Paragraphe I: Principes ayant différentes
valeurs
Les principes du droit de l'environnement se caractérisent
par une très grande disparité (A) et une certaine orientation
vers des valeurs morales (B).
A Disparité des principes
1 Difficile appréhension
Contrairement aux principes du droit du commerce international
qui sont énoncés dans un système centralisé.
La disparité des principes du droit de l'environnement
sème souvent le trouble, ils sont formulés aussi bien à
l'échelon international, national que régional. Ils se retrouvent
aussi bien énoncés dans des instruments de soft-law, telles les
recommandations internationales que dans des textes juridiquement
contraignants. Tantôt, c'est le législateur qui les consacre,
tantôt c'est la doctrine qui réclame leur application,
tantôt enfin, c'est le juge qui les découvre. Ils peuvent aussi
bien revêtir une forme extrêmement générale - tels la
prévention ou le pollueur payeur - que technique, tel le principe de
notifier à l'Etat d'exportation, le projet d'exporter une cargaison de
déchets ou de substances dangereuses. Certains d'entre eux se cantonnent
à un secteur bien spécifique du droit de l'environnement - tels
les principes de proximité ou d'autosuffisance propres au droit des
déchets - alors que d'autres, à l'instar du principe de
précaution, s'appliquent à toutes les politiques sectorielles.
Enfin, certains principes renferment de véritables
obligations de droit positif alors que d'autres ne visent qu'à conforter
des valeurs métajuridiques.
Encore faut-il pouvoir trouver son chemin dans ce
dédale. L'on reste à cet égard frappé non seulement
par la diversité de principes propres au droit de l'environnement mais
aussi devant la multiplicité de sens et de fonctions qui leur sont
attribués. Aux principes de nature purement politique, se
succèdent des principes renfermant des obligations plus précises.
Les problèmes méthodologiques sont encore aggravés en
droit de l'environnement par la multiplicité et de
l'enchevêtrement des règles en présence et la coexistence
de différents ordres juridiques consacrant des principes largement
identiques.
2 Exemple à travers le principe du pollueur
payeur
Nous pouvons évoquer cette difficulté à
cerner les principes du droit de l'environnement à travers par exemple
le principe du pollueur payeur qui est défini comme un principe «
selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de
réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être
supportés par le pollueur ».
La question est de savoir qui est le pollueur.
On définit le « pollueur » comme « celui
qui dégrade directement ou indirectement l'environnement ou crée
les conditions aboutissant à sa dégradation indépendamment
de toute idée de responsabilité civile à base de faute et
sans tenir compte des engagements contractuels des
parties»(13). Cela suppose que l'on
s'interroge sur la notion de dégradation, de pollution. A cet
égard, deux thèses s'opposent.
Selon la première, il y a pollution uniquement lorsqu'il y
a émission de substances au-delà du seuil réglementaire
imposé par une norme (règlement, autorisation administrative).
L'autre thèse est fondée sur le fait qu'il y aurait
pollution dès qu'il y a un dommage écologique, même si ce
dommage est autorisé.
13 J.F. NEURAY, Droit de l'environnement, op.cit., p. 86.
Cela pose toutefois la question de savoir ce qu'est le dommage
écologique et celle de savoir s'il faut vraiment un dommage ou si le
simple risque d'une dégradation suffit à considérer que le
principe pollueur payeur serait d'application.
Dans ce cas là, c'est ce qui justifie toutes les
mesures préventives et que notamment le pollueur doit payer tous les
frais de monitoring pour surveiller, par exemple, ses eaux usées.
Très souvent, on est en face de plusieurs pollueurs. En effet, il n'est
pas aisé de déterminer qui est le pollueur. Le fabricant de
produit ou l'utilisateur de celui-ci. Est- ce l'industriel ou le consommateur ?
Au sein même d'une entreprise, on pourrait se poser la question de savoir
qui est le pollueur : les organes dirigeants de l'entreprise, ou les
préposés, ou encore les fabricants de l'installation qui fabrique
le produit, etc.
On recherchera l'agent qui joue un rôle
prépondérant dans la production de la pollution.
Quant au payeur
Le payeur est le pollueur mais la question qui se pose est celle
de savoir selon quelle technique il doit payer :
- soit un transfert des ressources financières du pollueur
vers le pouvoir public en charge de la décontamination ;
- soit la prise en charge directe du dommage causé par le
pollueur.
En ce qui concerne le montant du paiement : il doit couvrir le
dommage immédiat seulement ? Où il doit prendre en compte
d'éventuel dommage dans le futur ?
B Principes axés sur des valeurs
morales
1 Le caractère axiologique de certains principes
du droit de l'environnement
Si l'on examine de plus près certains principes on
verra affleurer des valeurs dépassant la sphère de la technique
juridique. L'identification du contenu des principes du droit de
l'environnement impose, plus que pour d'autres types de normes juridiques, que
l'on découvre les valeurs extra-juridiques qui les imprègnent.
C'est d'ailleurs là le propre de tout type de principes juridiques que
de refléter au sein de la sphère juridique des idéaux qui
ne sont pas propres à celle-ci (14) Ainsi,
le principe de précaution répond-t-il au souci éthique de
s'abstenir dans le doute en vue de sauvegarder la protection des
intérêts des générations futures qui pourraient
être affectées par une gestion imprudente des ressources
naturelles (15). , le principe du pollueur payeur
traduit-il la prise en compte dans le droit positif d'un idéal
d'équité (pas d'enrichissement sans cause). De même, le
principe d'un haut niveau de protection de l'environnement trahit le souci de
ne pas brader la protection de l'environnement au profit d'autres
intérêts.
14 Un parallélisme peut être dressé ici
avec les principes généraux du droit qui renvoient à un
certain nombre de valeurs sur lesquelles le système juridique repose et
qu'il convient de sauvegarder (M. VAN de KERCHOVE et Fr OST, Le système
juridique, op. cit, p. 93). Ainsi quelle que soit leur individualité
propre, les principes généraux sont fonction de principes
exprimés par d'autre sphères d'activités de la
société humaine sur lesquels ils agissent à leur tour (H.
BUCH, `'La nature des principes généraux du droit», in
rapport belge au VI ème congrès international de droit
comparé, Bruxelles, Bruylant, 1962, p. 59).
15 En ce sens R. ATTFIELD `'The Precautionary Principle and
Moral values'', in interpretating the precautionary Principle op. cit, p. 157;
A. KISS, `' The right and Interest of future Generations and precautionary
Principle», in The precautionary principle and international law. The
challenge of implementation, op. cit. , p. 19 Voir Egalement Fr. OST, `'Les
études d'incidences : un changement de paradigme ?», in
L'évaluation des incidences sur l'environnement : un progrès
juridique ? Bruxelles, Publication des Facultés Saint-Louis, 1992, p.
11
Mais cette influence ne s'exerce pas dans un sens unique car,
de manière inverse, la juridicisation de principes peut elle-même
influencer l'évolution des valeurs. Dans cet ordre d'idées, P.
Lascoumes estime que les principes introduits par la loi
"Barnier"(16) sont susceptibles de renforcer "la
reconnaissance sociale de nouvelles valeurs tels la biodiversité, le
développement durable, une responsabilité étendue et
l'accès à l'information"(17)
2 Duplicité des principes
Le caractère axiologique marqué des principes
est pourtant à la source d'un certain nombre de difficultés.
D'abord, la plupart des valeurs auxquelles ceux-ci renvoient sont à ce
point imprécises, qu'elles ne garantissent plus la
sécurité juridique. L'on se plait d'ailleurs à dire que
"plus la notion est présentée comme fondamentale, plus les
incertitudes la concernant deviennent grandes"(18)
Il convient, par ailleurs, de garder à l'esprit qu'en accordant une trop
grande importance aux valeurs guidant les principes, l'on risque d'occulter les
choix socioéconomiques qui les sous-tendent. Un décalage
important peut en effet apparaître entre les valeurs exprimées
à l'appui des principes et l'idéologie sous jacente
(19)
Plusieurs exemples permettent d'illustrer la duplicité
de certains principes. Le principe du pollueur-payeur qui semble traduisant
dans le droit positif un idéal d'équité (ce n'est pas
à la collectivité de prendre en charge les dommages causés
par des pollueurs individuels), ne masque-t-il pas des préoccupations
d'ordre économique (la lutte engagée contre les aides d'Etat dans
la perspective de garantir une économie de marché où la
concurrence n'est pas faussée)? Dans le même ordre d'idées,
le principe de prévention peut cacher sous ses atours les plus
attrayants le souci de ne pas remettre en cause, au nom de la protection de
l'environnement, un modèle d'exploitation de type capitaliste. Le
principe ne revient-il pas à admettre un juste équilibre entre la
liberté d'entreprendre et la protection de l'environnement, étant
donné que la seule prévention des dommages environnementaux peut
s'exercer par le contrôle des activités polluantes et n'implique
pas nécessairement leur suppression?
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