En revanche nous avons ignoré l'aspect social de
l'OPA.
Or, il nous faut désormais étudier l'OPA et sa
défense à l'intérieur de l'entreprise, ses effets et le
regard du personnel pour que notre analyse soit complète.
La question essentielle est effectivement de savoir quel
organe représente l'aspect social et où réside l'aspect
social face à une OPA (A) mais aussi de savoir si une défense
peut être envisagée à travers l'aspect social (B).
138. - Le but de la défense en
matière d'OPA est d'échapper à la prise de contrôle
agressive d'une société adverse, tout en respectant l'aspect
social.
Il reste à savoir par quel organe est incarné
l'aspect social.
En effet, une SA de type classique comprend une masse
d'actionnaires réunie en assemblée d'actionnaires, un conseil
d'administration élu par les actionnaires et un président du
conseil d'administration nommé par le conseil. Or, il s'agit
précisément des organes juridiques composant la
société. En parallèle, il existe d'autres organes au sein
de l'entreprise qui participent à l'aspect social. Ce sont notamment les
comités d'entreprise et les autres représentants du personnel.
139. - Jadis, les comités d'entreprise
étaient chargés des loisirs et des activités
extérieures pour le personnel de l'entreprise.
Depuis, son rôle social (à entendre au niveau de
l'entreprise et non pas seulement au niveau de la masse salariale) a
considérablement évolué. S'il n'est pas une instance
dirigeante, le CE a son droit au chapitre dans certaines décisions
même si se consultation n'aboutit qu'à un avis sans effet
obligatoire.
140. - L'article L.432.1 alinéa
1er du Code du travail est rédigé comme suit :
« Dans l'ordre économique, le
comité d'entreprise est obligatoirement informé et
consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion
et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les
mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la
durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation
professionnelle du personnel »
Il n'est donc pas écrit explicitement que
l'intérêt social est incarné par le CE.
En revanche, le CE est une des émanations de
l'intérêt social, au même titre que les autres organes
sociaux cités plus haut.
141. - Pour bien comprendre notre analyse,
rappelons que l'entreprise vit de ses dirigeants qui en dessinent l'orientation
générale, de ses actionnaires qui la financent et de ses
salariés qui l'exploitent en exécutant les directives
ordonnées par la direction. Toutes ces structures contribuent à
dégager l'intérêt social, c'est-à-dire
l'intérêt général de la société.
La direction est l'exécutif de l'entreprise ; elle
dicte des lignes générales. En accord avec les actionnaires
réunis en assemblée si les mesures sont d'ordre structurel, elle
met en place un dispositif anti-OPA afin de protéger
l'intérêt social.
142. - Or, les dirigeants peuvent à
terme confondre intérêt général et
intérêt personnel.
En effet, face à une OPA, même hostile, qui irait
dans le sens du marché, tant boursier qu'économique, la
défense à tout prix n'est pas forcément conforme à
l'intérêt social.
Lors du lancement d'une OPI, les dirigeants de la
société cible peuvent être tentés d'assurer une
défense active pour conserver leur rang, leurs attributs sociaux, leurs
avantages, salaires et pour satisfaire certains actionnaires majoritaires
auprès desquels ils prennent leurs ordres.
De même, des actionnaires pourraient faire pression sur
les dirigeants pour que ceux-ci mettent en place une stratégie de
défense anti-OPA. Ce système leur permettrait de conserver leur
majorité sans en être inquiété.
Dans ces cas précis, ce sont des intérêts
personnels qui prennent le pas sur l'intérêt social.
De même, si l'OPI devait aboutir, les dirigeants peuvent
toujours prévoir avec les nouveaux actionnaires majoritaires des
indemnités de « consolation » et une porte de sortie
décente. Pour les salariés, s'agissant d'une OPA
réalisée par un raider, ils paieront souvent pour
l'intérêt qui guide le spéculateur qui, afin de mieux
revendre la société, voudra engendrer des profits en
réduisant le coût salarial ou en licenciant une part des
salariés.
143. - En outre, une OPA, quand bien
même elle serait hostile, n'est pas toujours un tort pour
l'économie et pour la société elle-même. Elle peut
effectivement présenter des avantages. Nous l'avons noté dans
notre introduction, une OPA peut avoir des conséquences tout à
fait bénéfiques pour le tissu économique et introduire un
levier accélérateur dans le progrès industriel ou
même social.
La défense élaborée par les dirigeants ou
les actionnaires de référence, pourrait nuire en fin de compte
à l'intérêt social. En ce cas, les organes
désignés n'incarnent plus l'intérêt social qu'ils
sont censés maintenir.
Les effets bénéfiques de l'OPA ne se feront pas
sentir au niveau de l'entreprise et des salariés.
144. - A contrario, certaines OPA
amicales qui opèrent des absorptions ou des fusions
décidées par les actionnaires ou les dirigeants vont à
l'encontre de l'intérêt des mêmes salariés. Souvent
fusion rime avec licenciements car la synergie économique veut que les
résultats financiers de la nouvelle entité soient majorés
avec une masse salariale plus faible. Certains journalistes économiques
rappellent que l'intérêt social n'est dans ce cas pas
respecté64(*).
Plaire aux actionnaires conduirait à réduire l'emploi au sein de
l'entreprise.
Ainsi, les salariés, s'ils incarnent en partie
l'intérêt social, n'ont pas véritablement de poids
décisionnel et, en cas d'OPA, quelle qu'en soit l'issue et le but, seuls
les organes sociaux dirigeants décident pour l'intérêt
général.
145. - De surcroît, l'OPA
réussie peut profiter également aux actionnaires qui ont vendu
leurs titres. Ceux-ci ont accru leur patrimoine financier en revendant leurs
actions à l'initiateur de l'OPA qui a proposé un prix très
attractif pour se faire convaincant. Ainsi, les actionnaires ont pu faire une
plus-value boursière sans doute conséquente profitant de cette
période de rachat généreuse.
Pour réaliser cette opération financière,
ces actionnaires auront permis à une société hostile ou
à un raider de prendre le contrôle de la société
qu'ils finançaient au risque de la voir être
démantelée ou de voir une compression d'effectifs non conformes
à l'intérêt social.
Cela fut notamment le cas à l'issue de la bataille
boursière que se sont livré la BNP et la Société
générale durant l'été 1999 sur
l'établissement Paribas65(*). A l'issue de cette lutte dont la BNP sortit
vainqueur pour devenir BNP-Paribas, les salariés de Paribas ont vu leur
rémunération être revue à la baisse. Les
observateurs ont noté en outre que la fusion avait « fait
le vide chez les cadres, révulsés par la culture bureaucratique
et peu internationale de la BNP »66(*).