CHAPITRE II : L ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE
MORAL EN DROIT CONGOLAIS
SECTION I : LES BENEFICIAIRES DE L ACTION EN
REPARATION.
§ 1. Position doctrinale et légale.
Une fois que le dommage, la faute et le lien de
causalité sont établis66 la victime du dommage a droit
à l exercice de l action en réparation. Le problème ne
présente pas de difficulté quand il s agit de dédommager
la victime directe de l acte fautif.
Mais la question devient difficile à résoudre
à partir du moment où le préjudice atteint plusieurs
personnes à la fois. En effet, les conséquences d un accident
mortel par exemple peuvent porter préjudice à plusieurs individus
; un décès cause presque toujours de « véritables
catastrophes bouleversant la situation de tous ceux qui croyaient pouvoir
compter pécuniairement sur le disparu et semant la douleur chez tous
ceux qui avaient pour lui une affection véritable ». Dès
lors comment limiter des actions en réparation intentées à
la suite d un décès accidentel ?
66 : Voir cependant la valeur de ces éléments en
droit coutumier in : KALONGO MBIKAYI : problèmes d adaptation des
principes moteurs de la responsabilité civile en droit privé
zaïrois in cahiers (ex-études Congolaises), n° 1 mars avril
1970.
Toutes ces personnes peuvent-elles bénéficier d
une action en responsabilité contre l auteur du décès ? C
est là tout le problème des bénéficiaires de l
action en réparation du dommage moral. Faut-il limiter la liste des
bénéficiaires de cette action ? Si oui comment fixer cette limite
; quels sont les critères de limitation ?
§ 2. Adoption d un critère
général : « Les liens de
parenté ou d alliance»
La jurisprudence congolaise a fixé un critère
général au regard duquel doivent s apprécier l affection,
la douleur de la victime d un dommage. « Le dommage moral, en effet,
résulte des liens étroits de parenté ou d alliance qui
unissent la victime à ceux qui demandent réparation, il s
apprécie sur base de ces liens, ex aequo et bono »67. Il
convient d analyser ce critère et en donner la portée
réelle. Que faut-il entendre par « liens de parenté ou d
alliance » ?
§ 3. Analyse de ce
critère.
Le dictionnaire du Droit définit la parenté
comme « le lien entre deux personnes descendant en ligne directe ou en
ligne collatérale soit l une de
l autre soit toutes deux d un auteur commun. La ligne directe
se subdivise en ligne ascendante et en ligne descendante. On distingue
également la ligne paternelle et maternelle »68.
Par ailleurs les alliés sont « des personnes non
parentées qui viendraient à la suite d un mariage se joindre
à la famille. L alliance n engendre des rapports qu entre chaque
époux et les parents de l autre »69.
Ce critère est général. Si notre
jurisprudence veut rester logique avec elle-même, elle devra chaque fois
qu elle y recourra, donner au terme « parent » une portée
générale : ce terme devra viser aussi bien les parents
67 Cour d Appel de Léo, 28 sept 1954, R.J.C.B
1955, p. 89 ; Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 Cour d
Appel juillet 1943, R.J.C.B 1944, P. 48
68 Dictionnaire de Droit, T II, paris, librairie
Dalloz, 11, 1960.
Nous aurons pu partir des définitions Zaïroises, mais
la jurisprudence écrite qui pose ce critère ne définit
nulle part ce qu elle entend par parenté ou alliance. Il faut donc tenir
compte du fait que les termes parenté et alliance auront une coloration
différente selon que nous voyons les problèmes sous l angle droit
écrit ou celui de droit coutumier. On
consultera à ce sujet pour plus de détail KALONGO
MBIKAYI, in responsabilité civile et socialisation de risque en droit
Zaïrois P. 32 à 37.
69 Dictionnaire de Droit précité, p.
250. D.I.64.1.99, S. 63. 1. 231 cité par H. Mazeaud : op. Cit. p. 79
germains, consanguins qu utérins. Il existe
également plusieurs sortes de parenté : la parenté
naturelle et la parenté adoptive.70
Cette formule a été reprise par la jurisprudence
française. Pour cette jurisprudence, ce critère a
été d une grande utilité dans la recherche des solutions
aux problèmes que pose la réparation du dommage moral. Il traduit
un net progrès quand nous le comparons à la formule encore plus
générale dont a usé la cour de cassation française
dans un arrêt de sa chambre criminelle du 20 février 1863 et dans
lequel elle affirmait qu on ne pouvait pas tenir compte de la nature du lien
qui doit unir en cas de décès la victime du fait avec lui de ses
ayants droit qui en demanderait réparation »71 .
Beaucoup d arrêts de la Cour de cassation
française vont dans la suite reproduire textuellement ce
motif72 sans se rendre compte du fait que la cour de cassation n
avait usé de cette formule que pour « rejeter certaines
distinctions qu on lui demandait d établir entre les membres de la
famille de telle sorte qu elle ne voulait peut-être point affirmer par
là que le cercle des réclamants puisse dépasser celui de
la parenté et d alliance ».
Cette erreur sur la portée réelle de la formule
de la cour de cassation a amené les juridictions inférieures
à interpréter à la lettre l arrêt
précité de 1863. Cette interprétation aboutissait à
l affirmation selon laquelle « toute personne se prévalant d une
douleur réelle, quel que soit le lien l unissant au défunt
(parenté, alliance, amitié ) devait obtenir réparation
». Aussi verrons-nous dans la suite non seulement des parents
éloignés mais aussi des personnes sans lien de parenté ni
d alliance avec la victime, de simples amis et même des concubines
admises à se plaindre de la lésion éprouvée par
leurs sentiments
d affection.
70 Idem p. 249 (Gaz. Pal. 1924.2.145, pars, 6
février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31 oct. 1930, vo
Marty, note S. 1931.1.38 (VI) cités par H. MAZEAUD : op. Cit p. 79,
71 D.I..64.1.99, S.63. 1.231 cité par H.
Mazeaud : Op. Cit p. 79 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport
Pilon, S.
1931.1.1923 cité par H. MAZEAUD : op.cit.p.79 Voir Pilon
rapport précité (D.P 1931.1.38) (IX-X) cité par H. MAZEAUD
:
Op.cit.p.80 Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD
:p.80,11 mai 1928 (S.1928.3.98) et note de M. HAURIOU cité par H.
MAZEAUD p ; 80 : op. Cit. p. 80
72 Sur cette jurisprudence, voir Pilon, rapport sous
Reg. 2 février 1931 (D.P 1931.1.38) cité par MAZEAUD H. :Op. Cit.
p.79
Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD : Op Cit.p.79 H.
MAZEAUD : op.cit p. 79, Montpellier, 24 juin 1924. Gaz. Pal. 1924.2.145, Paris,
6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31.10.1930, Vour
Marty, note S.1931.1.38(VI) cité par H. MAZEAUD : op.Cit, P.79
Devant cette multitude d actions contre un seul responsable, il
faudra attendre l arrêt du 2 février 193173 pour voir
apparaître un critère nouveau, une nouvelle formule plus
restrictive que la première : « le lien de parenté ou
d alliance ». Le principe est posé : seuls les
parents et alliés peuvent exercer
l action en réparation. Mais pourquoi la chambre des
requêtes a-t-elle posé ce critère ?
La première explication réside dans le souci de
limiter le nombre d actions. La seconde est celle proposée par la
doctrine. Elle est d ordre juridique et part du fait que le « dommage doit
porter atteinte à un droit acquis ». Ce que l on exige ici est non
seulement la certitude du dommage mais aussi et surtout la lésion a un
droit. C est ce sens qui a été adopté par le conseil d
Etat. Malheureusement comme le souligne H. Mazeaud, cette justification ne
pouvait pas conduire à la limitation admise par la chambre des
requêtes. Dans le cadre de notre travail, le droit lésé
reste sans doute le droit à l affection. Peut-on alors limiter ce droit
à l affection ? il faut admettre que les parents et alliés sont
nombreux. Est-il possible de leur permettre d agir tous, chacun pour son
compte, en réparation de la douleur éprouvée ?
C est ici qu apparaît la faiblesse du critère.
Sans être dépourvu de toute utilité, ce critère ne
joue pas réellement son rôle qui est celui de limiter le nombre d
actions. Cependant il faut reconnaître qu il est difficile de poser dans
une matière aussi délicate, des critères rigides sans
courir le danger de verser dans l arbitraire. Le juge ne devrait pas se sentir
trop prisonnier de ce principe.
Nous venons de situer le critère de « lien de
parenté ou d alliance » et de démontrer en quoi il a
constitué pour la jurisprudence française qui s en est servi la
première, un progrès manifeste. Il nous reste à voir son
application réelle aussi bien en France qu au Congo.
73 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et
rapport PILON, PILON, S. 1931.1.1923 cité par MAZEAUD H. : Op. Cit, P.79
Voir Pilon.
Rapport précité (D.P 1931.1.18) (IX-X) cité
par H.MAZEAUD :Op.Cit, P.80
a) Sa portée réelle.
Le critère « liens de parenté ou d alliance
» est resté, comme nous venons de le voir, dangereux, il est
général. La jurisprudence française l a exploité
à fond. Elle a allongé la liste des personnes qui peuvent agir en
justice contre le responsable de l acte fautif. Cette action
réservée d abord au conjoint, aux enfants et aux ascendants du
défunt, a été étendue à des frères et
s urs du défunt, aux grands parents d un enfant naturel et finalement
à toute personne pouvant justifier d une simple communauté de vie
avec la victime. C est ainsi que la filleule d une victime peut avoir droit
à l action en réparation, qu une mère naturelle,
même sans avoir reconnu son enfant pouvait bénéficier de l
action dans la mesure où elle avait possession d état de
mère naturelle. N estil pas un cas d indignité ?
Les tribunaux français ont parfois
dépassé le cadre circonscrit par le critère de lien de
parenté ou d alliance en admettant par exemple, l action d une
fiancée, celle de toute personne justifiant d une simple
communauté de vie avec la victime, etc.
Cette « extension funeste » a inquiété
certains auteurs. « Actuellement, écrit DE PAGE, on peut voir des
frères indifférents ou hostiles l un à l autre, de
beaux-parents qui haïssent du fond du c ur leurs beaux enfants, se
souvenir de leur affection « légale » pour la monnayer. Et qui
sait, continue-t-il, où l on s arrêtera dans cette voie, à
présent que toute limitation sérieuse a disparu : l
arrière petit cousin, l ami, le voisin vont bientôt être
conviés au partage du butin »74.
Notre jurisprudence n a pas encore connu de cortège d
ayants droit. Cette situation, nous semble-t-il, s expliquerait par le fait que
le plus souvent les gens ignorent leurs droits et n introduisent pas toujours
des actions en réparation du dommage moral, subi à la suite du
décès accidentel d un parent. Des quelques cas examinés,
il ressort que la liste des « demandeurs se limite soit au conjoint et aux
enfants quand il s agit du père ou de la mère qui est
74 H. DE PAGE; Traité
élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Ets. Bruylant,
1964, P. 953.
victime, soit aux parents au sens strict quand la victime est
un enfant .75 Est-ce à dire que tous les autres parents et
alliés : frères, s urs, neveux, cousins, beaux-parents, amis n
ont pas droit à l action en réparation ? Nous ne le pensons pas.
Et c est ici que l on peut poser le problème de l avenir et se demander
quelle serait la position des tribunaux Congolais devant les actions
d un frère, d une s ur, d un cousin Devront-ils les
déclarer fondées ? C est une question de politique
législative et de culture de prétoire qui semble engendrer peu d
intérêt pour le congolais dans ce cas de question
préjudicielle.
Nous pensons personnellement que pour rester logique avec
elle-même, la jurisprudence congolaise devra admettre toutes ces actions.
Notre opinion se fonde sur le fait que l article 258 de notre code civil, livre
III milite en faveur de cette solution, compte tenu du caractère
général de ses termes ; ensuite le critère de « lien
de parenté ou d alliance » adopté par la même
jurisprudence reste à son tour général ; il inclut aussi
bien l action d un frère, d une s ur,
d un cousin que celle d un beau-père. Néanmoins
une liste, pensons-nous, s impose car le caractère général
de cet article ne saurait à tout coup justifier uniquement cet
article.76 Le problème est encore plus délicat sur le
plan du droit coutumier où la solidarité jouant, la notion de
parenté est encore beaucoup plus ressentie. Peut-être, pour ne pas
retomber dans l excès, faudra-t-il que les tribunaux congolais en
arrivent à une meilleure formule qui « se tiendrait à
égale distance entre l excès de généralité
et l excès de précision », mais osons car dit-on, du choc
des idées jaillit la lumière.
b) Possibilité d une pluralité d ayants
droit
Comme nous venons de le voir, le critère adopté par
notre jurisprudence est général. Son seul avantage, c est qu il
permet d exclure du bénéfice de
l action en réparation tous les non parents et les non
alliés.
75 Cour d Appel de Léo, 27 sept. 1954, RJCB
1955, P. 89 Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, RJCB 1961, P.13 Cour d Appel d
Elis, 26 mai 1964, RJCB 1964, P. 176. Cour d Appel d Elis, 23 mars 1965, RJCB
1965, P. 211.
76 Voir section 2, Titre II du présent
travail.
Cependant le danger de voir le responsable aux prises avec une
multitude d actions subsiste. En effet, il existe encore beaucoup de familles
nombreuses et la jurisprudence française nous donne l exemple d un
responsable aux prises avec une foule d enfants, frères et s urs,
père et mère.
C est encore la jurisprudence française qui nous donne
l exemple d un cas où seize personnes, toutes proches parents
réclament réparation de la douleur causée à chacune
d elle par un décès accidentel.77
En droit coutumier, le problème présente la
même difficulté. Le terme parenté acquiert une acception
plus large compte tenu du rôle joué par les groupes dans ce droit.
En outre, le mariage en droit coutumier apparaît non seulement comme
alliance entre les époux mais aussi comme une alliance entre les deux
familles. « Le mariage, écrit A. Sohier, se présente comme
une institution complexe, composée de deux contrats étroitement
unis, un contrat entre familles et un contrat entre personnes : nous
appellerons le premier
l alliance, le second l union conjugale ».78
Cette conception de la parenté et de l alliance
renforce davantage les liens d affection et complique du même coup le
problème de la réparation du dommage moral. Qu il s agisse du
droit écrit ou du droit coutumier, il sera difficile d épargner
le responsable du dommage de cette multitude d actions.
Le même problème se pose sur le plan de la
réparation. En effet, si la conception occidentale estime que la
réparation doit être l équivalent du préjudice subi
sans se préoccuper de la situation sociale du responsable, la
mentalité africaine s insurge contre une telle conception.
« La mentalité africaine répugne à
condamner une personne à des dommages-intérêts qu elle ne
sera jamais à mesure de payer.
77 1ère Chambre, 17 novembre (arrêt non
publié) (quatre enfants, trois belles-filles, un gendre, huit petits
enfants) cités par H. MAZEAUD, P. 78, cité par KALONGO MBIKAYI,
Op. Cit. UNAZA, P.77.
78 SOHIER, A; Mariage, n° 3, P.5 cité par
PAUWELS, Les droits Zaïrois de la famille, 2ème partie :
droit coutumier et législation en matière coutumière,
cours polycopié, UNAZA, Kinshasa ,1972, P.21.
Il y a là un sentiment de justice sociale. Le droit
soviétique partageait la conception africaine qui, condamnant un
délinquant aux dommages-intérêts, tient des ressources de
la personne à condamner ».79
Ce danger a amené certaines législations
étrangères à se montrer plus restrictives. Le code
libanais des obligations exige un lien de parenté légitime ou
d'alliance; celui de la république de Pologne de 1934 est encore plus
restrictif. En effet, l art. 166 n accorde une réparation du
préjudice moral, facultative pour le juge, qu aux membres les plus
proches de la famille du défunt ». L article 47 du code suisse des
obligations relève également le caractère facultatif de
cette réparation et ce, uniquement à « la famille ». Le
code civil autrichien dans son article 1327 va plus loin car la réforme
apportée à ce texte en 1917 a eu pour but d exclure tous les
parents qui n étaient pas créanciers alimentaires du
défunt.80
De tout ce qui précède, il résulte que le
critère de lien de parenté adopté par notre jurisprudence
risque de susciter de nombreux problèmes insolubles. Peut-être qu
aujourd hui rien ne présage un tel danger, mais le problème se
posera sûrement pour l avenir. Aussi serait-il souhaitable de limiter le
nombre d ayants droit. Cette question fera l objet de notre quatrième
paragraphe. Mais avant cela, examinons quelques cas particuliers.
§ 3. Etude de quelques cas
particuliers.
Dans ce paragraphe, nous nous proposons d examiner quelques
cas qui pendant longtemps ont divisé la doctrine et la jurisprudence. Il
s agit des actions d une concubine, d un enfant adultérin et des parents
naturels. Notons cependant que des termes comme enfant adultérin ont
été abandonnés au Congo avec l avènement de notre
code de la famille.
a) L action d une concubine.
79 BAYONA BAMEYA ; Procédure pénale,
Cours polycopié, UNAZA 1978, P.5, cité par NYABIRUNGU,
Procédure pénale, cours non polycopié, ULPGL,
1992-1993.
80 MAZEAUD et TUNC ; Traité pratique et
théorique de la responsabilité civile, délictuelle et
contractuelle, 5ème Ed. Tome 1, P. 398, cité par
KALONGO MBIKAYI, Op. Cit, P.48.
Une concubine peut-elle exercer l action en réparation
du dommage subi par elle à la suite de la mort accidentelle de son amant
? Cette question a longtemps laissé la doctrine et la jurisprudence
hésitantes. Il nous faudra refaire le chemin parcouru par la
jurisprudence française avant d en arriver à l arrêt de la
chambre mixte du 27 février 1970 qui consacre le principe de l admission
de l action de la concubine.
Pendant longtemps la chambre criminelle et le conseil d Etat
répondaient différemment à cette question.
La chambre criminelle fondera sa position sur le
caractère général des termes de l art 1382 qui exige une
interprétation large de la notion du dommage. C est ainsi que dès
1863 elle affirmait que « l article 1382 du code civil en ordonnant en
temps absolu la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause
à autrui un dommage ne limite en rien la nature du lien qui doit unir au
cas de décès la victime du fait avec celui de ses ayants droit
qui en demanderaient la réparation ».81 Avec une
conception aussi large le seul problème qui se posait était de
déterminer la certitude du dommage.
En 1926, la chambre criminelle accorde à une concubine
réparation du préjudice matériel « subi par elle du
fait du décès de l homme avec lequel elle vivait maritalement
depuis 28 ans ».
Cependant à la même époque, le conseil d
Etat adoptait une solution différente. Il estimait en effet que pour
obtenir réparation « d un préjudice matériel (seul
préjudice réparable à l époque) il ne suffisait pas
d un intérêt, il fallait pouvoir justifier d un droit
lésé »). Dans cette conception restrictive, le conseil d
Etat exigeait un lien de droit. Aussi va-t-il rejeter la demande en
indemnisation de la concubine, celle de la mère d un enfant naturel non
reconnu et « de manière générale, celle des parents
et alliés titulaires d une créance alimentaire dont les
conditions d exigibilité n étaient pas réunies à la
date du décès ».
81 JOSE VEDAL, « L arrêt de la chambre
mixte du 27 février 1970, le droit à réparation de la
concubine et le concept de dommage réparable » in semaine
juridique, 45ème année, 31 mars 1971, n° 13,
cité par H. de Page, Op. Cit. P.50.
Ce jugement du conseil d Etat est sévère ;
heureusement que ce même conseil d Etat accordait aux très proches
parents réparation du préjudice résultant « des
troubles de toute nature apportés dans leurs conditions
d existence »82.
Les solutions apportées par la chambre criminelle dans
cette matière n ont pas laissé la doctrine indifférente.
Certains auteurs les ont critiquées et ont rejeté l action de la
concubine du fait qu il n y avait pas d intérêt légitime en
raison du caractère immoral du concubinage ou du fait du
caractère incertain du préjudice, en raison de la
précarité du concubinage. Cependant d autres auteurs allaient
faire appel à des arguments d ordre général :
« ils considéraient que seules les personnes
liées par un lien de droit à la solution du conseil d Etat en
admettant que seule la lésion d un droit et non celle d un simple
intérêt, pouvait ouvrir à réparation
»83 .
Malgré ces protestations, la chambre criminelle
continuait à admettre la réparation du préjudice
matériel et d affection à la concubine. Devant cette situation
insolite de nombreux pourvois vont être introduits ; ils se fondent tous
sur l instabilité et sur l immoralité des relations nées
du concubinage. A ces pourvois, la chambre criminelle opposait le
caractère général de l article 1382.
La chambre criminelle pouvait-elle maintenir sa position en cas d
un concubinage adultérin si l épouse légitime était
elle-même intervenue à
l instance ? Ici, elle excluait l action de la concubine et
estimait que les liens nés du concubinage ne pouvait donner ouverture
à une action en indemnisation que dans la mesure où ils
offraient des garanties de stabilité et de non
précarité
d une part et d autre part dans la mesure où ils ne
présentaient pas un caractère délictueux.
82 JOSE VEDAL ; dommage réparable in semaine
juridique, 45ème année 31 mars 1971, n°
13.
83 JOSE VEDAL ; V° article précité
in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971,
n° 13, cité par KALONGO, Op. Cit., UNAZA , p.58.
Mais, si la chambre criminelle s était prononcée
clairement en faveur de la recevabilité de l action en réparation
d une concubine, la deuxième chambre civile de son côté n a
pas cessé de rejeter dans ses nombreux arrêts l action de la
concubine qui ne pouvait selon elle invoquer « la lésion d un
intérêt légitime juridiquement
protégé».
De ce qui précède, il se dégage que la
jurisprudence ainsi que la doctrine française ont connu de nombreuses
vicissitudes, et des années durant, les solutions de diverses chambres
de la cour de cassation sont restées divergentes alors que la chambre
criminelle a fini par admettre l action de la concubine en se fondant sur la
généralité de l art. 1382 ; la chambre civile, elle
continuait à la rejeter parce que la concubine n avait pas d
intérêt « juridiquement protégé ».
L arrêt du 27 février 1970 est venu justement
mettre fin à cette opposition entre deux chambres d une même cour.
Aujourd hui, nous pouvons dire que le problème a été
tranché : la cour a abondé dans le sens de la chambre criminelle
à savoir l admission de l action de la concubine.84 Vouloir,
estime la chambre mixte, subordonner l application de l art. 1382 à l
existence d un intérêt légitime protégé
», c est violer le texte.
En effet, la formule d un intérêt «
juridiquement protégé » invoquée a été
critiquée par la doctrine qui a fondé sa critique sur le principe
posé par la même cour de cassation en 1863 : « attendu que l
art 1382 en ordonnant en termes absolus la réparation de tout fait
quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite rien, ni
la nature85 du fait dommageable ni la nature du dommage
éprouvé, ni la nature du lien qui doit unir, au cas de
décès, la victime du fait avec celui de ses ayants-droit qui en
demanderaient la réparation. »
84 KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P. 62.
85 Voir MAZEAUD ET TUNC, Traité pratique de
la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, 5e éd T.I, 1957, p. 360
Crim. 20 fév. 1863, 1321 et rapport Nougier, D.1864, 199 cité par
MAZEAUD et TUNC : Op. Cit, P. 360, Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, la
responsabilité civile 1982, p. 190. Il nous faut noter que ce que nous
disons à propos de « l intérêt juridiquement
protégé » ne concerne que le concubinage non
délictueux
En appliquant cette formule, l action de la concubine sera
rejetée non seulement parce que le préjudice invoqué est
immoral mais aussi parce que le concubinage est une situation qui ne
crée pas de droits. Sur quoi se fonderait-on pour subordonner l
application de l art. 1382 à la lésion d un droit ? Tout
intérêt est juridiquement protégé lorsqu il n est
pas illégitime85.
Cet arrêt a donc posé non seulement le
problème des conditions d application de l art 1382 mais aussi celui du
sens à donner aux expressions licéité,
légitimité et bonnes m urs. Quand peut-on dire qu il y a
violation de droit ou de bonnes m urs ? Peut-on dire que la réparation
du dommage subi par une concubine à la suite du décès
accidentel de son partenaire constitue une violation de l art. 1382 ?
L on pourrait procéder à une
interprétation absolue et dire : pour qu il y ait réparation, il
faut une faute, un dommage et un lien de causalité. Le dommage doit
être juridiquement protégé apparaît comme condition
qui ne ressort pas du texte, c est-à-dire de l art.
1382.86
Cependant, nous ne partageons pas cette interprétation
basée sur un argument fragile : le silence du texte. Certes, l art. 1382
ne fait pas mention de la condition d un intérêt juridiquement
protégé, mais il ne faut pas perdre de vue le caractère
général et abstrait de tout texte, il est souvent
complété par la jurisprudence et la doctrine.
Même les caractères certains et directs
exigés de tout dommage ne ressortent pas du texte. Pour la chambre
mixte, l indemnisation reste possible sans distinction de rapport de fait et de
droit unissant le défunt au demandeur, à condition que ce rapport
ne soit pas délictueux et illicite. Le concubinage non délictueux
est licite.
Cependant subsiste pour certains arrêts une réserve
quant à l action de la concubine. Seul le concubinage sérieux,
stable et non délictueux (pas adultérin)
86 NOOMNA M.K : « La réparation du
dommage et l existence d un intérêt juridiquement
protégé (A propos de l arrêt de la chambre mixte du 27
février 1970 », D.1970 201 in Recueil Dalloz Sirey, 1970, 14
oct.1970.
permettrait à la concubine d obtenir une
réparation intégrale du préjudice matériel et moral
causé par le décès de son compagnon.
Ce « concubinage » est un quasi mariage, un mariage
auquel il ne manque en quelque sorte que la célébration pour
reprendre une définition de Justinien (légitima confunctio sine
honesta celebracione matrimonie)87.
Que signifie illicite ?
Une situation est illicite dans la mesure où elle viole
une ou plusieurs règles de droit, l inverse est la
licéité88. Et nous pouvons conclure que le concubinage
non délictueux ne viole aucune règle de droit positif. Le mariage
est un domaine de liberté89 et que le couple qui n a pas
opté pour ce statut civil n en est pas coupable.
Dès lors, le concubinage ne peut pas être
qualifié d illicite en dehors des rapports intimes entre individus qui
relèvent du domaine du non droit. Le droit ne couvre pas tous les
aspects de la vie sociale ; « il n est qu une mince pellicule à la
surface des relations entre les hommes »90.
Si le concubinage ne constitue pas une violation du droit,
peut-on dire qu il constitue une violation de bonnes m urs ? Mineur
définit les bonnes
m urs comme « certaines règles morales qui s
intègrent dans le cadre juridique de la société et dont le
respect se trouve assuré par les tribunaux. Les règles de droit,
continue-t-il ne sont pas suffisantes pour satisfaire l idéal de la
société. Un minimum des règles morales est
nécessaire pour compléter le droit. Toute demande à la
justice doit être en harmonie avec ce minimum appelé « les
bonnes m urs »91.
En parlant de cette définition, la thèse
idéaliste qui « établit un certain nombre de principes
abstraits conçus d une manière rationnelle et inspirés des
enseignements religieux et du système de valeurs traditionnelles qui
règnent sur
87 PHILIPPE LE TOURNEAU, Op. Cit. p. 175, 1982.
88 DICTIONNAIRE de termes juridiques, op. cit.p. ?
89 CODE DE LA FAMILLE art. 330 335 et suivants ( loi
n°87/010 du 1er Aôut 19987 partout..)
90 CARBONIER J. ; Sociologie juridique, le
procès et le jugement, P.95 et 97. Cité par PHILIPPE LE
TOURNEAU, Op.Cit. P.179, 1982.
91 MINEUR ; Commentaire de droit pénal
congolais p. 68.
la société « estime que les gens qui ne se
conforment pas à ces principes sont de mauvaises gens et que tout
rapport en dehors du mariage est immoral ».
Cette thèse évite les réalités
sociales.
Il faut tenir compte des circonstances réelles car
« la morale doit tenir compte du malheur des gens à juger,
autrement il faudrait procéder à la moralisation de la morale
».
La thèse empirique soutient, au contraire, qu un
rapport sexuel quelconque ne saurait être condamné s il est
toléré et approuvé par l opinion publique et par la
majorité des membres de la société. Le concubinage non
délictueux est-il condamné par l opinion publique ?
« L opinion publique, croyons-nous, ne condamne pas le
concubinage. Les m urs doivent suivre cette opinion car les m urs ne sauraient
incriminer qu une conduite minoritaire. Et si cette conduite se trouve
répandue et généralisée, ce seraient les m urs
elles-mêmes qui seraient à changer ».
L arrêt de la chambre mixte est venue consacrer
juridiquement une situation de fait et montrer que « nous vivons dans une
société en pleine mutation où la famille légitime
au sens classique n est plus le cadre adéquat et unique de la vie en
commun entre un homme et une femme. Et nous nous demandons avec l auteur si la
formule exigeant un « intérêt légitime juridiquement
protégé » ne cédera pas la place à une autre
formule exigeant pour réparer le dommage « un intérêt
socialement protégé ».
Le problème de l action en réparation du
préjudice moral diligentée par une concubine a connu une
évolution certaine. De l admission de cette action, de la notion de
cette action, de la notion de « l intérêt juridiquement
protégé » on est passé aux notions de
stabilité et de délit. Le concubinage stable et non
délictueux n est plus considéré comme un domaine du «
non droit » contrairement à ce qu affirme FRANÇOIS CHABAS :
aux yeux de beaucoup, le dommage doit quand même être un « non
man s land » juridique. La loi ne peut pas réglementer une
situation qui est celle de la facilité et par cela même
offre une redoutable concurrence à une institution
à laquelle tiennent les nations civilisées, à savoir le
mariage92.
Qu en est-il du droit congolais ?
Bien que le droit congolais n a pas encore clairement
posé le principe dans ce domaine, nous osons croire, vu les
jurisprudences peu fournies en matière
d action en réparation d une concubine, néanmoins
nous découvrons dans certaines dispositions de notre code de la
famille la volonté du législateur, lorsque, parlant des
preuves du mariage, il cite en outre la possession d état
d époux et que par ailleurs, face à une action en
divorce initiée par l un des conjoints unis par le mariage coutumier,
suspend la procédure jusqu à
l enregistrement de ce mariage avant que le tribunal puisse en
connaître sur le fond93.
Le législateur ne dit pas qu un tel mariage est
illicite mais il limite seulement ses effets juridiques jusqu à son
enregistrement. Le droit coutumier quant à lui semble tenir compte en
matière de concubinage de son caractère stable. La
stabilité lui sert de critère pour identifier cette situation de
fait à un état de droit qu est le mariage. Un concubinage de
longue durée produit des effets analogues à ceux du
mariage94. Nous pouvons affirmer dès lors qu il suffit qu un
concubinage présente des garanties de stabilité pour que les
tribunaux déclarent recevable l action en réparation d une
concubine. Ce que F. CHABAS a écrit en 1975 est donc
dépassé par l évolution de la société
à l an 2000.
Il semble d ailleurs que le droit coutumier avait, avant de
subir
l influence du droit occidental, une attitude fort
différente de celle du droit écrit envers les formes de
cohabitation et de relation en dehors du mariage. Certes, le droit traditionnel
protégeait et favorisait même l institution du mariage mais il n
était pas comme le droit occidental la servante d une certaine morale et
son attitude n était pas purement négative. Le professeur PAUWELS
affirme que
92 CHABAS, F; le c ur de la cour de cassation (le
droit à la réparation de la concubine
adultère) in recueil Dalloz Sirey 1973,
20e cahier, Chron p. 41, cité par H. de page op., Cit.
P.94
93 : Code de la famille : Art. 330 334
les « relations illicites étaient traitées
moins comme incompatibles avec la morale que comme contraires à certains
intérêts familiaux ou autres. Ainsi la répression de l
adultère et de la séduction tiraient leur justification des
droits exercés par certains hommes (père, mari, oncle) sur les
femmes placées sous leur autorité. Dans la répression, le
droit coutumier prend une attitude beaucoup moins négative que le droit
écrit. Il n y a pas de maximes telles que « nemo auditur » ou
« in pari causa95 ».
Le professeur PAUWELS reconnaît cependant que le
coutumier dans cette matière est peu connu et que le concubinage
était plutôt rare et difficile à déceler compte tenu
de la variété des formes de mariage en droit coutumier.
Ainsi la solution de la chambre mixte se rapproche plus ou
moins de cette conception coutumière. Ce qui est mis en évidence,
c est plus le caractère de stabilité de certains concubinages
plutôt que leur caractère immoral. Demain nos tribunaux seront
peut-être submergés par ce genre d actions, puissent - ils dans
leurs décisions s inspirer du droit coutumier pour que tout en restant
un élément de stabilité dans une société
organisée, le droit puisse cependant évoluer avec la même
société. Dans sa recherche des solutions aux problèmes
congolais, le juge devra d abord et avant tout s inspirer du droit national ;
il ne doit pas perdre de vue que le droit congolais à créer
devrait s assigner deux objectifs : le respect de la mentalité du peuple
et l adaptation aux nouvelles conditions de vie.
C est pourquoi, pensons-nous rappeler ce qui suit : le
préjudice réparable n est pas n importe quel préjudice
certain. S il ne résulte pas nécessairement de l atteinte
portée à un droit, les règles de la responsabilité
civile ne peuvent pas permettre de sanctionner et de reconnaître de l
intérêt ou des situations que le droit condamne parce qu ils sont
contraires à la loi, à
l ordre public ou aux bonnes m urs.
94 : Coutume Bayeke, Coutume Baluba Banza, Coutume du Kasaï,
Coutume Lunda B.S.I N° 1. 1941, p. 26 Centre Elis n° 13 383, CEC Ev.
P. 294
95 : PAUWELS : voir son cours de droit coutumier
précité, P. 23.
PAUWELS : op. Cit. P. 23 24. Cité par KALONGO
MBIKAYI cours de droit civil : les obligations UNAZA.
Pour avoir droit à la réparation, l
intérêt lésé ne doit pas être
illégitime ou, pour dire l autre face, n est réparable que le
préjudice licite. Il est seulement légitime, ne heurtant ni la
loi ni les bonnes m urs (Cass. Mixte 27 février 1970, Veuve Gaudras C.
dangereux ).
Cette conception morale choque certains par son
archaïsme, la réparation découle du dommage qui est un fait
et non d un droit préalable. Dès lors ne conviendrait-il pas de
réparer tout préjudice sans porter un jugement de valeur sur la
conduite de la victime, appréciation forcement subjective et variable.
Nous l avons d ailleurs constaté.
La position inverse conduit au singulier résultat de
faire bénéficier l auteur d un dommage d une
irresponsabilité qui, de son côté, ne se justifie d aucune
façon. Pourtant dans certains cas, il ne paraît pas possible en
morale d accorder une réparation à la victime. La
société fait ici un choix de politique législative.
L action de la concubine a fait couler beaucoup d encre.
En 1970, le principe de la réparation de dommage moral
subi par la concubine est accepté, l avons-nous vu. A partir de 1937, la
cour de cassation française jugea pour que le préjudice fut
réparable qu il ait consisté dans « la lésion d un
intérêt légitime, juridiquement protégé
» (Civ, 27 juillet 1937, Droit 1938, 1.5, NR Savatier, S, 1938.)
Cette formule ambiguë a servi à écarter l
action de la concubine mais sa portée était plus vaste car elle
se dédoublait : il fallait que l intérêt mis en avant par
le demandeur naquit d un droit légitime et de plus, qu un lien de droit
existant entre le demandeur et la personne dont la mort ou les blessures lui
causaient un préjudice.
pas issu de l atteinte à un droit, causé
à toute personne, fut-elle sans lien de droit avec la victime, ouvre
droit à réparation. La concubine peut donc invoquer en justice le
préjudice matériel, que lui cause la mort de son compagnon, ou
moral (douleur, etc).
Le conseil s aligna par la suite sur la Cour de cassation (CE, 3
mars 1978, Dame MUESSER, Droit, 79 in 49, obs Modirne96.
b) L action d un enfant adultérin
Comme le cas de l action d une concubine, l action d un enfant
adultérin a posé le problème de l illicéité
dans la jurisprudence française.
Au nom du principe que l illicéité ne peut
créer le droit, la chambre civile a rejeté l action en
réparation de l accident dont leur auteur a été victime .
Il n existe, estime la jurisprudence, aucun lien juridique de parenté, l
enfant adultérin est un étranger, il ne peut par
conséquent avoir droit à réparation d un préjudice
moral.
Mais TOULEMON et MOORE affirment que « la jurisprudence
la plus récente, s ils remplissent certaines conditions, reconnaît
aux enfants adultérins le droit à réparation du
préjudice moral ». Nous devons cependant reconnaître que
cette affirmation ne nous satisfait pas car, ses auteurs ne mentionnent pas les
dites conditions.
Ici aussi le droit congolais n a pas encore
dégagé des principes stables. Disons cependant que le droit
écrit congolais, influencé lui-même par le droit
franco-belge connaissait la distinction entre enfants légitimes et
enfants naturels simples ou adultérins et mettait ces derniers dans une
situation inférieure par rapport aux premiers.
96 PHILIPPE LE TOURNEAU ; la responsabilité
civile, Paris,1986,P.175.
PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil
les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.
Le droit traditionnel ne connaît pas cette distinction.
Les enfants sans père ne jouissent pas d un statut inférieur
comme en droit écrit. C est dommage qu une partie de la jurisprudence
ait déclaré en matière de reconnaissance qu un enfant
adultérin ne doit pas être reconnu97. Cette influence
du droit occidental sur le droit coutumier est déplorable.
C est pourquoi nous avons salué avec joie le souhait du
chef de l Etat MOBUTU de voir disparaître dans notre droit cette
distinction98. Heureusement la commission de réforme
constituée à ce sujet et chargée de revoir tout notre code
civil n a pas eu de vue ce problème, ce qui a conduit à la
disparition de « toute discrimination entre enfants adultérins et
autres dans notre code de la famille99».
c) L action des parents naturels
Le problème de l illicéité de la cause s
est posé également ici. On s est demandé si les tribunaux
devaient rejeter l action des parents naturels sous prétexte qu elle est
fondée sur des relations immorales.
Nous pouvons résumer la tendance générale
en ces termes : « on ne peut opposer aux parents naturels l
illicéité de la cause car la cause qui sert de fondement à
leur action réside non pas dans les relations immorales mais dans
l obligation naturelle et morale de leur enfant envers eux, du
fait du sinistre, les parents naturels perdent le droit corrélatif
à cette obligation, droit qui existe avant même d être
formulé en une action en pension alimentaire.
Mais la question se pose d une façon plus
délicate encore pour les grands- parents qui eux ne peuvent
prétendre à aucun lien légal avec les petits
enfants. La jurisprudence tenant compte du fait qu on ne peut invoquer aucun
caractère
97 PAUWELS ; op. cit. P. 310Pq Congo Ubangi, 20
mai 1949, B.J.I. 1952, p. 325, répertoire Pauwels P. 158 cité par
KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol,
ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.
98 PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY
LUMPUNGU,
99 MOBUTU : Discours du 21 mai 1972 lors du premier
congrès ordinaire du MPR.
illicite à leur encontre, admet leur action tant au point
de vue du préjudice moral que du préjudice
matériel100.
Quant au droit zaïrois, les observations faites à
propos de la concubine et des enfants naturels sont valables ici aussi : notre
droit n a pas encore posé des principes précis. Nous nous sommes
contentés de relever l opposition entre la conception coutumière
et l esprit du droit occidental et avons émis le souhait de voir
disparaître de notre droit la discrimination entre les enfants
légitimes et naturels.
§ 4. Nécessite d une limitation.
Notre étude sur l exercice de l action en
réparation du préjudice morale nous a conduit à constater
qu il peut y avoir plusieurs ayants-droit. La formule générale de
l article 258 et le critère adopté par notre jurisprudence
confirment cette affirmation. Cette situation a inquiété la
doctrine qui a constamment souligné la nécessité d une
limitation comme nous l avons indiqué. D ailleurs pour plus de
détails, dans l ouvrage (chef d uvre) du professeur KALONGO MBIKAYI
« Responsabilité civile et socialisation des risques en droit
zaïrois » le professeur, dans son introduction a clairement
souligné que l article 1382 et suivants du code Napoléon a
été ébranlé par l essor de techniques nouvelles de
réparation collective telle l assurance privée et la
sécurité sociale. Il ressort de cet ouvrage que le
caractère général de cet article mérite un regard
sévère chaque fois qu il en est fait application.
Dans ce paragraphe, nous allons retracer le chemin parcouru
aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine dans leur recherche des
critères de limitation.
100 Nîmes, le 3 avril 1933, Gaz Pal ; 1933 3.54 ; D.H 1934,
1.389 ; Paris, 13 novembre 1933, gaz. Pal ; 1934 1.138, cité par
TOULEMON ET MOORE, p. 155. Voir aussi Lalou : traité
pratique de la responsabilité civile, Paris, librairie
Dalloz, 1955, P. 177 qui relève la même tendance jurisprudentielle
: cfr. Discours du Chef d etat. Cité par KALONGO MBIKAYI,
Op. cit. UNAZA, P. 86.
De notre part, nous constatons qu il suffit de bien
étudier et analyser la procédure civile, le droit civil des
obligations, des personnes et autres pour qu à la fin nous puissions
suggérer une liste limitative des demandeurs en réparation. C est
donc un débat que nous relançons ou mieux, la poudre que nous
mettons sur le feu. C est l évolution du droit civil.
a. Critères de limitation.
Ce n est pas sans raison que nous avons voulu faire de l
introduction d une demande en réparation une question
préalable101. En effet, pour en connaître le fond, le
juge ou le tribunal doit s enquérir de la forme ou de la
recevabilité de l action en vérifiant dans le chef du demandeur :
la qualité, l intérêt et la capacité. Question d
économie du temps pour le juge, et la suite du procès en
dépend. La justice humaine n étant pas parfaite, on risque d
enrichir indûment un demandeur véreux.
La première limitation est tirée de l article
258 CCL III lui-même. En effet, cet article exige pour toute action en
responsabilité la triple nécessité d un préjudice,
d une faute et d un lien de causalité entre la faute et le
préjudice.
Nous avons souligné cependant, le rôle
joué par ces trois éléments en droit coutumier. En droit
écrit, la réunion de ces trois éléments dans le
chef du demandeur vanté. Mettons de côté l
ébranlement de cette notion en droit des assurances. Toute action qui ne
répondrait pas à ces trois conditions serait
déclarée non fondée. A contrario donc, l action serait
déclarée recevable et fondée. Le juge aurait
vérifié la forme et le fond.
Le préjudice doit porter atteinte à un droit
acquis. La possibilité de prouver la certitude du dommage ne peut
être accordée qu à ceux qui auraient une créance
alimentaire contre le défunt. Cependant le caractère certain d un
préjudice ne peut constituer une barrière au nombre des actions
intentées que pour dommage matériel. Ce frein ne peut pas avoir
le même effet pour le dommage moral car « l affection que l on
éprouve pour une personne ne
101 : Section 3, Titre II du présent travail.
dépend en rien de l existence d une créance d
aliments à son encontre.102 Le danger d une pluralité
de demandes en réparation n est pas écarté.
L arrêt du 2 février 1931 nous proposera un
critère nouveau : les liens de parenté ou d alliance. Ce
critère a joué un grand rôle dans la recherche d une
solution au problème de la limitation du nombre des
bénéficiaires de l action en réparation. Cependant, les
critiques n ont pas manqué. RIPERT pense « qu il oublie le conjoint
qui n est ni parent ni allié et qu il parle des ayants-droit alors qu il
s agit d une action personnelle ». En outre cette formule a un
caractère de rigidité qui ne lui a pas permis de faire
jurisprudence. Prise à la lettre, cette formule permet de recevoir l
action du collatéral du plus éloigné degré et de
repousser l action du fiancé ou du parrain qui a élevé son
filleul.103
Ce principe demeure insuffisant à notre avis, les parents
et alliés du défunt étant trop nombreux pour qu il soit
possible de permettre à chacun d eux
d agir pour son propre compte en réparation de la
douleur qu il éprouve. Le caractère légitime de la douleur
a été souvent aussi invoqué comme moyen de limitation du
nombre d actions en réparation du préjudice moral104.
C est sur cette base que l action de la concubine sera rejetée. Mais
cette solution, nous
l avons vu, est largement dépassée aujourd hui.
En effet, depuis l arrêt du 27 février 1970 de la chambre mixte,
on admet sous certaines conditions l action en réparation d une
concubine.
Confrontés à toutes ces incertitudes, certains
auteurs, notamment H. Mazeaud et Ripert105 vont se fier au pouvoir d
appréciation des juges du fond.
C est grâce aux pouvoirs qui lui sont reconnus quant
à l appréciation de
l existence du préjudice que le juge du fond doit trouver
un frein à
l exagération du nombre de demandes. Remarquons tout de
suite que l intime conviction du juge lui accorde un large pouvoir d
appréciation, nous pensons que ce pouvoir doit être limité
par une liste des demandeurs en réparation.
102 MAZEAUD H.; op. Cit P. 78 Cité par KALONGO. Op
Cit. P.78 .
MPINDA ; cours de procédure civile, 2001,
inédit, ULPGL, P 134.
103 RIPERT, G; Le prix de la douleur, D.H.1948 Chron p. 2
cité par De Page, Op. Cit, P. 30
104 Rp. Oct. 1921 (D.P. 1922 1.163, gaz. Pal ; 1921 2.558, H. et
L. MAZEAUD : T.I n° 327 ; JOSSERAND :, D.H 1932, Chron p.p. 501
cité par De Page Op. Cit. p. 90.
Il faut établir la preuve de la douleur.
Cette preuve sera plus facile à apporter pour les
parents ou alliés très proches que pour n importe qui. Mais ce
degré de parenté ne joue que le rôle d une
présomption ; une « présomption simple que l existence des
circonstances particulières peut toujours détruire ». C est
le cas d un héritier qui a attenté à la vie de son auteur,
éprouverait-il douleur à la mort de celui-ci ?
Une autre barrière consisterait à donner
à l action en réparation un caractère familial. Cela s
expliquerait par le fait qu on partirait de l existence d un «
véritable patrimoine familial comprenant à côté de l
honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l
affection qui unissent les uns aux autres les parents et
alliés106 ; dès lors la lésion de ce patrimoine
familial ne donnerait lieu qu à une action unique qui serait alors
exercée au nom de la famille » par le conjoint, à
défaut par le parent le plus proche en degré
subséquent107. Ici aussi, la famille étant
dépourvue de la personnalité juridique, on imaginerait mal la
recevabilité de cette action ; aussi, la douleur est une question
personnelle.
b) Le sens de l expression « circonstances
exceptionnelles et graves »
A tous ces critères que nous venons d analyser, la
jurisprudence congolaise ajoute un autre critère qui constitue
également un obstacle sérieux à l exercice de l action en
réparation du dommage moral.
D une manière générale, les tribunaux
congolais n accordent des dommages-intérêts pour dommage moral que
dans des « circonstances graves et exceptionnelles ». Cela revient
à dire que le droit congolais estime qu un
105 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82, G. RIPERT : Op. Cit. p.
3
106.MAZEAUD, H : Op. Cit. p. 82
107 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82. Cette solution a
été déjà admise par la jurisprudence
belge : Charleroi, 15 avril 1931 (S.1931 4.21). Le jugement n
admet que l action du père du défunt à l exclusion de
celle formée par les frères et s urs. Ve aussi Savatier,
Traité de la responsabilité civile, T. II ; 2e
éd. Paris, L.G.D.J. 1955, qui propose une solution plus ou moins
identique.
dommage moral n est certain que dans la mesure où les
lésions de la victime sont particulièrement
graves108.
Désormais, il ne suffira pas de prouver l existence des
liens de parenté ou d alliance avec la victime directe du dommage,
encore faudra-t-il prouver la gravité des lésions de la victime
de l acte fautif. Cette preuve nous paraît difficile à fournir ;
elle ne pourra être facilitée qu en cas d accident mortel.
L examen de notre jurisprudence nous montre, en effet, que
chaque fois qu il y a dommage moral, les tribunaux n accordent
réparation que lorsque l accident entraîne la mort de la victime.
La simple vue, par exemple, pour les parents des souffrances de leur enfant
accidenté ne suffit pas pour fonder leur action en
réparation109.
Ce point de vue de la jurisprudence rejoint celui de DE PAGE qui
s indignait du fait qu aujourd hui on accorde, lorsque la victime est à
la suite
d un accident atteinte de déchéance physique
grave qui la laisse complètement défigurée et en proie
à des souffrances qui perdureront toute sa vie, non seulement à
elle-même un droit à la réparation du dommage moral
résultant de sa souffrance et de son état, mais encore à
son conjoint ou à ses parents en raison « du spectacle affligeant
que ceux-ci ont subi à la vue de leur époux ou de leur enfant
».
Où donc, estime-t-on devoir s arrêter, se demande DE
PAGE110.
Loin de nous l intention de contester la
nécessité de limiter le nombre de bénéficiaires de
l action en réparation. Ce qui reste notre préoccupation. Nous
pensons cependant que cette limitation ne doit pas être arbitraire. Le
juge devra dans chaque cas d espèce, chercher des circonstances
objectives susceptibles
d éclairer sa religion. Il est fort possible que
même en cas d accident non
108 Cour d Appel d Elis 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176, Cour d
Appel d Elis 23 mars 1965, R.J.C.B 1965, p. 211.
109 Cour d Appel de Léo, 28 sept. 1954, R.J.C.B 1955, p.
89
Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13
Cour d Appel d Elis, 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944, p. 48
110 DE PAGE, H: Traité élémentaire du
droit civil belge, Bruxelles, établissements Bruylant, , 1964, p.
957.
mortel, les parents ou le conjoint de la victime aient subi un
dommage moral certain. Qui nous prouvera qu il n y a dommage certain qu en cas
d accident mortel ?
En guise de conclusion, nous dirons que la
nécessité d une limitation s impose ; elle est impérieuse.
Cependant il reste malaisé de fixer avec précision ces limites.
Cette difficulté due au caractère extra-patrimonial du dommage
moral transparaît à travers les nombreux tâtonnements que la
doctrine ainsi que la jurisprudence ont connus en cette matière : aucun
des critères proposés ne se suffit à lui-même.
Les liens de parenté ou d alliance ne pourraient jouer
leur véritable rôle de frein que dans la mesure où ce
critère ne constitue qu une simple présomption, un commencement
de preuve que certains événements pourraient
éventuellement renverser. Il ne suffirait plus, dans ce cas, d
être parent ou allié, encore faudrait-il que certaines
circonstances de fait établissent la certitude du dommage.
Ce critère jouerait encore mieux son rôle si l on
donnait à l action en réparation un caractère familial.
Cette situation est d autant plus souhaitable qu elle épouse la
conception coutumière où la notion de « paternat »
domine toute la vie familiale. Dépositaire de l autorité
suprême, le « sui juris » pourra au nom de la famille exercer l
action en réparation chaque fois qu il y aura un dommage qui atteint la
communauté. Comme le fait remarquer E. LAMY « les rapports
juridiques dans les coutumes africaines remontaient tous à l idée
première de l autorité suprême du « paternat »,
continué, représentant la volonté et la causalité
ancestrale et où les individus ne peuvent pas par euxmêmes
être auteurs et titulaires de droits »111.
En adoptant cette conception , le doit congolais pourra donner
de nouvelles dimensions au critère de « liens de parenté ou
d alliance » en l adaptant à la mentalité des peuples qu il
régit et en corrigeant certaines faiblesses que nous lui avons reconnues
plus haut.
111 LAMY, E ; Introduction historique et comparative à
l étude du droit coutumier africain,
Les tribunaux congolais ont rendu trop difficiles les
conditions d exercice de l action en réparation en cas d accident : ils
n accordent des dommages intérêts aux parents ou au conjoint que
si l accident est mortel. Comme nous l avons déjà signalé
, le juge devra plutôt chercher dans chaque cas d espèce des
circonstances objectives susceptibles d éclairer sa religion. Certes, la
certitude d un dommage moral subi à la suite d un accident mortel est
plus facile à déceler ; mais cela n empêche nullement qu un
accident non mortel cause un dommage moral aux parents et au conjoint.
Entre les deux situations, il n y a qu une différence
de degré. Le problème qui se pose ici n est pas celui de
déterminer la réalité, l existence du préjudice,
mais bien celui de la détermination de l importance du préjudice.
Aussi estimons-nous que le juge Congolais s est engagé sur une voie
timide.
Voilà pourquoi pensons nous limiter le nombre des
bénéficiaires de l action en réparation issue du
caractère général de l art 258 CCC livre III en
suggérant aux décideurs l élaboration d une loi
secondaire, qui viendrait limiter le nombre de demandeurs de réparation,
notamment en se fondant sur la personne du demandeur en réparation.
SECTION 2. LES DEMANDEURS EN REPARATION :
QUESTION PREALABLE.
Nous avons préféré intituler notre
section ainsi, pour mieux comprendre la personne du demandeur en
réparation qui assigne l auteur d un fait dommageable d abord sur la
personne d autrui, et, dont estime-t-elle, les effets l ont atteint, pour
lesquels il réclame réparation.
Il est donc normal que soit écarté, des
bénéficiaires d une action en réparation du
préjudice moral le demandeur n ayant pas qualité, capacité
ou justifiant d un intérêt dérisoire, car il tomberait sous
le coup d un enrichissement sans cause. Pouvons-nous enfin souligner que nous
sommes en
cours polycopié, U.O.C, 1967 1968, p. 96 Cité par
KALONGO MBIKAYI, op.Cit. p. 82
présence de deux enjeux majeurs : la personne du demandeur
et ses prétentions à la réparation du préjudice
moral. Question préalable et question principale.112
Que signifie question préalable ?
Une question préalable est celle que le juge doit examiner
pour vérifier si certaines conditions sont requises pour l existence de
la question principale.
Ainsi l action en réclamation d une succession
(question principale) suppose que la qualité d héritier (question
préalable) appartient bien au demandeur.
Comprenant bien la pertinence de la question, il appartiendra
donc au demandeur de justifier de l intérêt, de la qualité,
et de la capacité dans son chef avant de prétendre à une
réparation d un préjudice moral subi, question principale ou
objet de sa demande.
A présent, voyons ce que renferme en droit les concepts
comme : intérêt, capacité et qualité, conditions d
admission d une action en justice et fins de non-recevoir lorsque le demandeur
n en justifie pas dans son chef.113
§ 1. L intérêt.
MPINDA écrit à ce propos : « une condition
jugée indispensable par
l ensemble de la doctrine et de la jurisprudence pour l exercice
d une action est
l intérêt. Cette règle trouve son fondement
dans les maximes anciennes « pas
d intérêt, pas d action » ou encore l
intérêt est la mesure de l action. L intérêt
légitime forme la base de l action judiciaire comme il en est la mesure.
Dès qu il y a action, l adage « SANS INTERET, PAS D ACTION »
est un axiome de droit admis de tout temps ».
Cela signifie qu une personne n a pas le droit de soulever des
contestations inutiles et d occuper les juges dont le temps est
précieux, des contestations auxquelles ils sont indifférents.
112 MPINDA , op.cit. P.134
113 KATUALA KABA KASHALA, Les causes d irrecevabilité
de l appel en matière civile, commerciale et sociale, Kin 1991,
p.17
Ex : Mon voisin a été victime d un accident de
circulation qui lui a fait perdre une jambe. Moi je vais saisir le tribunal
pour demander des dommages intérêts pour cet accident au
conducteur du véhicule alors que mon voisin, qui est vivant et d un
esprit sain, ne le fait pas et ne m a pas mandaté. Cette action sera
déclarée irrecevable faute d intérêt dans mon chef,
laquelle action étant de caractère personnel ; aussi,
ajoutons-nous, si la mort s en suive ! le préjudice moral
prétendument souffert par cet homme est-il réparable ?
A. CARACTERE DE L INTERET OU SA NATURE.
Il est important d examiner ce que renferme la notion de l
intérêt ; étant entendu que notre démarche vise
à cerner la personne qui doit réellement être
bénéficiaire d une demande en réparation d un
préjudice moral.
Ainsi, l intérêt moral ou pécuniaire que doit
justifier le demandeur en réparation doit être :
A1. Légitime et
sérieux.
C est-à-dire qu il ne doit pas être insuffisant.
Il est en outre indispensable qu il présente un certain caractère
de gravité. Ainsi par exemple le mécontentement provoqué
chez un citoyen par une émission de télévision dont la
qualité est contestable ne saurait justifier une action.
A2.
L intérêt né
actuel.
Ce qui signifie qu il doit exister au moment où la
demande est formée devant le tribunal. Mais, il a été
très souvent admis qu il n est pas nécessaire que le
préjudice à raison duquel l action est intentée soit
réalisé ni que l exercice du droit que l on veut défendre
soit entravé au moment où on intente l action. En effet, il peut
arriver qu il soit imminent de prévenir un dommage
ou de mettre le droit à l abri d une contestation
ultérieure. Tel est le cas des actions préventives (action
interrogatoire, provocatoire, déclaratoire) et des actions ad
futurum.
A3. Enfin, l intérêt doit être
direct et personnel
Ce qui veut dire que pour pouvoir ester en justice il faut
avoir été directement et personnellement lésé dans
ses intérêts propres. Il n est pas question en
général de venir au tribunal pour invoquer les
intérêts d autrui. Mais s il est vrai que cette exigence est
évidente lorsque l action est exercée par le titulaire du droit,
le problème devient complexe quand il s agit d une autre personne
agissant sans mandat du titulaire de ce droit. Hors mis le cas de certains
syndicats et ordres pour lesquels la jurisprudence française a reconnu l
exercice de l action pour l intérêt collectif,114 qui d
autre viendrait pour réclamer réparation du préjudice
moral du fait d un tiers sur ses parents ou alliés ?
En dépit de l importance qu il présente, l
intérêt condition nécessaire à l admission d une
action en justice n a fait l objet d aucune disposition générale
dans le code de procédure civile du Congo. Mais la jurisprudence a admis
dans de nombreux cas que l intérêt est une condition indispensable
pour ester en justice.
§ 2. LA QUALITE.
La qualité est le pouvoir en vertu duquel une personne
exerce l action en justice. Ainsi, la qualité apparaît comme une
telle affinité que l on a parfois pu en déduire qu elle ne
constitue que l un des aspects de la condition de l intérêt. (pour
plus de détails lire MPINDA, P. 58 60, op. cit.)
Nous venons ainsi de préciser que la personne du demandeur
doit justifier de la qualité, de l intérêt et de la
capacité. La réunion de ces éléments
114 MPINDA, op. Cit, p. 134 et suivants.
fera l objet d un jugement avant dire droit qui ouvrera au
juge la possibilité de connaître le fond du litige et donc de
consacrer son temps aux prétentions du demandeur.
§ 3. DES DEMANDEURS EN REPARATION DU PREJUDICE
MORAL.
Les motivations d une liste limitative des
bénéficiaires, d une action en réparation du
préjudice moral trouvent leur résonance dans les lois congolaises
et l expérience jurisprudentielle qu elles ont connues. A
présent, dégageons les personnes généralement
connues et traitées par le législateur dans les différents
codes.
1° Code de la famille.
Voici les personnes généralement connues ou
traitées par le code : - les conjoints (art. 330) et la fiancée
(art. 337) ;
- Père et mère, tuteur, personne qui exerce un
droit d autorité sur l individu (336) ;
- Le conjoint d un mariage coutumier (438) ;
- Entant allié ou non (590 649) ;
- L adopté et non sa famille d origine (679) ;
- L adopté et ses descendants (690) ;
- Le débiteur d aliments (728) ;
- Les héritiers (758), à l exception de ceux
frappés par l indignité prévue à l article 765.
2° Code Civil des obligations.
Cet article parle de la responsabilité civile qu assume le
père, et la mère après le décès du mari, du
dommage causé par leurs enfants, habitant avec eux.
Mais, pourquoi parler de tous ces articles dans la recherche d
élaboration d une liste limitative de demandeurs en réparation
?
La réponse est simple. En lisant la loi, il se
dégage que, il existe des rapports juridiques entre ces personnes et qu
un ami par exemple ne serait pas apprécié comme lesdites
personnes, lorsqu ils sont en concours d intérêts en justice.
Aussi, pensons-nous, il faut partir de ce qui existe pour enfin consacrer ce
qui doit être pris en considération en procédant par
élimination au regard de la jurisprudence et de la doctrine que nous
avons étudiées au chapitre 2, titre 1 et chapitre 1 titre deux,
du présent travail.
Il sera ainsi aisé de retenir de notre liste de demandeurs
en réparation :
1° Les (parents) père et mère ainsi que leurs
enfants pour les dommages causés par un tiers sur eux ou sur les
personnes de l un d eux et vice-versa.
Ces personnes, ont-elles qualité, intérêt et
jouissent-elles d une capacité pour initier une action en
réparation de préjudice moral subi par l une d elles ?
A première vue, dirons-nous oui, l exercice de cette
action pour ces personnes justifient d un intérêt, et d une
qualité et, eu égard à l âge, jouissent d une
capacité pour ce faire. Néanmoins dans le cas prévu
à l art 765 du code de la famille, l enfant frappé d
indignité ne saurait initier une telle action parce qu il ne peut
invoquer une douleur subie par lui du fait d un dommage causé par un
tiers sur la personne de ses père et mère, alors que lui
même n accordait aucune importance sur la personne de ces derniers. D
où, à cette occasion, le juge doit, par un avant dire droit, dire
si oui ou non cette personne indigne a été violentée dans
ses droits, par la mort de ses parents ou l handicap par eux subi du fait de
tiers. L irrecevabilité de son action sera donc déclarée
faute d intérêt.
Il s agit pour cette première réflexion de :
- Père et mère, enfant né dans le mariage
et enfant affilié et l adopté. Nous concluons l enfant non
affilié, pour la simple raison que l affiliation est une question de
procédure, bien appliquée dans le code de la famille (notamment l
action en recherche de paternité.) .
Quant aux conjoints entr eux le problème ne se pose pas
pour autant qu ils demeurent liés par le contrat de mariage.
2° Les frères et s urs de la victime de la faute
dommageable. Descendants et ascendants.
Ils seront retenus pour autant que soit, ils
dépendaient psychologiquement de la victime soit pécuniairement,
et qu ils soient à l abri de tout reproche d inimitié permanente
et scandaleuse.
Certes, les termes inimitié permanente et scandaleuse
ouvre la voie à qui le veut d évoquer la difficulté qu
éprouverait le juge pour apprécier le degré de cette
inimitié. Il aurait peut être raison. Néanmoins, la
philosophie de base qui a conduit le législateur congolais à
disposer que l obligation alimentaire « est d ordre public » (art.
750) est éloquente.
En effet, les traditions africaines et congolaises en
particulier, imposent la solidarité sans faille entre frères et s
urs ou ascendants et descendants. Il serait donc mal venue de reconnaître
à un frère ou une s ur le pouvoir d initier une action en
réparation du préjudice moral suite au fait dommageable qu aurait
subi son consanguin alors qu avant la survenance de la faute dommageable, il ne
s acquittait par exemple pas de son obligations alimentaire.
3° Les descendants et ascendants par alliance. Le terme
« alliance », nous rappelle ici toute la théorie, la
jurisprudence et la thèse qui ont soldé par des
démonstrations, l inefficacité du critère de
parenté et alliance étudié sous le chapitre 1, titre II,
dans toutes ses sections. Nous pensons ici que ces derniers
ne seront justifiés à diligenter la
procédure quant à ce, que si effectivement ils
bénéficiaient et vivaient de cette assistance de la victime
prévue par l obligation alimentaire ; mais ceux là, pour qui
cette obligation n était que théorique, n auraient pas à
justifier une lésion par la mort ou l incapacité de leur
débiteur.
Quant à la réflexion découlant de l
article 758 du code de la famille, il est aisé de constater que
même le législateur a prévu que lors d une ouverture
successorale, ne sont invités à succéder que :
- d abord les héritiers de la première
catégorie ;
- ensuite ceux de la deuxième catégorie ;
- puis la 3ème catégorie.
Les adverbes d abord, ensuite, puis, marquent les
différents degrés de rapport juridique, psychologique et social
qui existent entre chaque catégorie et le de cujus ; une manière,
pensons-nous aussi, de souligner qui de ces 3 catégories seraient
touchées par cette mort, pourquoi pas de l inimitié permanente ou
temporaire qui pourrait exister entre ces différentes catégories.
Toutefois la preuve contraire sera apportée par toute voie de droit.
Les mêmes observations valent aussi pour les
considérations sur les personnes reprises à l article 260 CCL
III.
Ainsi, après analyse légale, jurisprudentielle,
doctrinale et sociologique nous pensons, proposer comme demandeurs en
réparation du préjudice moral les personnes suivantes :
- les conjoints ;
- les enfants nés pendant le mariage, les enfants
affiliés et non, l adopté ; - les frères et s urs ;
- le débiteur d aliments retenu par notre étude
;
- le (la) fiancé(e) : pour autant que la rupture
écrase ses aspirations conjugales ;
- le tuteur (art. 336 code de la famille).
Gardant à l esprit cependant que, le jugement de
responsabilité est un jugement déclaratif et non attributif de
droit ; le doit naît dès que les trois conditions sont
réunies : dommage, faute et lien de causalité entre le dommage et
la faute. D où l étude de la personne du demandeur évitera
au juge la perte de temps mais aussi de déclarer le droit dans le chef d
une personne complètement tierce à la victime.
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