SECTION 2 : LES TENANTS DE LA THESE
Il n existe pas, bien sûr, de commune mesure entre la
souffrance morale et la somme d argent allouée à titre de
dommages-intérêts. Les défenseurs du principe de la
réparation du dommage moral admettent volontiers qu une
équivalence rigoureuse entre l argent et la souffrance ne peut
être établie55.
Mais, pensent-ils, il faudra surtout s entendre sur la
signification du terme « Réparer ». Quelle est sa
portée exacte ? Réparer, ce n est sûrement pas remettre en
état égal à celui qui existait avant l accident.
Réparer pour eux, « ce n est pas toujours refaire ce que l
on a détruit, c est le plus souvent donner à la victime la
possibilité de se procurer des satisfactions équivalentes
à ce qu elle a perdu. Le véritable rôle des
dommages-intérêts est un rôle satisfactoire
»56. Ces dommages-intérêts vont jouer un
rôle compensatoire, ils ont un effet psychologique certain sur la victime
du préjudice.
Cependant les tenants du principe de la réparation du
dommage moral n ont pas complètement ignoré le danger qu il y
avait à « marchander sur
l honneur et la douleur ». Cette critique les a conduits
à la recherche d un autre fondement : l indemnité allouée
n aura plus un caractère compensatoire mais elle est
considérée comme une peine privée ; elle sert plus
à l affirmation d un droit qu à compenser un dommage. R. SAVATIER
explique le rôle joué par les
54 Voir section III titre II du présent
travail.
55 MAZEAUD ET TUNC ; op cit p. 389 et 390.
56 SAVATIER, R ; traité de la
responsabilité civile, T. II, 2ème éd.,
N° 525 et S. DEMONGE : traité des obligations en
général. T IV n° 405 ; Boistel, Philosophie du
Droit T.I, P, 461 ; GANOT ; la réparation du préjudice
moral, thèse Grénoble 1938 cités par MAZEAUD et TUNC
p, 390
dommages-intérêts en pareil cas, en ces termes :
« le rôle que nous donnons aux dommages-intérêts soit
pénal, soit d affirmation permet d éviter le reproche d
arbitraire qui a souvent été fait aux indemnités pour
préjudice moral Notre système permet plus facilement d
éviter au débat le caractère
d un marchandage de l honneur, de l affection puisqu il s agit
de réagir contre
l acte et non de l affamer même par une compensation. Rien
ici n aura le caractère d un bénéfice »57
.
Cette idée de peine privée expliquera l
influence sur l évaluation du dommage moral du degré de
culpabilité de l argent, de l étendue de ses ressources. Elle
poussera également les tribunaux à frapper plus lourdement
l auteur du dommage moral s il n est pas déjà
atteint par la réparation d un préjudice matériel. Aussi
si la victime d un accident mortel blesse beaucoup de parents proches, «
leurs affections réunies ne seront pas indemnisées à
proportion de leur nombre parce que l indemnité dépasserait alors
la sanction équitablement encourue par le responsable. A la limite,
lorsque celui-ci leur semblera déjà suffisamment frappé ;
les tribunaux pourront toujours se restreindre à une condamnation
symbolique.
Le dernier argument présenté par les
défenseurs de la réparation du dommage moral est un argument de
texte. En effet, l article 258 correspondant à l article 1382 du code
Napoléon parle de la réparation du dommage tout court. Il ne fait
pas de distinction entre le dommage matériel et le dommage moral. Ce
serait violer le texte que de vouloir arbitrairement limiter le sens du terme
« dommage » aux seuls dommages matériels58.
Nous adhérons personnellement à cette
thèse. Elle a eu le mérite
d affirmer qu à côté des droits
patrimoniaux, il existe également des droits extra patrimoniaux »,
« non économiques » dont la violation mériterait bien
une sanction, une réparation. Certes, cette réparation reste
difficile, mais nous ne pouvons pas nous retrancher derrière cette
difficulté d appréciation pour
57 SAVATIER, R; Op Cit. p. 51
58 MUKADI BONYI ; Droit civil des obligations,
cours non polycopié p. 34 ULPGL/UNIKIN 1994 1995, inédit.
méconnaître un droit certain et réel.
Cette thèse est d autant plus solide qu elle se fonde sur le texte
même de l article 1382 du code Napoléon. Les dispositions de ce
texte restent générales et n excluent pas le dommage moral. En
outre, l équité exige que celui qui a causé un dommage ;
celui qui a posé un acte fautif puisse répondre des
conséquences de son acte.
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