Chapitre II: Les conditions d'une réelle
convergence
L'atteinte d'une réelle convergence entre politique
environnementale et commerciale nécessite la prise en compte du
développement durable (section I) et une meilleure intégration
des différentes politiques (section II)
Section I: Les exigences du développement
durable
La Commission Brundtland a défini le
développement durable comme un développement qui répond
aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les
générations futures de satisfaire les leurs. Plus
précisément elle a déclaré que le
développement durable ... est un processus d'évolution durant
laquelle l'exploitation des ressources, l'orientation des investissements,
l'avancement du développement technologiques et les transformations
institutionnelles sont conformes à nos besoins aussi bien futurs que
présents.
Nous étudierons successivement la dimension
environnementale (paragraphe I) et la dimension éthique (paragraphe
II)
Paragraphe I: En terme environnemental
La dimension environnementale du développement durable
est mis en oeuvre à travers une gestion durable des ressources et des
milieux (A) et la recherche de meilleures politiques environnementales (B).
A Gestion durable
1 Equité
intergénérationnelle
Une dimension d'équité est reconnue en droit
international depuis l'époque de Grotius(72)
et celle-ci a fourni la base pour le développement de la doctrine
d'équité intergénérationnelle. Il faut noter que
cette doctrine n'est pas d'application exclusive au droit de
l'environnement.(73)
Cette doctrine cherche à fusionner deux concepts soit,
l'anticipation puis la création de normes afin d'assurer un traitement
équitable entre les générations sur une foule de questions
internationales, dont les questions environnementales.
72 W. WHEWALL(ed.), Grotius on the Rights of War and Peace,
(Cambridge: John W. Parker, 1853) Book III, voir le chapitre XVI.
73 Les ressources naturelles de la terre appartiennent tous,
pour être utilisées en commun, et être respectées,
nous enseigne la tradition aborigène. Quant a la tradition islamique,
elle considère que l'homme a hérité des ressources
culturelles et naturelles de la terre. L'utilisation de ces ressources est un
droit et un privilège partagés par tous de façon
intergénérationnelle. Sur la tradition aborigène, voir J.
FADDEN, The Great Law of Peace - The Longhouse Peoples, (New York: Onchiota
Inc., 1977). Sur la tradition islamique voir IUCN, lslamic Principles For the
Conservation of the Natural Environment, (1983).
Ce souci de préserver les droits des
générations futures est d'ailleurs présent dans toutes
sortes d'instruments notamment dans le préambule de la Charte des
Nations Unies(74) dans la Charte des droits et
devoirs économiques des Etats(75), la
Déclaration de Stockholm,(76) la Convention
de l'Unesco sur la protection du patrimoine culturel et naturel du
monde(77).
De plus, l'Assemblée Générale des Nations
Unies par l'adoption de sa Résolution sur la responsabilité
historique des États pour la protection de la nature pour le
bénéfice des générations présentes et
futures,(78) exhorte les Etats à
reconnaître l'importance fondamentale de la préservation de la
nature pour le bénéfice des générations
présentes et futures.
La proposition de départ de cette approche est que la
planète et son patrimoine culturel et naturel constituent un bien commun
partagé par chaque génération, à la fois en tant
qu'utilisateur et conservateur de ce patrimoine. Ceci implique une obligation
morale des États de se porter garants de la conservation des
éléments vitaux de la planète : l'air,
l'atmosphère, la couche d'ozone, les ressources culturelles, naturelles,
les conditions de la biosphère et de toutes les ressources essentielles
à la vie sur la planète, pour les générations
présentes et futures.
L'application de la doctrine d'équité
intergénérationnelle en droit international de l'environnement ne
crée pas en elle-même d'obligations juridiques ou de
droits,(79) mais elle peut conduire à
l'élaboration d'un système de droits et d'obligations
planétaires(80) susceptibles de se muer en
normes juridiques exécutoires ou même impératives dans la
mesure ou ces obligations seraient considérées comme
fondamentales. Un tel système de droits et d'obligations pourrait
permettre éventuellement d'assurer la protection de
l'intégrité de l'environnement au moyen d'une obligation directe
de protéger l'environnement.
Mais, pour l'instant, le seul consensus formé en droit
international de l'environnement porte sur la reconnaissance d'une
responsabilité des États envers les générations
futures et présentes de conserver notre planète. Mais, il s'agit
surtout d'une responsabilité morale, car à ce jour, il n'existe
pas d'obligations exécutoires et pas de droit d'action reconnus aux
États sur le plan international pour mettre en oeuvre cette
responsabilité. Toutefois, il ne fait pas de doute que
74 Charte des Nations-Unies, C.N.U.C.I.O., vol.15, p.365:
(1945) R.T.Can.No.7.; son préambule prévoit: " Nous, Peuples des
Nations-Unies résolus à préserver les
générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en
l'espace d'une vie humaine a infligé à I'humanité
d'indicibles souffrances."
75 Voir l'article 30 de la Charte des droits et devoirs
économiques des Etats, Doc.Off.A.G.,29e session, supp. no.
31, p.5, I3oc.N.U. A/9631(1976)
76 Déclaration de Stockholm sur I'environnement humain
de la conférence des Nations-Unies sur I'environnement humain, Doc. N.U.
A/C0NF.48/14/Rev.l pp.3 à 6 (1972), reproduite à (l972)ll ILM.
1416. ciaprès la Déclaration de Stockholm., principe 2.
77 Convention de l'Unesco sur la protection du patrimoine
culturel et naturel du monde, reproduite à (1972)1I.L.M. 1358. , voir 1'
article 4.
78 Resolution on the Historical Responsibility of States for the
Preservation of nature for present and future generations, U.N.Doc. A/RES/35/8,
reproduite à (1980) 34 Year book of United Nations 725.
79 Un droit est un intérêt protégé
juridiquement et toujours associé à un devoir ou une obligation.
La désignation de la protection d'un intérêt, comme celle
d'un droit dépend de la structure économique et sociale de la
société.
80 Voir E.B. WEISS, ln Faimess to Future Generations:
lnternationai Law, Commun Patrimony and lntergenerational Equity, New York,
Transnational Publishers: Dobbs Ferry, 1989, la page 122.
l'équité intergénérationnelle est
devenu un principe émergent en droit international de
l'environnement.
2 Utilisation équitable des ressources
Ce principe joue actuellement un rôle fondamental dans
le domaine des ressources naturelles partagées et jusqu'à
présent il a été utilisé principalement dans le cas
des rivières internationales. Élaboré en premier dans
l'Affaire du Lac Lanoux,(81) il reprend, dans sa
forme primitive, le principe 21 en ce qu'il établit la
souveraineté de chaque Etat sur les ressources situées sur son
territoire, tout en imposant l'obligation de ne pas causer de dommages à
l'État voisin.
Les Règles d'Helsinki sur l'utilisation des eaux et
rivières internationales de 1966,(82) ont
établi la règle que seule l'utilisation la plus équitable
de la ressource partagée entre plusieurs États est permise,
celle-ci étant déterminée en équilibrant des
facteurs prédéfinis. La souveraineté individuelle des
États est ainsi limitée car la ressource partagée, la
rivière ou autre source d'eau, est placée sous le régime
d'une sorte de propriété commune. Il s'agit là d'une forme
d'internationalisation des ressources limitant leur utilisation libre.
La Commission pour le droit international de 1991, dans un
projet de principes pour la conduite des États dans l'utilisation de
ressources partagées, (83) est allé
encore plus loin en élaborant le critère de "l'utilisation la
moins dommageable" à l'autre État, ou le critère du (no
appreciable harm), comme étant le plus important.
Ce critère prévoit la préservation de
ressources et s'exerce pour le bénéfice commun de
l'humanité, et son application comporte un impact au-delà des
générations présentes: il est de nature
inter-générationnelle. Sa prémisse de base consiste en
l'utilisation qui permet de tirer le bénéfice maximal de la
ressource, mais tout en causant le minimum de dommages à l'autre Etat
lors de ou par cette utilisation.
Bref, le principe d'utilisation équitable s'applique
principalement lorsque des activités pouvant affecter l'environnement
dans le domaine des ressources naturelles partagées sont entreprises,
mais il pourrait évoluer en un régime à plus large
échelle(84), bien qu'il n'ait pas par
lui-même la vocation d'enrayer la survenance de dommages au-delà
des juridictions nationales ou de contrer des habitudes de consommation
néfastes et destructives.
81 Affaire du Lac Lanoux, (Espagne c. France), (1957) 12 R.I.A.A.
281.
82 Règles d'Helsinki sur l'utilisation des eaux et
rivières internationale de 1966, (Helsinki Rules on the Uses of the
Waters of international Rivera as approved by the International Law Association
at its Fifty-second Conference at Helsinki 1966, Report of the Committee on the
Uses of international Rivers (London: International Law Association) 1967.
56p.
83 Principes de conduite dans le domaine de l'environnement en
matière de conservation et d'utilisation harmonieuse des ressources
naturelles partagées par deux ou plusieurs États. Nairobi, 19 Mai
1978, Doc-N.U. P.N.U.E/IG12/2 (1978), reproduit a (1978) 17 ILM. 1097.
L'Assembée Générale des Nations Unies a demandé que
ces directives et recommandations soient utilisées dans la formulation
de conventions bilatérales ou multilatérales concernant les
ressources naturelles d'une façon à favoriser et non pas affecter
le développement et les intérêts des pays, en particulier
les intérêts des pays en voie de développement.
84 C'était I'hypothèse soutenue par E. KIRK dans:
The Changing face of Sovereignty in international Environmental Law, Master
thesis, University of British Columbia, 1994.
Quelques auteurs l'ont classé parmi les principes de
droit coutumier, ou même, parmi les normes impératives du droit
international,(85) notamment vu sa large
acceptation et son importance pour préserver le bon voisinage et les
relations pacifiques entre les États ayant des droits sur des ressources
communes. Toutefois, ce principe a besoin d'être appuyé par des
principes complémentaires, comme l'équité
intergénérationnelle, le principe de précaution, le
principe d'intérêt commun de l'humanité.
B La recherche de meilleures politiques
environnementales
1 Etude d'impact environnementale
Cette obligation de plus en plus largement reconnue en droit
international a une importance fondamentale pour l'approche basée sur le
principe de précaution car une étude d'impact permet
l'équilibrage des intérêts environnementaux et
développementaux et ultimement a pour effet de prévenir les
dommages à l'environnement(86) Elle permet
également de promouvoir la conscience et la participation de la
communauté dans le processus de prise de décision
environnementale. (87)
Une étude d'impact peut être définie comme
une évaluation des impacts anticipés d'un projet des coûts
et des bénéfices et des alternatives potentielles. Il est
également nécessaire que l'attention soit portée aux
effets à long terme et dans une perspective
intergénérationnelle. Mais, l'étude d'impact doit
être guidée par le principe de précaution pour
déterminer les seuils acceptables et les conséquences
environnementales.
D'abord conçue comme un instrument national
l'étude d'impact joue un rôle de plus en plus important à
l'échelle internationale pour guider la conduite des États et des
transnationales, car de plus en plus, les activités humaines comportent
un impact transfrontalier.
C'est ce qui a conduit les Nations-Unies (PNUE) à
préparer une codification de principes pour régir la question.
Ces principes fournissent une base solide pour affirmer que l'étude
d'impact environnemental fait partie du développement durable.
Notamment, l'étude d'impact y est définie comme
étant un examen, une analyse et une évaluation des
activités planifiées en vue d'assurer un développement
durable.
Ces principes ont également mené à la
conclusion de la Convention sur l'évaluation de l'impact sur
l'environnement dans un contexte
transfrontière(88) qui lie les Etats membres
de la Communauté Européenne. Celle-ci souligne l'importance de la
participation publique dans le processus d'évaluation environnementale.
Les institutions multilatérales de développement ont elles aussi
emboîté le pas et commencé à adopter cette approche
préventive(89).
85 Voir J. BRUNNEE," Common Interest-Echoes from an Empty Shell -
Some Thoughts on Common lnterest and International Environmental Law ", (1989)
49 Zeitschrift Fur Auslandisches Offenthches Recht und Volkemcht 791,
pp.805-806. Voir aussi J.CHRISTENSON, " Jus cogens: Guarding lnterests
Fundamental to International Society", (1988) 28 Va. J.lnt7. L. 585.
86 C.K. CHESIVOIR, "Avoiding Environmental Injury: The Case for
Widespread Use of Environmental Impact Assessment in International Development
Projects" (1990) 30 Va. J.lntl Law.517
87 UNEP Goals and Principles of Environmental Impact Assessment ,
reproduit à ELGP 9, IPE I/D 19-06-87 207 L.C., 92, ch. 37.
88 Convention sur l'évaluation de l'impact sur
l'environnement dans un contexte transfrontière reproduite à
(199l) 3O /ILM 802.
89 Voir: I.F.I. SHIHATA, 'The World Bank and the Environment: A
Legal Perspective", (1992)16
De plus, l'étude d'impact a été
considérée comme la base du devoir d'informer les États
susceptibles de souffrir de dommages environnementaux transfrontières.
Il n'est donc pas étonnant que cette pratique ait maintenant acquis le
statut de norme de droit international coutumier.(90)
A cette fin, elle encourage la coopération internationale de se
développer entre les États pour mettre en oeuvre des
procédures réciproques efficaces pour la notification,
l'échange d'information et la consultation sur les activités qui
sont susceptibles d'avoir un impact transfrontière significatif.
2 Coopération environnementale
A ce jour, la mise en oeuvre de l'obligation de
coopérer constitue la réussite la plus importante du droit
international de l'environnement moderne. Elle est essentielle dans tous les
domaines de la protection environnementale.
Toutefois, la coopération internationale est toujours
basée sur la souveraineté des États. Le principe 24 de la
Déclaration de Stockholm prévoit l'obligation de
coopération aussi longtemps qu'elle n'empiète pas sur la
souveraineté étatique.
Le principe 7 de la Déclaration de Rio prévoit
pour sa part que les États doivent coopérer pour la conservation
des ressources dans un esprit de partenariat.
L'utilisation du verbe " doit " dans le libellé du
principe 7 de la Déclaration de Rio(91)
place une obligation sur les signataires qui a pour effet de limiter les
souverainetés étatiques et de donner contrôle à la
Communauté des États sur ces politiques par une
souveraineté partagée.
Ce principe 7 implique aussi que les États commencent
à concevoir les ressources comme étant une
propriété commune ou partagée en ce qu'il prévoit
la responsabilité étatique envers l'environnement global et
relativement a la poursuite du développement durable, et que
l'environnement n'est pas divisible en composantes nationales et en aires
extra-territoriales, mais qu'il constitue une entité dans laquelle tous
ont un intérêt et sur laquelle tous ont un contrôle
conjoint.
L'obligation de coopération internationale se traduit
le plus souvent par des obligations plus spécifiques, telle que
l'obligation de supervision environnementale.
Celle-ci peut être définie comme l'observation
continue, le mesurage, la collecte et la recherche d'information principalement
techniques. Elle comporte un impact direct sur la prévention des
dommages environnementaux et, à long terme, sur les conditions d'un
écosystème et sa réponse a l'interférence
humaine.(92)
MaryIand Journal of international Law and Trade 1.
90 Voir P.W. BIRNIE et A.E. BOYLE, international Law and the
Environment, Oxford, Clarendon Press, 1992, à la page 97,
91 Déclaration de Rio sur l'environnement et le
développement, principe 7: " Les Etats doivent
coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de
protéger et de rétablir la santé et
l'intégrité de l'écosystème terrestre. Etant
donné la diversité des rôles joués dans la
dégradation de l'environnement mondial, les Etats ont des
responsabilités communes mais différenciées. Les pays en
développement admettent la responsabilité qui leur incombe dans
l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu
des pressions que leurs sociétés exercent sur I'environnement
mondial et des techniques et des ressources financières dont ils
disposent."
92 Voir K. SACHARlEW, " Promoting Compliance with International
Environmental Standards: Reflections on Monitoring and Reporting Mechanisms,
(1991)2 Yearbook of international Environmental Law 31, et P. SANDS, "Enforcing
Environmental Security: The Challenges of Compliance with international
Obligations", (1993)15 Journal of International Affairs 46.
L'obligation de faire rapport découle également
de l'obligation plus générale de coopérer en
matière environnementale. Elle est souvent établie par un cadre
institutionnel ou les rapports sur les mesures prises par les États sont
reçus, étudiés, évalués. Cette obligation
implique aussi la collecte, la transmission et l'assemblage de
l'information.
Les obligations d'évaluer l'impact environnemental et
d'échanger l'information constituent également des obligations
découlant de la coopération internationale.
L'information est à la base de toute décision
saine, solide et valable en matière environnementale et, dans le
contexte transfrontière, elle peut indéniablement contribuer
à la protection environnementale.
Dans la mesure où les États partagent
l'information sur les activités qui ont le potentiel d'affecter
l'environnement des autres Etats, il y a de meilleures chances que des mesures
préventives puissent être prises pour éviter des dommages
environnementaux. L'information place les États dans une meilleure
posture pour prévenir et réduire leurs dommages respectifs. Cette
obligation a conduit à la conclusion de plusieurs
Conventions(93) et de code de
conduites(94) qui permettent de conclure que
l'obligation d'information et de notification des urgences environnementales
sont maintenant des normes de droit international coutumier.
La Charte des droits et devoirs économiques des
Etats(95) adoptée par 118 États
prévoit a son article 30 que tous les États devraient
coopérer à la mise au point de normes et d'une
réglementation internationales en matière d'environnement. Mais,
il demeure toutefois que l'établissement de cette coopération
pour la conservation internationale des ressources n'est pas une tâche
facile, notamment à cause des intérêts économiques
en jeu. Le principe 7 de la Déclaration de Rio pourra peut-être
amener une évolution du droit à cet égard pour continuer
le précédent amorcé par le révolutionnaire concept
de patrimoine commun de l'humanité.
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