Paragraphe II: Quelques jurisprudences
Au titre du GATT (1948-1994), six procédures de groupes
spéciaux comprenant un examen de mesures relatives à
l'environnement ou de mesures relatives à la santé des personnes
prises au titre de l'article XX ont été menées à
leur terme. Trois des six rapports n'ont pas encore été
adoptés. En 1995, la procédure de règlement des
différends de l'OMC a remplacé celle du GATT. Depuis lors, trois
procédures ont été menées à leur terme.
Nous allons étudier une affaire dans le cadre de
l'ancienne procédure et une autre dans le cadre de la nouvelle
procédure.
A Affaire « thons dauphins »(25)
Cette affaire suscite encore beaucoup d'intérêt
en raison de ses incidences sur les différends relatifs à
l'environnement. Elle a été examinée dans le cadre de
l'ancienne procédure de règlement des différends du GATT.
Les principales questions soulevées dans cette affaire sont les
suivantes:
- Un pays peut-il dicter à un autre sa façon de
réglementer le domaine de l'environnement?
- Les règles commerciales permettent-elles de prendre des
mesures visant la méthode de production des produits (et non la
qualité des produits eux-mêmes)?
1 Contexte
De quoi s'agit-il?
25 États-Unis - Restrictions à l'importation de
thon, rapport non adopté, distribué le 3 septembre 1991, IBDD,
S39/174
Dans la zone tropicale orientale de l'Océan Pacifique,
des bancs de thons à nageoires jaunes se trouvent souvent sous des bancs
de dauphins. Lorsque les thons sont pêchés à la senne
coulissante, des dauphins se prennent dans les filets et meurent s'ils ne sont
pas relâchés.
La Loi des États-Unis sur la protection des
mammifères marins fixe des normes pour la protection des dauphins
à l'intention des bateaux de pêche nationaux et étrangers
qui pêchent cette espèce de thon dans la zone en question. Le
gouvernement des Etats-Unis doit mettre l'embargo sur toutes les importations
de thon en provenance de tout pays incapable de lui prouver qu'il se conforme
aux normes de protection des dauphins fixées par ladite loi. Dans ce
différend, le pays exportateur concerné était le Mexique,
dont les exportations de thon vers les États-Unis ont été
interdites. Le Mexique a porté plainte en 1991 dans le cadre de la
procédure de règlement des différends du GATT.
L'embargo vise également les pays
«intermédiaires» par lesquels transite le thon provenant du
Mexique et destiné aux États-Unis, pays où le poisson est
souvent transformé et mis en conserve. Dans ce différend, le
Costa Rica, l'Espagne, l'Italie et le Japon, et avant eux, les Antilles
néerlandaises, la France et le Royaume-Uni, étaient les pays
«intermédiaires» frappés par l'embargo. D'autres pays,
y compris le Canada, la Colombie, la République de Corée, ainsi
que des membres de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, ont
également été cités en qualité
d'«intermédiaires».
2 Le Groupe spécial
Le Groupe spécial a présenté son rapport aux
membres du GATT en septembre 1991. Il est arrivé aux conclusions
suivantes:
- Les États-Unis ne pouvaient pas frapper d'embargo les
importations de produits à base de thon en provenance du Mexique du seul
fait que les réglementations mexicaines concernant la méthode de
production du thon n'étaient pas conformes à celles des
États-Unis. (Mais les États-Unis pouvaient appliquer leurs
réglementations sur la qualité ou la composition des produits
à base de thon importés.) C'est ce que l'on a appelé
l'approche opposant «produit» à
«procédé».
- Les règles du GATT n'autorisaient pas un pays
à prendre des mesures commerciales en vue de faire appliquer ses propres
lois nationales dans un autre pays -- même pour protéger la
santé des animaux ou des ressources naturelles non renouvelables.
Le terme utilisé dans ce contexte est
«extraterritorialité».
Sur quel raisonnement reposent ces conclusions? Si les
arguments des Etats-Unis étaient acceptés, n'importe quel pays
pourrait interdire l'importation d'un produit en provenance d'un autre pays
simplement parce que celui-ci applique une politique différente de la
sienne en matière d'environnement et de santé ou dans le domaine
social.
Cela donnerait des possibilités pratiquement
illimitées à tout pays désireux d'appliquer
unilatéralement des restrictions au commerce -- non seulement pour faire
respecter ses propres lois chez lui, mais aussi pour imposer aux autres pays
ses normes nationales.
Rien n'empêcherait plus les abus à des fins
protectionnistes de se multiplier.
Cette situation irait à l'encontre de l'objectif
fondamental du système commercial multilatéral, qui est
d'instaurer la prévisibilité au moyen de règles
commerciales.
La tâche du Groupe spécial se limitait à
examiner comment les règles du GATT s'appliquaient en la
matière. Il n'avait pas à déterminer si les mesures
étaient correctes ou non d'un point de vue écologique. Il a
indiqué que la politique des États-Unis pouvait être mise
en
conformité avec les règles du GATT si les
membres acceptaient de modifier les règles ou décidaient
d'accorder une dérogation spéciale pour ce cas. Les membres
pourraient ainsi négocier sur les questions pertinentes et fixer des
limites pour empêcher les abus à des fins protectionnistes.
Le Groupe spécial devait également se prononcer
sur la prescription des Etats-Unis concernant l'apposition sur les produits
à base de thon d'étiquettes «dolphin-safe» (pêche
sans risque pour les dauphins), le consommateur étant libre de choisir
d'acheter ou non le produit. Il a conclu que cette prescription n'était
pas contraire aux règles du GATT, car elle avait pour objet
d'éviter la publicité mensongère en ce qui concernait les
produits à base de thon, qu'ils soient importés ou d'origine
nationale.
B Essence « nouvelle et ancienne formule
»(26)
1 Exposé des faits
Le 23 janvier 1995, quelques jours seulement après que
l'OMC et sa nouvelle procédure de règlement des différends
aient vu le jour, le Venezuela s'est plaint à l'Organe de
règlement des différends que les États-Unis appliquaient
des règles qui établissaient une discrimination à
l'encontre des importations d'essence. Le Venezuela a officiellement
demandé qu'il soit procédé à des consultations avec
les États-Unis, comme l'exigeait la procédure de règlement
des différends de l'OMC.
De quoi s'agit il : À la suite d'une modification
apportée en 1990 à la Loi sur la lutte contre la pollution
atmosphérique, l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA) a
promulgué la Réglementation sur l'essence concernant la
composition et les effets polluants de l'essence, afin de réduire la
pollution atmosphérique aux États-Unis.
À partir du 1er janvier 1995, cette
Réglementation autorisait uniquement la vente d'essence
présentant un certain degré de propreté ("essence nouvelle
formule") dans les régions où la pollution atmosphérique
était la plus élevée. Dans le reste du pays, on ne pouvait
vendre que de l'essence qui n'était pas plus polluante que celle qui
avait été vendue pendant l'année de base 1990 ("essence
ancienne formule").
Le Venezuela et le Brésil ont allégué que la
Réglementation sur l'essence était incompatible, entre autres
choses, avec l'article III du GATT ("traitement national"), à savoir un
traitement égal accordé aux produits nationaux et aux produits
importés, et qu'elle n'était pas visée par l'article XX du
GATT (qui porte sur les exceptions générales aux règles, y
compris pour certaines raisons d'ordre environnemental).
Les États-Unis ont allégué que la
Réglementation sur l'essence était incompatible avec l'article
III et, en tous cas, était justifiée au titre des exceptions
figurant à l'article XX b), g) et d) du GATT.
2 Décisions
Le Groupe spécial a observé que l'essence
nationale bénéficiait en général du fait que le
vendeur qui était à la fois raffineur utilisait un niveau de base
individuel alors que ce n'était pas le cas pour l'essence
importée. Cela se traduisait par un traitement moins favorable pour
l'essence importée, comme l'illustrait le cas d'un lot d'essence
importée qui était chimiquement identique à un lot
d'essence nationale, lequel était conforme au niveau de base individuel
de
26 États-Unis - Normes concernant l'essence nouvelle et
ancienne formules, rapports adoptés le 20 mai 1996, WT/DS2/9 (rapports
de l'Organe d'appel et du Groupe spécial)
son raffineur mais non aux niveaux de base
réglementaires. Dans ce cas, la vente du lot d'essence importée
le premier jour d'une période annuelle obligerait l'importateur pendant
le reste de la période à vendre dans l'ensemble une essence plus
propre afin de rester en conformité avec la Réglementation sur
l'essence. En revanche, la vente du lot d'essence nationale chimiquement
identique le premier jour d'une période annuelle n'obligerait pas un
raffineur national à vendre dans l'ensemble une essence plus propre
pendant le reste de la période pour rester en conformité avec la
Réglementation.
Le Groupe spécial a aussi noté que ce traitement
moins favorable de l'essence importée incitait l'importateur, dans le
cas d'un lot d'essence importée non conforme au niveau de base
réglementaire, à importer ce lot à un prix plus bas. Cela
tenait au fait que l'importateur aurait à procéder à des
ajustements en matière de coût et de prix parce qu'il devait
importer une autre essence pour établir la moyenne avec le lot en
question de manière à se conformer au niveau de base
réglementaire. En outre, le Groupe spécial a rappelé un
rapport de groupe spécial antérieur où il était dit
que "les mots "ne seront pas soumis à un traitement moins favorable" qui
figurent au paragraphe 4 exigent l'égalité effective des
possibilités offertes aux produits importés en ce qui concerne
l'application des lois, règlements et prescriptions affectant la vente,
la mise en vente, l'achat, le transport, la distribution ou l'utilisation de
produits sur le marché
intérieur".(27) Le Groupe spécial a
donc constaté que, comme les méthodes d'établissement des
niveaux de base empêchaient en fait l'essence importée de
bénéficier de conditions de vente aussi favorables que celles
qu'accordait à l'essence nationale un niveau de base individuel
lié au producteur d'un produit, l'essence importée était
soumise à un traitement moins favorable que le traitement accordé
à l'essence nationale.
Le groupe spécial a également conclu que ce
traitement ne pouvait être justifié au titre des paragraphes b),
d) ou g).
Les États-Unis ont fait appel.
Le rapport de l'Organe d'appel a entériné les
conclusions du Groupe spécial (en apportant toutefois quelques
modifications à l'interprétation du droit faite par le Groupe
spécial). Il a constaté que les règles
d'établissement des niveaux de base figurant dans la
Réglementation sur l'essence relevaient de l'article XX g) mais ne
répondaient pas aux prescriptions établies dans le texte
introductif de l'article XX.
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