§3. Les poison pills
91. - Les poison pills,
littéralement « pilules empoisonnées » sont
une série de mesure qui font perdre à la société
toute sa substance en cas d'OPA. Le but est de dissuader l'initiateur de l'OPI
qui sait qu'il va faire perdre de sa valeur à la société
en cas de prise de contrôle.
Le procédé consiste à consentir à
un tiers une option sur les actifs les plus intéressants de la
société ou à permettre audit tiers de rompre brutalement
une relation contractuelle continue et essentielle pour la
société.
Potentiellement vidée de sa substance, la
société n'a plus d'intérêt pour l'assaillant.
92. - Cette stratégie est née
aux Etats-Unis où elle est fréquente. En France, elle se
rencontre peu car la COB jette un regard défavorable sur ce moyen
anti-OPA45(*).
Dès 1988, lors de l'OPA lancée sur
Bénédictine, il s'est avéré que le changement de
contrôle pouvait entraîner la perte du contrôle d'une filiale
commune avec un partenaire. La COB a alors demandé aux protagonistes de
renoncer au rachat de la filiale concernée au motif que
« ce type de clause avait pour effet de faire obstacle aux offres
publiques et donc au fonctionnement normal du
marché »46(*).
93. - Toutefois, il n'est pas rare que de
nombreux contrats commerciaux ou financiers marqués par un fort
intuitu personnae contiennent une clause de changement de
contrôle selon laquelle le cédant ou le créancier sont en
mesure de mettre fin par anticipation au contrat si le cessionnaire ou le
débiteur viennent à passer sous le contrôle d'un tiers.
Une clause de ce genre se rencontre notamment dans des
contrats commerciaux tels que la cession de licence de marque ou l'octroi de
licence d'exploitation de brevet ou dans les contrats de prêt. Ainsi, en
cas d'OPA, entraînant un changement de contrôle du breveté
ou du licencié, le donneur de licence peut procéder à la
résiliation anticipée du contrat ou à tout le moins se
réserver un droit d'agrément ; de la sorte, l'initiateur de
l'OPA sur le licencié sera dans l'incertitude quant à la
possibilité de continuer à exploiter ladite licence de brevet ou
de marque, ce qui est un facteur évident de dissuasion.
De même, il n'est pas rare de rencontrer une telle
clause dans les contrats de prêt. Il peut en effet être
stipulé que le changement de contrôle affectant la
société débitrice constituera un cas de remboursement
anticipé.
Aussi, malgré l'avis de la COB, ces mesures
peuvent-elles être incluses dans une stratégie de défense
anti-OPA si le public en est informé avant toute offre et si elles
s'appliquent à une réalité industrielle.
94. Ainsi, en cas de changement de
contrôle, il pourrait être prévu :
- prêt à rembourser
intégralement ;
- fin de collaboration ou de partenariat avec une autre
société ;
- fin d'exploitation de brevet ;
- fin du soutien d'une banque
« amie » ;
- fin d'un contrat essentiel ;
- vente d'une filiale.
²
95. - En guise de conclusion à cette
première partie, nous pouvons constater qu'il existe effectivement un
panel de mesures anti-OPA mis à la disposition des dirigeants de
sociétés par le droit des sociétés, d'une part, et
le droit boursier d'autre part. En outre, la pratique a elle-même
engendré des dispositifs permettant de faire échec aux offres
hostiles.
Retenons, en premier lieu, qu'il convient tout d'abord de
dissocier le pouvoir exécutif de la société du capital
social. En effet, c'est le capital qui subit les assauts du raider et qui
permet à ce dernier de prendre le contrôle de la
société visée. En mettant en oeuvre des stratégies
de défense au niveau du droit de vote, les dirigeants de la
société cible parviennent à décourager l'initiateur
de l'offre. De surcroît, il sera nécessaire d'introduire des
dispositions qui permettent de réduire la marge donnant accès
à l'exécutif de la société.
96. - L'intérêt de ce large
panel de mesures est de pouvoir les combiner entre elles.
Chaque société cotée devra établir
une stratégie de défense préventive adaptée
à sa forme sociale et à son actionnariat. Ainsi, toutes les
sociétés ne peuvent pas se transformer en société
en commandite par actions. Celles-ci devront alors envisager d'autres moyens
anti-OPA comme la limite du droit de vote et créer des critères
d'accès au conseil d'administration.
Cependant, si les sociétés ont de nombreuses
possibilités de défense, il leur faut également savoir
concilier stratégie de défense préventive et
attractivité en Bourse. En effet, l'application de mesures anti-OPA doit
freiner les ardeurs du raider mais pas celles des investisseurs. Ainsi, la
société doit trouver le juste équilibre pour être
à la fois séduisante auprès des « petits
porteurs » et suffisamment repoussante aux yeux de l'initiateur de
l'offre.
97. - Malgré cette série de
dispositifs censés mettre en échec un raider, la
société n'est pas pour autant en sécurité totale.
Malgré ces barrières financières et juridiques,
l'initiateur de l'offre peut parvenir à ses fins. Il reste alors
à la société d'appliquer une stratégie de
défense active en cours d'OPA.
² ² ²
* 45 Rapport annuel COB
1987, p.134 : « la tradition française fort
heureusement n'admet pas ces mesures contraires à l'intérêt
social. Il ne faut surtout pas les laisser s'introduire dans notre pays ;
les actionnaires lésés ne devraient pas hésiter à
exiger le retrait de telles mesures lorsqu'ils viendraient à en avoir
connaissance. »
* 46 Rapport COB 1988,
p.80-81
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