La protection juridique de l'environnement au Cameroun et en France: le cas des nuisances sonores( Télécharger le fichier original )par Christelle Fanny-Ange MATCHUM KOUOGUE Université de Limoges - Master 2 en Droit International et Comparé de l'Environnement 2008 |
Section II :Le rôle non moins important de la pratique.Face à cette faiblesse de la législation, la question du droit au silence demeure ouverte. Les populations, principalement de la capitale économique Douala et de la capitale politique Yaoundé, victimes des nuisances sonores s'activent pour revendiquer le respect de leur droit au silence, corollaire du droit à un environnement sain. Pour illustration, Les habitants du quartier Log Baba dans la banlieue de Douala qui se plaignent de « diverses pollutions environnementales et atmosphériques », ont dressé des barricades en signe de protestation contre la construction d'une centrale thermique par la société de droits américano-camerounaise, AES SONEL. « Non à la pollution sonore et vibratoire. Pourquoi cette bombe environnementale chez nous ? » Pouvait-on lire sur les pancartes. « AES SONEL, respectez le décret n° 2005/0577/PM du 03 févier 2005 fixant les modalités de réalisation des études d'impact environnemental », ont exigé des riverains 11(*). Plus régulières sont les plaintes des riverains des cabarets, véritables sources de bruit. Au quartier Bonapriso Koumassi à Douala, une vingtaine de personne ont porté plainte contre M. et Mme Bekombo propriétaires du Complexe la Riviera pour bruits et nuisances sonores. Depuis le mois de mai 2008, ce qui était jusque là un restaurant et Snack bar a ouvert un espace cabaret. Tous les week-ends et jours fériés, le cabaret installé à ciel ouvert se mue en temple du Bikutsi. Les décibels que crachent les baffles ont rompu la paix qui régnait dans cette zone résidentielle. Le 7 juin 2008, les plaignants ont rédigé une pétition qu'ils ont adressé à la Sous-préfecture du 1er arrondissement de Douala avec ampliations aux chefs supérieurs du canton Bell, Bonapriso et Bonadouma . Une plainte collective ensuite a été déposée au commissariat spécial du 1er arrondissement. Les signataires de la pétition du 7 juin 2008 adressée au sous préfet de l'arrondissement de Douala 1er se disent prêts à aller jusqu'au bout pour retrouver leur paix, puisque le Code pénal en son article 369 punit les auteurs ou complices de bruits, tapages ou attroupements injurieux ou nocturnes, troublant la tranquillité des habitants.12(*) Depuis plus de quinze ans, « la rue de la joie » à Deido est devenue l'une des rues les plus célèbres de la cité portuaire -Douala-, Célèbre entre autres par la production de toutes les nuisances sonores et ceci au grand dam de ses riverains. S. M. Essaka Ekwalla, chef supérieur des Bonébela (Deido) ayant lancé des SOS aux différents préfets du Wouri -dont Deido dépend- a convoqué la centaine de tenanciers de débits de boissons, auberges et hôtels pour leur signifier, en présence du commissaire du 9ème arrondissement et du commandant de brigade de gendarmerie «l'urgence de reprendre en main le quartier », afin de contrôler ou de réduire, entre autres, la nuisance sonore. Par la suite, le préfet du Wouri, Bernard Atébédé, a régulièrement envoyé des équipes sur le terrain pour faire respecter la réglementation sur l'exploitation des débits de boisson et la protection de l'environnement notamment contre les bruits. 13(*) A Yaoundé, on a également observé la fermeture des débits de boisson connus sous l'appellation plus commune de « bars » par certaines autorités administratives, notamment le Préfet du Mfoundi. Un gérant de bar au quartier Emana sis à Yaoundé, à qui on a imposé la fermeture affirme que cela s'est fait sans explication des motifs de fermeture. Le respect de la réglementation en vigueur sur les horaires de fermeture des débits de boisson semble en être le fondement. Cependant, des doutes persistent sur une application saine de ces dispositions, si on s'en tient aux déclarations de ce gérant qui continue son discours en dénonçant le fait que certains bars étaient restés ouverts quand bien même les gérants ne respectaient pas l'heure de fermeture. Néanmoins, on peut remarquer l'effort fait par les autorités de faire respecter cette réglementation qui même de manière indirecte, participe tant bien que mal à la lutte contre le bruit. Le souhait ici est que l'action de l'administration se fasse sans abus et dans le respect du principe fondamental de « Nullum crimen, Nulla poena sine Lege »14(*). Les sanctions qui sont imposées aux propriétaires de bars ne doivent pas manquer de base légale et doivent être conformes aux prescriptions de la Loi. A coté des nuisances sonores occasionnées par ces bars, un nouveau phénomène mérite une attention particulière. Il s'agit du bruit de certaines églises dites « réveillées ». En effet, Depuis la signature du décret présidentiel N°90/53 du 19 décembre 1990, modifiée par la loi N°99-011 du 20 juillet 1999 libéralisant les associations au Cameroun, la société navigue en pleine dérive spirituelle.15(*) A travers le pays, on assiste à la prolifération d'églises réveillées et de sectes. Vues par les fidèles comme un moyen de se " rapprocher du Seigneur ", ces sectes sont en fait à l'origine de multiples tourments chez les populations riveraines où elles s'installent. Pour plus d'un, elles sont leur malheur. En dehors des diverses dérives souvent observées au sein de ces chapelles bruyantes, les nuisances sonores qu'engendrent ces églises révélées méritent également d'être considérées avec plus d'attention. Bien que les autorités administratives compétentes soient souvent appelées en dernier recours par les populations, elles ne parviennent pas, le plus souvent, à faire régner l'ordre au-delà de la mise en demeure servie à ceux que l'on traite de gourous dans les quartiers. Et pour cause, à chaque fois, la même accusation revient de la part des populations : de gros bras du régime seraient en effet membre de ces groupes qu'ils financent ou soutiennent de diverses manières. Ce qui contraindrait les responsables administratifs à réfléchir par deux fois avant de se lancer dans une quelconque opération de répression. Même si, dans la plupart des cas, les promoteurs de ces espaces de prière qui s'épanouissent à travers les villes n'ont, pour la plupart, aucune autorisation de création de pareille association. Le chef traditionnel du IIIème degré de Ngoa-Ekellé se plaint des nuisances causées par ces croyants : « C'est infernale que ces personnes nous font vivre et endurer. Il y a une église dite du réveil qui est installée là, juste derrière ma concession et tous les vendredis, c'est invivable avec tout le bruit qu'ils font pendant leur culte. On ne s'entend pas. Je suis déjà allé, plusieurs fois, leur faire savoir que tout ce vacarme est néfaste mais ils font la sourde oreille. Nous avons même alerté les autorités que sont le sous-préfet et le commissaire spécial qui ont convoqué le pasteur. On lui a signifié une mise en demeure mais ils ont continué leur prêche avec la même vigueur. » Le Gouverneur de la Province du Centre avait demandé aux chefs traditionnels de recenser ces églises pour qu'elles soient mieux contrôlées. 16(*) Au quartier dit Nsimeyong, à Yaoundé Bertrand Amougou habite dans le voisinage d'une église. « Ils ont souvent des veillées à la fin de la première semaine de chaque mois. Celles-ci sont ponctuées de chants et de prières. Ceci, de 18h à l'aube, pendant trois jours", rapporte-t-il. » Pendant cette période, « Les enfants ne peuvent plus étudier sereinement. Des fois, ma fille se plaint de violents maux de tête le matin, parce qu'elle n'arrive pas à trouver le sommeil la nuit ». Un soir, indique-t-il, fatigué de déserter son domicile pour ne pas subir le brouhaha imposé à sa famille, Bertrand va se plaindre auprès de l'homme de Dieu à l'origine de ses déboires. "Je lui ai demandé s'il savait au moins qu'il avait des voisins qui ont envie de dormir». Il m'a dit : ''je m'en fous, au nom du seigneur''. Au demeurant, le mépris ainsi manifesté à l'encontre de cet habitant de Nsimeyong s'apparente à un traitement de faveur, comparé à la bastonnade infligée à Paul Oum Bassama. Ce dernier, dont le domicile jouxtait "l'Eglise des rachetés de Dieu" non loin de l'hôtel Prestige à Yaoundé, avait osé se plaindre des bruits répétés imposés à sa famille. "Les mardi, jeudi et dimanche, quand ils se mettait leur orchestre en marche, ça devenait infernal. Toute ma maison vibrait. On ne pouvait plus se parler, parce qu'on n'entendait plus rien du tout", explique Paul Oum Bassama. Qui, après la furie de ses mauvais voisins, porte plainte au commissariat central n°3. En 2004. Mais, explique-t-il, sa plainte restera sans suite. Celle déposée dans les services de la sous préfecture de Yaoundé 3ème ne produira aucun effet non plus. Aussi, M. Paul Oum Bassama décide-t-il de saisir le procureur de la République près le tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif. Motif : "Trouble de tranquillité et de l'ordre public". Cette fois-ci, après une bataille judiciaire qui dure quatre mois, il a gain de cause. "L'Eglise des rachetés de Dieu" déménage en 2005. Permettant ainsi à la famille de M. Oum de souffler, non sans avoir vécu l'expérience du laxisme des pouvoirs publics camerounais, face au phénomène de ces églises qui pourrissent l'existence de leurs voisins. "Nos autorités savent très bien ce que les riverains de ces églises vivent comme calvaire. Mais, elles [les autorités] ont de gros intérêts dans ces églises-là. Il n' ya qu'à voir le nombre de grosses cylindrées qui défilent à ces endroits pour s'en rendre compte", tranche Bertrand Amougou. 17(*) L'on constate qu'Il y a donc une réelle nuisance sonore au Cameroun mais sans encadrement juridique approprié, indispensable pour procurer aux citoyens la jouissance d'un environnement sain. Les victimes multiplient les plaintes, qui dans bien des cas reste sans succès et avec persévérance trouvent une solution. Cette action des populations doit interpeller le Législateur qui est comme plongé dans une léthargie, d'où l'intérêt de rechercher des solutions complémentaires. * 11 Go for Cameroon, Douala : des populations bloquent l'installation d'une centrale thermique pour « pollution environnementale » www.goforcameroon.org * 12 Marion OBAM, Douala : des voisins portent plainte contre un cabaret, Cameroun-online.com, juillet 2009. * 13 Jean-Célestin EDJANGUE, Guerre contre la pollution sonore à Deido, http://www.lemessager.net, juin 2006. * 14 Citation latine signifiant, pas d'incrimination pas de peine sans texte. * 15 Brice MBODIAM, Pollution sonore : ces églises qui dérangent, Cameroun-info.net, juillet 2006 * 16 Ibid.., * 17 Ibid..., |
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