5.2 Problématique de l'ancrage des
anticipations
Si dans la première partie, nous avons perçu les
facteurs fondamentaux influençant les mouvements de taux de change, la
question est de savoir si les taux de change affichés sur les
marchés sont justes et sur quelles bases valider leur justesse. Puisque
l'avantage informationnel porte sur les facteurs déterminant sa
variation, il faut que les investisseurs puissent se déterminer par
rapport aux prix actuels. Il s'agit de la notion d'ancrage de valeurs,
c'est-à-dire un point de référence permettant de juger de
l'exactitude fondamentale d'un taux de change. Ceci est capital pour envisager
un mouvement de hausse ou de baisse, donc un pari spéculatif.
Celui-ci se distingue toutefois de l'arbitrage classique. Ce
dernier est le mécanisme de la loi unique faisant converger une valeur
sous-évaluée et celle surévaluée de manière
neutre en risque alors que la spéculation cherche à
bénéficier du seul mouvement sans pour autant être risque
neutre. Sans cet ancrage possible, la spéculation marche à
l'aveuglette. Plus concrètement, s'il a été mis en avant
que ce sont les anticipations de variations des écarts de taux
d'intérêt réels qui influencent le plus les taux de change,
comment s'assurer que ces derniers prennent en compte ou non cette
éventualité afin de précisément pouvoir valider une
décision d'investissement subséquente à ces
anticipations.
La difficulté sur le marché des changes est
qu'il n'existe pas de modèles uniformes de valorisation des taux de
change contrairement aux actions et aux obligations. Cette difficulté
est d'autant plus flagrante qu'aucun modèle économique ne
parvient à produire des résultats durablement pertinents. A ce
jour, les modèles utilisés définissent le taux de change
comme le moyen d'assurer l'équilibre tant interne qu'externe d'une
économie sans s'accorder tant sur l'ensemble des variables
influençant le taux de change que sur les modèles
économétriques, les méthodes de combinaison. Ce niveau
d'équilibre est fréquemment éloigné du taux de
change obtenu sur les marchés. Les résultats produits ne sont pas
supérieurs à une marche aléatoire19. Seulement
sur des horizons de très long terme est-il encore possible d'obtenir des
résultats satisfaisants comme au moyen de la parité de pouvoir
d'achat relative20 ou obtenue de manière non
linéaire21.
19 BENASSY-QUERE A., LARRIBEAU, McDONALD, «
Models of Exchange Rate Expectations: Heterogeneous Evidence from Panel Data
», CEPII, 1999
20 Op. Cit
Aucune méthode ne parvient en outre à produire
le même résultat en termes de taux de change d'équilibre
sauf à un instant précis passé ou présent,
démontrant que ces derniers évoluent aléatoirement au
gré des découvertes de l'économie. Donc il est possible,
que les spéculateurs soient des adeptes de la parité des pouvoirs
d'achats ou des modèles d'équilibre fondamentaux à la
Samuelson (FEER) ou comportementaux (BEER), il serait possible
d'appréhender si un taux de change est effectivement sur- ou
sous-évalué.22
Ceci autorise donc un ancrage sur la valeur fondamentale des
taux de change permettant d'envisager un mouvement. Le concept
développé par Grossman de prix « allocatif
23» selon lequel les taux de change seraient soumis à
des pressions d'offre et de demande liés aux transactions des acteurs
institutionnels dans leur allocation d'actifs stratégique
générale (choix des classes d'actifs, des zones et des supports
d'investissement) viendrait d'autant plus inciter à la
spéculation dans une espérance d'un retour aux fondamentaux.
Celui-ci semble d'ailleurs exister en ce sens qu'un retour à la moyenne
des taux de change fondamentaux est constaté sur des horizons plus longs
et en cas de forte volatilité et de crise sur les marchés des
changes24.
Cet ancrage exige de pouvoir isoler les flux affectant les
taux de change pour des raisons d'allocation d'actifs, des autres bruits de
marchés et des flux fondamentaux comme celui de vouloir profiter des
écarts de taux d'intérêts réels (principe de la
parité de pouvoir d'achat) d'une part, et de savoir combiner les
différents facteurs fondamentaux affectant l'évolution des taux
de change dans un environnement très hétérogène eu
égard à la variété des modèles
évoqués. Le prix devient une fonction de la valeur fondamentale,
des flux de marchés et de la disparité dans la qualité des
investisseurs et de leur accès à l'information.
21 SARNO L., << Non linear exchange rate models,
a selective overview », IMF (2003). Selon lui les mod~les classiques de
calcul de la parité de pouvoir d'achat ne permettent de prédire
les taux de change car elles ne prennent pas en compte les mouvements
extrêmes contrairement aux modèles non linéaires.
22 Op. cit
23 Op. cit
24 CAMPA, WOLF << Is real exchange rate mean
reversion caused arbitrage », NBER, 1997
Par ailleurs, est-ce que les prix de marché ne sont-ils
pas affectés durablement par ces bruits comme l'indique Villa. Ainsi,
l'information privilégiée peut-elle porter ses fruits ? C'est en
cela que la finance microstructurelle peut permettre d'entrevoir une
réponse : comment se forment les prix sur les marchés en fonction
du bruit et de l'information ?
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