Paragraphe II: La dimension éthique
Elle a pour objectif l'atteinte de meilleures conditions de vie
(A), et une réelle justice sociale (B)
A L'amélioration des conditions de vie
1 Abolition de la pauvreté
Ce principe est important, car la pauvreté en
elle-même génère des dommages environnementaux. La
Déclaration de Stockholm et la Déclaration de Rio ont d'ailleurs
reconnu le fait que la plupart des problèmes environnementaux trouvent
leur origine dans l'état de sous-développement.
Les efforts pour enrayer la pauvreté se sont
manifestés avec plus d'amplitude au début des années
soixante-dix avec l'avènement de la doctrine du Nouvel ordre
économique international et de sa Charte des droits et devoirs
économiques des États.(96) Cet
instrument
93 Convention de Vienne sur la notification rapide d'un accident
nucléaire, reproduite (1986)25 I.L.M.1370; Convention de Vienne sur
l'assistance en cas d'accident nucléaire ou de situation d'urgence
radiologique, reproduite à (1986) 25 I.LM. 1377.
94 UNEP : Guide de Londres pour l'échange d'information
sur les produits chimiques dans le commerce international, UNEP/GC. 15/9/Add.
Supplement3 .
95 Charte des droits et devoirs Economiques des Etats, .
Doc.Off.A.G.,29e session, supp. no. 31, p.5, Doc.N.U. A/9631(1976)
96 Id.
constitue un véritable code des relations
économiques internationales des États, qu'elles soient
commerciales, monétaires ou financières et prévoit a son
article 30 que la politique environnementale de tous les États devrait
avoir pour effet de renforcer le potentiel de développement actuel et
futur des pays en voie de développement et ne devrait pas y porter
atteinte.
Dans la mesure où elle cherche à résoudre
les questions de pauvreté qui sont reliées aux questions
environnementales, cette Charte a établi un cadre juridique pour le
développement du principe d'abolition de la pauvreté. Cette
Charte n'est toutefois pas un instrument obligatoire et les Etats
industrialisés ne lui accordent pas le même poids que les pays en
développement
Des efforts subséquents pour l'appuyer ont
été constatés au plan régional par l'adoption
d'instruments complémentaires. La Déclaration de
l'Amazonie(97) par exemple
reconnaît expressément que la pauvreté inflige un stress
sur l'environnement.
D'ailleurs, les statistiques indiquent que, les pays
industrialisés consomment 83% des ressources mondiales bien qu'ils ne
représentent que 25 % de la population du globe tandis que les pays du
Sud qui représentent 75 % de la population ne profitent que de 17% de
ces ressources. (98)
Avec trop peu de ressources financières, un État
est incapable de développer son économie pour faire face à
un marché très compétitif. Sa seule préoccupation
devient alors d'encaisser des revenus rapidement sans prendre en
considération les conséquences de ces choix immédiats sur
l'environnement et les possibilités de développement à
long terme. La Commission mondiale sur l'environnement et le
développement explique l'impact du cercle vicieux de la pauvreté
sur l'environnement en ces termes:
"Environmental stress has often been seen as the result of the
growing demand on scarce resources and the pollution generated by the rising
standards of the relatively affluent. But poverty itself pollutes the
environment, creating environmental stress in a different way. Those who are
poor and hungry will often destroy their immediate environment in order to
survive: they will cut down forests; their livestock will overgraze grasslands,
they will overuse marginal land; and in growing numbers they will crowd into
congested cities. The cumulative effect of these changes is so far reaching as
to make poverty itself a major global
scourge".(99)
L'abolition de la pauvreté constitue l'aspect le plus
délicat du développement durable et requiert qu'une approche
active soit adoptée, notamment par une collaboration plus grande des
États.
2 Le droit à un environnement sain
L'article 1 de la Déclaration de Stockholm
prévoit que l'homme à un droit fondamental à la
liberté, à l'égalité et à des conditions de
vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette
de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel
de protéger
97 Déclaration de l'Amazonie, reproduite a (1989) 28
I.L.M. 130.
98 Voir J.V. ZAPATA LUGO, Sustainable Development: A Role for
International Environmental Law, thèse de maîtrise,
Université McGill, Montréal, 1993, aux pages 75 et ss.
99 Notre Avenir à Tous, Genève, 1987,
458p.. ci-après le Rapport Brundtland op.cit., , p
92.
et d'améliorer l'environnement pour les
générations présentes et futures. A cet égard, les
politiques qui encouragent ou qui perpétuent l'apartheid, la
ségrégation raciale, la discrimination, les formes, coloniales et
autres, forme d'oppression et de domination étrangère sont
condamnées et doivent être éliminées.
Le droit à un environnement adéquat constitue
donc une pré-condition pour le respect de tous les autres droits.
Toutefois, peu d'instruments internationaux, à ce jour, ont reconnu
l'existence d'un droit humain à un environnement sain. L'une des rares
références à ce droit est celle retrouvée dans la
Déclaration de Stockholm qui a tenté de relier les questions
environnementales aux droits humains fondamentaux.
Dans l'état actuel du droit, il n'est pas possible
d'affirmer qu'il existe un principe général de droit reconnu par
les nations civilisées au sens de l'article 38 (1)c) du Statut de la
Cour internationale de Justice (100) qui
incorporerait un droit fondamental à un environnement adéquat.
Toutefois, un processus de formation est amorcé. La source des droits
humains trouve généralement son origine dans le droit domestique
et on peut constater que déjà plusieurs
législations nationales et constitutions imposent maintenant un devoir
exprès ou implicite à l'État de protéger
l'environnement (101)
Toutefois, les nombreux efforts qui ont été
déployés, sur le plan international, pour établir ce droit
à un environnement sain, n'ont pas eu de succès jusqu'à
présent. Notamment, un groupe d'experts mondiaux a proposé la
création d'un droit humain fondamental dont l'objet immédiat et
direct vise la restauration et la conservation de
l'environnement.(102) Ils ont proposé la
formulation suivante:
"Tous les êtres humains ont le droit fondamental a un
environnement adéquat pour leur santé et leur bien être".
Cette formulation décrit une relation encore plus proche entre
l'humanité et l'environnement en référant explicitement au
concept de santé et de bien-être.
Elle impliquerait au moins une obligation internationale des
États entre eux, si ce n'est vis à vis des êtres humains,
de protéger adéquatement l'environnement. Cette formulation peut
aussi être analysée comme un droit humain substantif ou au moins
un droit permettant, au moyen d'un droit accessoire plus procédural, la
possibilité de recours pour se protéger contre la violation par
l'État ou autres entités ou personnes, d'un intérêt
juridiquement reconnu à un environnement sain et
adéquat.(103)
100 Statut de la Cour internationale de Justice,
C.N.U.C.I.O.,vol. 15 .
101 Voir l'affaire Minors Oposa c. Sec. of dept. of env. &
Natural Resources, reproduite à (1994)33 I.LM. 173, une décision
rendue par la Cour suprême des Philippines, reconnaissant un droit
d'action des générations futures dans la protection de
l'environnement découlant du droit à un environnement sain
accordé en vertu de l'article 16 de la Constitution de 1987 des
Philippines.
Dans cette affaire, la Cour a ordonné I'arrêt du
projet immobilier et de la coupe à blanc des forets visées.
102 ,voir: Experts Group on Environmental Law of the WCED,
Environmental Protection and Sustainable Development: Legal Principles and
Recommendations, London, Graham & Trotman/Martinus Nijhoff, 1986.
103 Dans ses commentaires, le groupe d'experts mondiaux
écrit qu'il est clair que ce droit ne protège pas uniquement les
intérêts des Etats entre eux, particulièrement lorsqu'on
l'interprète à la lumière de l'obligation des Etats
d'assurer la conservation de I'environnement et des ressources au
bénéfice des générations futures et
présentes.
Toutefois un droit d'accès égal des individus
aux systèmes judiciaires des États- Parties pour réclamer
en justice des dommages résultant d'impacts environnementaux
transfrontières constitue un accessoire essentiel du droit à un
environnement sain.
La mise en oeuvre et l'effectivité de ce principe
nécessite l'action législative des Etats et son efficacité
dépendra des systèmes judiciaires, des législations
environnementales et de l'harmonisation de celles-ci entre les
États(104). La Convention nordique sur la
protection environnementale(105) fournit la preuve
de l'introduction de ce principe en droit international. Ce droit
d'accès aux systèmes judiciaires étrangers pourrait
rehausser ou aider à faire reconnaître le droit à un
environnement sain, et ce, les principes 10 et 13 de la Déclaration de
Rio le démontrent bien, car dans la mesure ou il est possible pour un
individu d'obtenir réparation de dommages en relation avec
l'environnement, celui-ci sera mieux protégé.
B Les conditions d'une réelle justice
sociale
1 Les obligations communes mais
différenciées
Ces obligations qui découlent et sont à la base
même du principe de l'abolition de la pauvreté, sont
codifiées aux principes 12, 23 et 24 de la Déclaration de
Stockholm et retrouvées dans plusieurs conventions
récentes(106). En large partie le fruit des
négociations à l'échelle mondiale menées par le
C.N.U.E.D., ces obligations trouvent leur fondement dans les principes du
Nouvel ordre économique et plus particulièrement dans le principe
d'égalité de participation des pays en développement dans
les relations économiques.(107)
Le but poursuivi par le Nouvel ordre économique
étant d'atteindre l'égalité parmi les membres de la
Communauté internationale, cela doit se refléter non seulement
dans les règles de partage des richesses tirées du système
économique, mais aussi dans la structure et les modalités de
fonctionnement du système des relations économiques.
Ces obligations impliquent donc une obligation accessoire des
nations industrialisées, d'assister financièrement et
technologiquement les pays en voie de développement pour leur permettre
d'abandonner les technologies désuètes au profit des technologies
de pointe.(108)
La Convention sur les changements
climatiques(109) constitue un des meilleurs
exemples de la mise en oeuvre de cette obligation au moyen de deux
techniques.
104 Pour une discussion sur l'enchâssement
constitutionnel de droits environnementaux, voir E. BRANDL & H. BUNGERT,
"Constitutional Entrenchment of Environmental Protection: A comparative
Analysis of Experience Abroad", (1992)16 Ham. Envtl. L Rev.1
105 Convention nordique sur la protection environnementale,
reproduite à (1974) 13 I.L.M. 591 voir S. MURASE,"Perspectives from
International Law on Transnational Environmental Issues" (1995) 253 R.C.A.D.1.
397, aux pages 305 et ss.
106 Par exemple. Voir la Convention sur la diversité
biologique, reproduite à (1992)31 I.L M .818.
: Protocole de Montréal relatif à des substances
qui appauvrissent la couche d'ozone,. reproduite à (1987)26 I.L M.
1541.
107 J. MAKARCZYK, Principles of a New International Economic
Order, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1988, 367p.
108 Voir D.B. MAGRAW, "Legal Treatment of Developing Countries:
Differential, Contextual and Absolute Norms", (1990) 1 Co/o.J. Int'l Envtl.
L.& Policy 69.
109 Convention cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques,. reproduite à (1992) 31 I.L.M.
L'une consiste en l'adoption d'une approche à deux
niveaux pour la réduction des émissions, par laquelle les pays
industrialisés s'engagent à réduire significativement et
immédiatement les émissions des substances visées, tandis
que les pays en développement ont considérablement plus de
latitude en termes de degré de réduction et de délais pour
atteindre le même niveau de réduction. Le deuxième moyen
est l'engagement des pays riches de fournir de l'assistance financière
et de promouvoir des transferts techniques et technologiques aux pays en
développement(110)
Le principe 7 de la Déclaration de Rio a prévu
cette responsabilité plus grande des pays industrialisés pour les
dommages environnementaux causés par le passé alors qu'au
même moment ces nations industrialisés ont les ressources, le
savoir-faire et les habiletés requises pour gérer et pousser plus
loin la protection environnementale.
Ces obligations communes mais différentiées
devraient à la longue entraîner un correctif dans les relations
entre les pays Nord-Sud par application du principe d'inégalité
compensatrice.
2 Le règlement pacifique des différends
environnementaux
La relative rareté et l'épuisement de certaines
ressources telles les stocks de poisson, les espèces
génétiques, le pétrole, les forets, l'eau potable et
autres, comportent un potentiel élevé de conflits entre les
Etats, constituant ainsi une menace latente pour la paix et la
sécurité mondiale. C'est pourquoi le principe de règlement
pacifique des différends doit être endossé comme
règle de base des schémas de protection environnementale, et ce,
conformément à l'article 2(3) de la Charte des Nations-Unies
prévoyant que tous les États doivent régler leurs disputes
par des moyens pacifiques et d'une manière telle que la paix, la
sécurité internationale et la justice ne soit pas compromises.
C'est dans cet esprit que la Déclaration de Rio
incorpore ce principe et souligne également l'importance des
mécanismes de règlement pacifique des différends pour
l'atteinte du développement durable.(111)
Le groupe d'experts de la Commission mondiale sur
l'environnement(112) a prévu une
codification détaillée des mécanismes de règlement
des disputes environnementales qui pourrait être très utile, car
elle fournit une procédure applicable à un vaste éventail
de situations.
Cette procédure prévoit que les États ont
l'obligation de recourir à l'une des différentes techniques
disponibles en droit international soit, la négociation, les bons
offices, l'enquête, la médiation, la conciliation, l'arbitrage, le
règlement judiciaire, le recours à des organisations
appropriées ou à des accords globaux ou régionaux ou tout
autre mode pacifique de règlement de leur choix. Si les parties
n'arrivent pas, dans un délai raisonnable, à régler leur
différend par l'utilisation d'une certaine méthode, elles doivent
chercher à le régler par un autre moyen reconnu.
Si après une période de 18 mois, une solution
n'est toujours pas atteinte, une des parties peut soumettre le litige
à un processus de conciliation à moins qu'il n'y ait entente
entre les parties
110 Voir par exemple les articles 20 et 21 de la Convention sur
la diversité biologique, op cit., note 106.
111 Voir la Déclaration de Rio sur l'environnement et le
développement, principes 23, 24, 25.
112 Experts Group on Environmental Law of the WCED op. cit., note
106.
pour procéder par un autre moyen déjà
convenu ou pour soumettre le différend à une autre méthode
de règlement des différends. Finalement, en cas d'échec de
cette dernière tentative, l'une des parties peut soumettre le
différend pour arbitrage ou pour règlement judiciaire, sous
réserves d'une entente pour soumettre le différend à un
autre mode alternatif de règlement des conflits.
Ce principe pourrait favoriser l'atteinte du
développement durable, parce que les mécanismes
suggérés pourraient prévoir l'utilisation du droit
international de l'environnement, des principes et de la pratique
internationale en ce domaine qui s'est développée. Ce
système adjudicatif permettrait de créer des
précédents qui pourraient faire avancer le droit de
l'environnement, notamment en permettant une prise en compte plus efficace de
ses obligations et principes.
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