B. En Belgique: Copiepresse à l'assaut de Google
Actualités
En 2006, une procédure a été
engagée contre Google par Copiepresse (une société qui
regroupe plusieurs éditeurs de la presse belge), des journalistes et des
sociétés de gestion des droits des photographes. Cette
procédure a donné lieu à l'ordonnance prononcée le
13 février 20079.
Selon Copiepresse et les autres plaignants, le fait pour
Google de recopier les titres et les accroches des articles de journaux
constitue une atteinte à l'article 1er de la Loi qui énonce
notamment que "L'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique a seul
le droit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction, de quelque
manière et sous quelque forme que ce soit (qu'elle soit directe ou
indirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie)"
6 A propos de la question des hyperliens voy. not. C.
MOLIERE, "Les articles de presse à l'ère du
numérique. Le cas de Google Actualités",
I.R.D.I., 2004, p.8; A. STROWEL, "La responsabilité des
intermédiaires sur Internet: actualité et question des
hyperliens", R.I.D.A., octobre 2000, n° 186, p 3.
7 Loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et
aux droits voisins, M.B., 27 juillet 1994.
8 A. STROWEL, "Google et les nouveaux services en
ligne: quels effets sur l'économie des contenus,
quels défis pour la propriété
intellectuelle?", in "Google et les nouveaux services en ligne" op. cit.,
p.35.
9 Civ. Bruxelles (cess), 13 février 2007,
R.D.T.I. n°28/2007, p.221.
Dans cette décision, deux points importants sont
envisagés; le premier concerne Google Actualités et l'utilisation
des titres et articles de journaux; le second concerne les copies "cache" que
Google fait des pages internet issues des différents sites des
éditeurs de presse. Ce second point sera abordé plus loin dans
l'exposé, attachons nous d'abord à la partie concernant Google
Actualités.
Le tribunal de première instance de Bruxelles fait
droit à la demande de Copiepresse et fait une application très
stricte de la loi relative au droit d'auteur10 comme nous le verrons
dans le développement de cette décision.
a) La liberté d'expression
Dans sa décision, le Président du tribunal va
écarter le premier moyen de défense de Google fondé sur la
liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme, celle-ci pouvant être soumise
à certaines exceptions, notamment celle de la protection du droit
d'auteur. L'argument de Copiepresse, selon lequel Google Actualités est
le fruit d'une indexation automatique et ne relève donc pas de la
liberté d'expression est pertinent. En effet, Google utilise des
"robots" qui classent et mettent à jour les différentes rubriques
de Google Actualités; il n'y a donc pas la moindre intervention d'un
rédacteur en chef ou d'autre personne qui classerait ces informations.
Dans ce contexte, invoquer le principe de la liberté d'expression ne
parait pas relevant.
b) Les droits patrimoniaux 1.
Originalité
Comme premier moyen de défense, Google soutenait que
les titres et les accroches repris par le site Google Actualités
n'étaient pas susceptibles de bénéficier d'une protection
par le droit d'auteur à défaut d'originalité au sens de la
Loi.
Le tribunal rappelle que "pour bénéficier de
la loi sur le droit d'auteur, une création doit être
exprimée dans une certaine forme (les idées en tant que telles
n'étant pas protégeables) et être originale
c'est-à-dire qu'elle doit être marquée par la
personnalité, l'empreinte de son auteur"11.. Les
extraits présents sur Google Actualités sont souvent des phrases
dites "d'accroches" c'est-à-dire les premières phrases de
l'article qui doivent donner envie au lecteur de poursuivre sa lecture. Le
Président du tribunal rappelle qu'il a déjà
été jugé que des articles de journaux peuvent revendiquer
la protection par le droit d'auteur dans la mesure où ils
possèdent la marque de la personnalité de leur
auteur12.En l'espèce, le tribunal a donc décidé
que Google reproduisait sur son site Google Actualités des oeuvres
protégées par le droit
10 Voy en ce sens: A. STROWEL, "Google et les nouveaux
services en ligne: quels effets sur l'économie
des contenus, quels défis pour la propriété
intellectuelle?" op. cit.., p.37 et 38.
11 Civ. Bruxelles (cess), 13 février 2007,
précité, p. 233 et 234, qui cite notamment: A.BERENBOOM,
"Le nouveau droit d'auteur et les droits voisins",
Bruxelles, Larcier 1997, p.49 et F De VISSCHER et B. MICHAUX,
"Précis du droit d'auteur et des droits voisins", Bruxelles,
Bruylant 2000, p.15
12 Civ. Bruxelles, 16 octobre 1996, A. & M., 1996,
p.426.
d'auteur. Cette décision n'est pas critiquable; la
doctrine et la jurisprudence paraissent d'ailleurs unanimes pour
considérer que certains titres et accroches d'articles de journaux
doivent bénéficier de la protection accordée par la loi
sur les droits d'auteurs13.
2. Exception de citation (revue de presse)
Google se prévalait également de l'exception
visée à l'article 21,§1er de la Loi, soit l'exception de
citation. Cet article prévoit que "Les citations tirées d'une
oeuvre licitement publiée, effectuées dans un but de critique, de
polémique, de revue, d'enseignement, ou dans des travaux scientifiques,
conformément aux usages honnêtes de la profession et dans la
mesure justifiée par le but poursuivi, ne portent pas atteinte au droit
d'auteur.".
Les conditions nécessaires pour
bénéficier de cette exception sont aux nombre de
deux14. Il faut d'abord que les citations soient tirées
d'oeuvres licitement publiées. Cette condition ne pose pas de
problème en l'espèce. En effet, tous les articles repris par
Google Actualités sont publiés sur les différents sites
des éditeurs.
La deuxième condition est que la citation soit faite
dans un but de critique, de polémique, d'enseignement, de revue, ou dans
des travaux scientifiques et soit utilisée dans la mesure
justifiée par le but poursuivi.
Google prétendait que Google Actualités
était une revue de presse et que cette deuxième condition
était donc également remplie. Il rappelait aussi que l'indexation
des articles de journaux se faisait de manière automatique, sans
intervention humaine.
Dans sa décision, le tribunal décide que:
"la citation est, en principe, utilisée pour illustrer un propos,
défendre une opinion; qu'il ne semble pas que le recensement darticles
effectués par Google Actualités puisse être qualifié
de "revue de presse"[...]; qu'en l'espèce Google se limite à
recenser les articles et à les classer et ce de façon
automatique. Que Google Actualités n'effectue aucun travail d'analyse,
de comparaison ou de critique de ces articles qui ne sont nullement
commentés; que cette condition nest par conséquent pas satisfaite
en l'espèce"15.
Les termes "revue de presse" sont ambigus et ne sous-entendent
pas de prime-abord que les articles repris dans celle-ci soient
commentés ou critiqués. Mais, selon le tribunal, le logiciel
Google Actualités ne répond pas à la qualification de
"revue de presse" dans le sens que lui donne la loi du 22 mai 2005 transposant
la directive 2001/29/CE16. En effet, le Tribunal déclare que
les termes "revue de presse" ont été traduits, dans la version
néerlandaise de la loi du 22 mai 2005, par le mot "recensie" celui-ci
étant défini comme un commentaire d'une oeuvre plutôt que
son simple recensement et pourrait être traduit par
"recension"17 en français.
13 En ce sens voy. : A. BERENBOOM, op. cit.
p.78 et p.102, C. O. LEFEVRE, note sous Civ. Bruxelles
(cess), 13 février 2007, R.D.T.I. n°28/2007,
p.250; A. STROWEL, "Google et les nouveaux services en ligne: quels effets sur
l'économie des contenus, quels défis pour la
propriété intellectuelle?", op. cit., p.37.
14 Civ. Bruxelles (cess), 13 février 2007,
précité, p.236.
15 Ibidem.
16 Loi du 22 mai 2005 transposant en droit belge la
Directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur
l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des
droits voisins dans la société de l'information, M.B.,
27 mai 2005
17 voy à ce sujet: D. VOORHOOF, "Slecht nieuws
voor Google Actualités" A.& M., 2007/1-2, p.121.
Pour sa "revue de presse" le recensement des articles de
Google Actualités se fait de manière automatique et ne fait
l'objet d'aucune critique ni commentaires. Le tribunal rejette donc cet
argument de Google et lui refuse l'exception de citation prévue à
l'article 21§1er de la Loi.
Comme le souligne Cédric O. Lefèvre dans son
analyse de la décision, le terme "revue" n'est pas très clair
mais le tribunal a pris une décision remarquable. En effet, "Google
Actualités n'est constitué que d'emprunts, et ne doit sa
substance qu'aux extraits reproduits, ce qui est contraire à l'esprit de
l'institution du droit d'auteur"18. Néanmoins, on peut
alors regretter les termes employés par la loi dans sa version
française; une revue de presse est définie comme: "un
ensemble d'extraits d'articles qui donnent un aperçu des
différentes opinions sur l'actualité"19.
Si l'on suit cette définition à la lettre, Google
Actualités aurait dû bénéficier de cette exception.
Par contre, l'utilisation du terme "recension" (mot d'ailleurs utilisé
dans la version néerlandaise de la loi) aurait enlevé à la
loi toute ambiguïté à l'article 21§1er du texte
français de la Loi.
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