6.2 Anticipations rationnelles subjectives : risque
d'entêtement et de crise
Contrairement aux autres approches que nous avons
abordées, la finance cognitive se focalise sur le processus de prise de
connaissance des informations à commencer par celles
véhiculées par les prix. Cette approche se fonde sur la remarque
du sociologue Durkheim selon laquelle la valeur n'est que le fruit d'un
contexte social. Elle se concentre sur la méthode dont la valeur des
choses est établie et acceptée au sein d'un groupe.
Ensuite, cette approche analyse les anticipations dans leur
mode de formation et leur viscosité conduisant à une
homogénéisation des dernières. Cette étape induit
des comportements de masse qui ne sont pas nécessairement irrationnels.
Ils permettent ainsi d'estimer comment la spéculation se fonde dans ce
processus expliquant la prise de risque limitée en dépit
d'anticipations fortes. Le « que fait le marché ? » aussi
appelé « bêta » par les théories
microéconomiques de la finance...
6.2.1 Une inexactitude constante
Les modèles économiques partent de
l'hypothèse que la finance est le fidèle reflet de
l'économie réelle. Dans ce cadre la valorisation se
caractérise comme la valeur d'équilibre future. Ce futur est
appréhendé comme existant objectivement sous forme probabiliste.
Ainsi les méthodes de valorisation sont objectivistes par nature.
Or le futur est subjectif. Rien n'est formellement
définissable ex ante. Le futur est fonction de vues individuelles prises
dans une complète incertitude knigthienne42. Du nom de son
auteur John Knight, celui-ci introduit une distinction entre risque et
incertitude.
Le risque est un futur dont la distribution des états
possibles est connue. L'incertitude correspond à un futur dont la
distribution d'états est non seulement inconnue mais impossible à
connaître. Elle ne tient pas au manque d'information ou à
l'incompétence de l'observateur, mais à la nature même du
phénomène. Nous passons donc ainsi de la prise de risque à
la décision dans l'incertitude avec toutes les contingences
présentes comme l'impératif de rendement à risque
maîtrisé. L'incapacité des analystes financiers, par
exemple, à atteindre leurs objectifs illustrent ce
phénomène : ces derniers fonctionnent sur une base
d'anticipations adaptatives où le futur sera semblable au
présent, toutes choses égales par ailleurs. D'où les
réactions substantielles des marchés et de ses intervenants aux
surprises. Les anticipations ne sont ainsi que friables par conjonction des
faits et une incapacité à être devin.
Par conséquent, l'ensemble des anticipations et des
conjectures est intrinsèquement inexacte. Non pas parce que c'est
difficile comme le suggère Villa (2004) mais simplement parce que les
marchés sont dans le règne de l'incertitude quant aux
événements à venir et à la réaction des
autres agents. Ceci fait clairement référence à la
philosophie d'investissement fondant les décisions d'investissement du
fonds Quantum de Soros : comprendre les participants dans l'incertitude de
l'avenir tout en s'ancrant dans des vues fondamentales. Ceci permet de jouer
plusieurs scénarii spéculatifs adaptés en permanence selon
les signaux de marchés.
42 ORLEAN A. « Efficience, finance
comportementale et convention : une synthèse, CEPREMAP, ( + (
66T H&RQseIlH135 QMVH( FRQRP IDITH«
Les crises ».
A l'aune de cette approche de l'efficience des marchés,
les prix de marché ne sont que la sommation des estimations subjectives
individuelles pondérées par le poids de chaque
investisseur43. Il n'est que le reflet chaotique de visions
divergentes. Ces cours sont nécessairement un pari de par cette
incertitude naturelle dans un monde non stationnaire. Aucun équilibre ne
fonctionne sur une base de conjecture établis ex ante mais sur une
réalisation a posteriori de vues différentes. C'est
à ce seul moment que les prix sont informatifs mais uniquement sur
l'état des visions passées quant au futur à venir.
Ainsi le marché fonctionne comme une marche cognitive
faisant émerger, comme une synthèse, une opinion de
référence perçue par tous comme une expression de ce que
pense le marché et vis-à-vis desquels les intervenants se
positionnent. Le marché se rend plus intelligible. Les acteurs passent
d'un état de croyances divergentes non stationnaires où les gains
sont aléatoires à une convention financière. Celle-ci se
définit comme une manière partagée d'appréhender le
futur.
Rationalité des agents, qualité des
anticipations et prise de risque ne constituent plus les éléments
à investiguer. Nous sommes dans la dimension sociale des marchés
où la rationalité financière, première et unique
est de vouloir réaliser un profit maximal par le jeu de l'investissement
boursier. Plus précisément elle porte sur l'évolution des
cours. Elle ne se confond pas néanmoins la rationalité
fondamentaliste. Celle-ci n'est qu'une approche dans la formation de son
opinion personnelle initiale.
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