
formuler un traitement ».On peut aussi noter une autre faute
médicale qui à trait à la thérapie qu'est
l'acharnement thérapeutique ou dystanasie qui est le fait de maintenir
en vie un malade se trouvant dans un état incurable grâce à
des techniques extraordinaires destiner à suppléer des fonctions
défaillantes11. Le comité consultatif nation
d'éthique définit l'acharnement thérapeutique comme une
obstination déraisonnable refusant par un raisonnement buté qu'un
homme est voué à la mort et qu'il n'est pas curable12.
L'acharnement thérapeutique apparait comme un acte inhumain et
attentatoire à la dignité humaine et à ses droits
fondamentaux et il semble unanimement rejeté par les instances
religieuses, éthiques et déontologiques13. Il est
admis également dans la pratique médicale que les médecins
ne sont jamais tenus de prolonger l'agonie par des prouesses techniques et, en
droit, on tolère la cessation du traitement. Cependant les
médecins ont le devoir de lutter pour la vie de leur malade tant qu'il
existe un espoir de guérison. La notion d'incurabilité est plus
médicale que juridique mais
10 Faute dans le choix thérapeutique
:Montpellier,14dec 1954,D.,1955 note Carbonnier
11 J Robert,Rapport sur le corps humain et la
liberté individuelle n droit francais,op.cit.,p 470
12 Avis du CCNE,n°63 du 27 janvier 2000
13 AVIS prec et ref
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s'il existe quelques décisions aux Etats Unis il n'en
existe guère en France et au Sénégal.
Pag2 : La faute dans l'exécution des soins
Le diagnostic porté, le choix thérapeutique
fait, il reste à mener à bien l'action envisagée, et c'est
là le domaine le plus classique de la faute médicale de technique
médicale ; tous les auteurs d'actes thérapeutiques peuvent voire
leur responsabilité personnelle engagée de ce chef, et les
exemples de fautes techniques médicales sont multiples14. De
l'infirmière qui perfore une veine au cours d'une perfusion, du
médecin stomatologiste ou du dentiste qui fait preuve de
négligence ou de maladresse dans l'exécution des soins dentaires
ou la pose d'une prothèse, du radiologue qui provoque une radiodermite
par exposition trop prolongée aux rayons X .Ce sont cependant les
chirurgiens qui sont les plus exposés à commettre des fautes dans
la technique opératoire15 : l'exactitude du geste chirurgical
constitue une obligation évidente(ce qui n'implique pas le
résultat de la guérison) :l'inattention qui laisse partiellement
paralysé le malade placé dans une mauvaise position au cours de
l'opération ,la maladresse dans le maniement du bistouri qui sectionne
un nerf ou un tendon, l'oubli dans le champ opératoire d'un instrument
chirurgical ou de compresses constituent autant de fautes que le paradigme du
médecin habile consciencieux et attentif ne saurait commettre ; le
jugement civil rendu par le tribunal hors classe de Dakar est illustratif
à ce point. En l'espèce l'affaire oppose Mme Anne
Marie Agbo et la clinique Casahous, les
Assurances Générales Sénégalaises, l'Etat du
Sénégal représenté par son agent judiciaire , les
faits de l'affaire se déroulent comme suit :par exploit de Maitre Aloyse
Ndong Huissier de justice à Dakar en date du 21 octobre 1998,Mme Agbo a
fait servir assignation à la clinique Casahous à comparaitre et
se trouver par devant le tribunal civil en son audience publique du 24 Novembre
pour et par les motifs les suivants : la Dame Agbo admise à la clinique
ou elle a accouché par césarienne le 17 Aout 1986,au cours de cet
accouchement elle a subi une ablation de deux myomes situés sur le mur
utérin et la transfusion de sang souillé, ces anomalies ont
provoqué chez la requérante un choc septique très grave
;qu'elle a d'abord été évacuée à
l'hôpital principal ou elle a subi une intervention chirurgicale, ensuite
en France ou elle en a subi deux autres :la première à
l'hôpital de la Pitié Salpetrière et la deuxième
au
14 Fautes techniques :infirmieres,cf M.P.Florion et T
Moussa « les obligations et la responsabilité juridique de
l'infirmiére »,ed.Le Centurion,1985.paris,15 Avril1986,D.1987
15 Faute technique du chirurgien :TGI.,31 mai
1960.2.106(section nerf facial d'un nouveau né au cours d'une
césarienne) ;Civ.26 janvier 1972 JCP 1972
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centre hospitalier de la Chalon sur Marne. Par ordonnance de
référé en date du 21 octobre 1988 rendu par le
Président du tribunal ordonne une expertise médico-légale
; le professeur Fadel Diadhiou, expert commis a déposé son
rapport le 6 Mai en concluant : ITT 103 jours, IPP 33,pretinium doloris
très important. Pour la dame tous ces ennuis et
désagréments sont consécutifs d'une faute gave de la part
de la clinique qui est entièrement et exclusivement responsable sur le
fondement de l'article 118 du code des obligations civiles et commerciales. Par
autre exploit d'huissier la clinique a appelé en cause l'Etat du
Sénégal à comparaitre parce que le jour de
l'opération incriminée, le sang ayant servi à la
transfusion a été fourni par le Centre National de Transfusion
Sanguine. Les Assurances Générales Sénégalaises ont
volontairement intervenu dans la cause pour le compte de la clinique qui pour
sa défense considérait que la dame Agbo n'a pas rapporté
la preuve que le préjudice qu'elle invoque est consécutif
à une mauvaise opération ou à la mauvaise qualité
de sang qui lui a été transfusé ,qui lui a
été fourni par le Centre National de Transfusion Sanguine seul
responsable de la qualité du sang qu'il fournisse. Enfin le tribunal
statue en considérant que « la responsabilité
médicale est une responsabilité contractuelle fondée sur
faute pensée. Qu'il échait tout aussi de faire remarquer que
même si le médecin est débiteur d'une obligation de moyens,
il est en faute lorsqu'il ne prend pas toutes les précautions
nécessaire à l'exercice de sa science ; qu'entre dans ce cadre la
tenue d'un mémoire médical. Qu'il résulte du rapport
d'expertise que les dommages subis par la demanderesse sont consécutifs
à une transfusion qui a entrainé une coagulopathie grave point de
départ d'une série de complications circulatoires et de
surinfections ;Qu'il n'est contesté par aucune des parties que la
demanderesse après son accouchement a subi un choc transfusionnel ayant
nécessité son évacuation à l'hôpital
Principal de Dakar ;Que l'homme de l'art fait état d'un défaut de
mémoire médical qui laisse penser que la transfusion sanguine qui
a été administrée à la demanderesse (...) ne s'est
pas passé dans les règles de l'art ;Que la clinique qui met en
cause l'Etat du Sénégal en la personne du Centre National de
Transfusion Sanguine n'apporte pas la preuve de la faute commise par celui-ci
;Qu'il échait en conséquence de ce qui précède
mettre hors de cause l'Etat du Sénégal et déclarer la
clinique entièrement responsable des dommages survenus »
.La responsabilité du médecin ne cesse pas
automatiquement dés la fin de l'intervention elle peut se poursuivre
après les soins c'est la phase de surveillance.
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