CHAPITRE II : LES CATEGORIES DU DOMMAGE MORAL.
Le dommage peut épouser plusieurs formes. Passons-les en
revue en procédant à une classification de différents cas
rencontrés ( I. l atteinte a
l honneur et a la considération, II. Atteinte au sentiment
d affection).
Section 1. L ATTEINTE A L HONNEUR ET A LA
CONSIDERATION.
Toute personne a droit à l honneur et à la
considération. C est un des droits inhérents à la
personnalité. Toute atteinte portée à ce droit cause un
préjudice et l auteur du fait dommageable doit répondre des
conséquences de son acte. La jurisprudence congolaise a rencontré
à plusieurs reprises ce cas et chaque fois que les conditions
étaient réunies, elle a accordé des dommages
intérêts pour préjudice moral. 29
L atteinte à l honneur et à la considération
est punie par notre code pénal30 .
Dès lors, avant d accorder des dommages
intérêts, il faut se référer aux faits constitutifs
de l infraction. Que faut-il pour parler d atteinte à l honneur ? Pour
le cas des imputations dommageables, des injures, la jurisprudence exige une
certaine publicité.31
29 : La Cour d Appel de Lubumbashi par exemple a condamné
le directeur d un journal de la place au paiement d un franc à l U.M.H.K
pour réparation du dommage moral qu elle a subi à la suite de la
publication des propos malveillants tenus à son endroit par le dit
journal. Cour d Appel Elis. 29 sept. 1942, voir aussi Trib. de district de
Kibali-Ituri, 25 avril 1930, R.J.C.B 1932, p. 222, Cour d Appel d Elis. 8
janvier 1946, R.J.C.B 1946, P. 16 Appel Elis, 19 janvier 1946, R.J.C.B, 1946,
20, Cité par l assistant de droit pénal comparé ; Cours
non polycopié. ULPGL 1997, inédit.
30 : Art. 74 : « celui qui méchamment et publiquement
aura imputé à une personne un fait précis qui est de
nature à porter atteinte à l honneur ou à la
considération de cette personne, ou à
l exposer au mépris public sera puni d une servitude
pénale de huit jours à un an et d une amende de vingt-cinq mille
francs ou d une de ces peines seulement ».
31 : MINEUR ; Commentaire du droit pénal congolais,
éd. Maison F larcier, Bruxelles, 1953, p. 52
Dans d autres cas, la publicité servira au juge d
instrument de mesure pour apprécier l importance du préjudice
moral subi : « une gifle qui a causé une blessure a provoqué
un dommage matériel et moral à la victime. La gifle qui n a pas
provoqué de blessure cause un dommage moral d autant plus grave qu elle
a été portée en présence des tiers.
En dehors de la publicité, notre jurisprudence tient
compte d un autre élément : l intention de nuire. C est ainsi qu
elle estime que « ne peut être rendu responsable des
conséquences dommageables de sa dénonciation celui qui adresse
une plainte à l autorité judiciaire alors qu il a des raisons
sérieuses de croire que le fait dénoncé est constituf d
infraction.
Une plainte injustifiée peut également porter
atteinte à l honneur et à la considération de quelqu un.
En effet « celui qui par une plainte injustifiée met
inconsidérablement la justice répressive en mouvement engage sa
responsabilité quant aux conséquences de son acte. Il doit
indemniser celui contre qui il a porté plainte de l
entièreté du dommage que ce dernier a subi de ce fait de son
action téméraire et vexatoire.33
La rupture des fiançailles peut être
également considérée dans une certaine mesure comme une
atteinte à l honneur et peut de ce fait engager la responsabilité
de l auteur de l acte dommageable. Mais le problème des
fiançailles pose la question de leur nature juridique. Les
fiançailles constituentelles un contrat ? Si oui sa rupture peut-elle
entraîner une réparation ?
M. M. Pirson et de Villé signalent que la jurisprudence
Belge est divisée à ce sujet ; une partie de la jurisprudence
estime que le seul fait de la rupture sans motif légitime est
constitutif de faute ; une autre partie est d avis que
l absence de motif légitime ne suffit pas, il faut en
outre une faute distincte de la rupture34.
Cette assertion a été critiquée par M.
BOUILLENNE qui affirme à son tour qu il n existe pas de clans (l
expression est de M. BOUILLENNE) dans la
33 Cour d Appel d Elis. 2 janvier 1925, p. 281.
Cout. Bena Bayashi, Terr. Kongolo n° 45 et n° 89, B.J.L n° 3,
1933, P. 53, Cout. Bangengele, trib.non Cité (Kindu) 1948, B.J.I.
n°8 ? 1952, p. 233 ; Terr. Kasenga n° 23, 20 sept. 1950, B.J.I
n° 7,
1950, p. 218 avec note.
34 BOUILLENNE R. ; La responsabilité civile
extra-contractuelle devant l évolution du droit,
jurisprudence Belge. En effet, chaque fois qu il fallait
savoir si les fiançailles constituaient un contrat, la jurisprudence
Belge a toujours répondu par la négative. Cependant « au nom
de l équité qui exige que tout préjudice réel et
certain soit réparé, elle ordonnait la réparation qui
était due cette fois non pas en raison de la rupture elle-même
mais en raison des faits dommageables dont elle a été l occasion
».
Pour étayer son opinion, Bouillenne fait appel à
plusieurs décisions rendues par les tribunaux belges et qui d
après lui tranchent bien cette question. Un arrêt de la Cour d
Appel de Bruxelles, écrit-il, a nettement situé la position de la
jurisprudence : « attendu que la rupture ne pourrait être
imputée à la faute que dans des cas exceptionnels et lorsque les
circonstances et modalités de cette rupture créeraient des
éléments extrinsèques à la rupture eux-mêmes
; des actes dommageable »35.
Pour cette jurisprudence donc, les fiançailles ne
constituent pas une situation contractuelle, il s agit d un stade pré
conventionnel, d une situation de pur fait ne donnant naissance qu à de
simples obligations morales. Dès lors la faute qui donne naissance
à des dommages-intérêts réside non dans la rupture
comme telle mais bien dans la manière dont celle-ci s est accomplie :
raison injurieuses, publicité outrageante, etc.
La jurisprudence Congolaise a adopté la position de la
jurisprudence Belge. La jurisprudence coutumière semble abonder dans le
même sens : « la rupture d un contrat de fiançailles sans
motif suffisant peut entraîner une condamnation à des
dommages-intérêts ».36
Mais la jurisprudence emploie l expression « contrat de
fiançailles » ; est-ce dire que le droit coutumier a une autre
conception de la nature juridique des fiançailles ? C est notre avis. D
ailleurs l expression même « contrat de fiançailles »
est mal choisie, elle n est pas à sa place. Le droit coutumier ne
Bruxelles,, Ets. Bruylant, Paris, L.G.D.J, 1947, p. 195.
Cité par KALONGO op. Cit.
35 KALONGO MBIKAYI. Op Cit. P 83. La
jurisprudence des cours et tribunaux de Goma semblent s inspirer de ces
convictions sans néanmoins faire référence directe
à ces auteurs.
36 (1) Cour d Appel Goma RPA 509 (rôle
Pénal en appel)
(2) Art. 259 code civil livre 3 « chacun est responsable du
dommage qu il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou par son imprudence »
(3) Cour d Appel de Léopoldville 23 mars 1954 RJCB 1954
p. 198 cité par KALONGO
connaît pas de fiançailles au sens occidental du
terme. C est à dire une situation de pur fait, un stade
précontractuel qui n a d autre effet que la naissance de simples
obligations morales. En droit coutumier, ce que le droit écrit appelle
fiançailles, est un état de droit faisant naître des
obligations réciproques dans le chef des parties en présence.
§1.
Etude de cas d adultère.
Comme l atteinte à l honneur et à la
considération, l adultère peut causer un préjudice moral
certain qui demande réparation. La Cour d Appel de Goma a
déjà corroboré ce point de vue : « l adultère
dont un prévenu s est rendu coupable a causé un préjudice
certain tant à son épouse qu au mari de sa complice,
préjudice dont celui-ci est fondé à réclamer
réparation conformément au principe général de l
article 258 du Code Civil livre troisième».37
§2. Etude du cas de concurrence
illicite.
Dans un régime libéral, basé sur la
liberté de commerce, sur le plan civil, la concurrence illicite peut
causer un dommage soit matériel, soit moral. « Tombe sous le coup
des articles 258 et 259 (2) du Code Civil livre III le fait de dénigrer
le produit d un concurrent pour vanter par comparaison l excellence de ses
propres produits. Si le préjudice causé est d ordre moral
plutôt que matériel, la publication de l arrêt constitue la
réparation la mieux adaptée aux dommages38 ».
Section II. L ATTEINTE AUX SENTIMENTS
D AFFECTION.
Nous sommes ici en plein domaine des sentiments où la
sagacité du juge sera à, maintes reprises mise à l
épreuve. Il s agira pour lui, dans chaque cas
MBIKAYI, idem p. 93
37 (1) : cour d Appel de Goma. RPA 509, annexée
?
(2) : Art. 259 : « Chacun est responsable du dommage qu il
a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence
ou par son imprudence ».
(3) : Cour d Appel de Léo, 23 mars 1954, R.J.C.B 1954, p.
198. Cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. p 68
38 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B 1955,
p. 89
d espèce de calculer, mesurer la souffrance de ses
semblables. La jurisprudence congolaise a rencontré ces cas plusieurs
fois ; les décisions rendues en cette matière sont
nombreuses.39 A la lumière de tous les différents cas
examinés, nous prouvons dire que les dommages moraux les plus
fréquents dans notre jurisprudence restent sans conteste l atteinte
à l honneur et aux sentiments
d affection.
Une fille est écrasée par une voiture, la Cour d
Appel de Léo accorde des indemnités pour dommage moral aux
parents40. Une femme et un enfant perdent leur mari et leur
père dans un accident d automobile, l auteur de l acte dommageable
indemnise la veuve et l enfant pour dommage moral41.
L Administration n échappe pas à cette
obligation de réparer. Si à la suite de sa négligence les
routes publiques mal entretenues constituent à certains endroits un
véritable danger pour la circulation et provoque des accidents où
des vies humaines sont sacrifiées, il y a là lésion
manifeste d un droit civil, l Administration engage sa responsabilité :
la veuve de la victime, le frère du défunt ont droit à des
dommages-intérêts pour réparation du dommage moral qu ils
ont subi.42
Ce premier titre de notre travail nous aura permis de
circonscrire la notion qui fait l objet de notre étude : le dommage
moral. Nous en avons étudié la définition, les
caractères et le rôle dans la responsabilité civile. Nous
avons souligné relativement à ces questions l opposition entre le
droit écrit et le droit coutumier. Après avoir ainsi
défini l objet même de notre étude, voyons maintenant dans
notre second titre, les problèmes posés par la réparation
du dommage moral.
39 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 ;
Cour d Appel d Elis 26 mais 1964, R.J.C.B 1964, P.176, Cour d Appel 23 mars
1965, R.J.C 1965, P. 211, Cour d Appel d Elis. 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944,
P.48
40 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B,
1955, p. 89, R.J.C.B 1955, P. 1944, p. 89.
41 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, P. 13
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