Chapitre 4
PROFIL ET DÉTERMINANTS DE LA
PAUVRETÉ
INFANTO-JUVENILE
Le chapitre est organisé en trois sections, lesquelles
présentent des résultats supplémentaires de la recherche.
La section 1 généralise les analyses descriptives faites au
chapitre précédent et dresse un profil de pauvreté de la
petite enfance congolaise. La section 2 exhibe une option
économétrique pour appréhender les déterminants de
la pauvreté des enfants. Il s'agit de l'estimation d'un modèle
«probit » devant servir de prédiction du risque pour un enfant
d'être pauvre étant donné certains facteurs associés
ciblés. La section 3 enfin propose quelques suggestions des
stratégies ciblées en vue de l'affermissement du bien-être
des enfants, compte tenu des résultats escomptés et des carences
décelées.
4.1 PROFIL DE PAUVRETE DE LA PETITE ENFANCE
Rappelons que, l'intérêt d'un profil de
pauvreté réside assurément dans l'indication des
manifestations essentielles de la pauvreté, en donnant une facette sur
la façon dont elle varie d'une localité à une autre ou
d'un groupe particulier de population à un autre. Dans la
présente étude focalisée sur les enfants, il nous permet
de formuler des stratégies en faveur du bien-être des enfants.
L'élaboration d'un profil de pauvreté passe par cinq
étapes : (i) le consensus sur l'approche conceptuelle, (ii) le choix
d'un seuil qui sépare les pauvres et les non- pauvres, (iii) le choix
des indicateurs spécifiques qui capturent le mieux les dimensions de la
pauvreté, (iv) l'analyse de ces indicateurs et (v) la formulation des
stratégies adaptées.
4.1.1 Indicateur composite de pauvrete (ICP)
L'ICP infanto-juvénile est construit sous un angle non
monétaire axé sur les besoins de base et les droits
socio-économiques des enfants, par opposition à l'approche
monétaire. Une première ACM sur 18 variables/57 modalités
et 4904 enfants s'est soldée par un échec dû au non respect
par certaines modalités, de la propriété COPAF. La
solution a nécessité l'isolement d'une variable, 10
modalités et 578 enfants. Notons que les modalités ont
été apurées (triées) avec le critère de
poids relatif inférieur à 2 %. Finalement, l'ACM
ayant permis la construction de l'ICP a porté sur 4326
individus actifs et 47 modalités de 17 variables actives. La liste des
17 variables vérifiant la COPAF est traduite par le tableau 4.1.
Tableau 4.1 : Tri-à-plat des 47 modalités
pour 17 variables actives
15. Temps pour Approvisionnement en eau potable
10. Sanitaires WC1 - WC Moderne
W - WC Traditionnelle
WC3 - Sans WC
16. Indice taillepourâge (alimentation)
17. Iodation du sel EL1 - Sel OPPM
SEL2 - Sel <15PPM
SEL3 - Sel >15PPM
11. Nature du sol SOL1 - Sol Moderne
SOL2 - Sol Traditionnelle
SOL3 - Autre Sol
12. Nature du toit TOI1 - Toit Moderne
TOI2 - Toit Traditionnelle
TOI3 - Autre Toit
13. Nature des murs
14. Principale source d'eau potable
Variables Modalités actives
Source: Travaux de
l'auteur/EDSC-I 2005
MUR1 - Murs Moderne
MUR2 - Murs Traditionnelle
MUR3 - Autres Murs
EAU1 - Citerne/Bouteilles
EAU2 - Robinet
EAU3 - Puits/For Salubres
EAU4 - Puits/For Insalubres
EAU5 - Autres Eaux
TEM1 - Surplace
TEM2 - >30mn
TEM3 - <=30mn
TAG1 - sévèremt malnutris
TAG2 - malnutris
Variables Modalités actives
1. Indicateur de Richesse du Ménage IRM1 - Plus pauvre
IRM2 - Pauvre
IRM3 - Moyen pauvre
IRM4 - Riche
IRM5 - Plus riche
2. Allaitement au sein ALL1 - Allaité
(maternelle) ALL2 - Non Allaité
3. Vitamine A VIT1 - Vitaminé A
VIT2 - Non Vitaminé A
4. Vaccination BCG BCG1 - Vacciné BCG
BCG2 - NonVacciné VBCG
5. Vaccination POLIO POL1 - Vacciné POLIO
(Poliomyélite) POL2 - NonVacciné POLIO
6. Vaccination DTCOQ DTC1 - Vacciné DTCoq
(Diphtérie/Tétanos/Coqueluche) DT -
NonVacciné DTCoq
7. Vaccination ROUGeole ROU1 - Vacciné Rougeole
ROU2 - NonVacciné Rougeole
8. Gestion des sanitaires (type de lieu d'aisance)
9. Indice de peuplement du logement (Nombre de personnes par
pièces)
|
GWC1 - WC Collectif
GW - WC Privé
IPL1 - ipl 0-1
IPL2 - IPL 2-3
IPL3 - IPL >3
|
L'on sait que l'inertie totale expliquée par la matrice
soumise à l'analyse est égale au nombre moyen des 47
modalités divisé par les 17 variables actives, diminué
d'une unité ; soit 1,7647. Sur le plan (1,2), la diagonalisation de la
matrice analysée donne les valeurs propres respectives
ë1 = 0,3106 et ë2 = 0,1466 .
Le facteur 1 décrit 17,60 % de l'inertie
totale de la matrice de départ tandis que le facteur 2
en décrit 8,31 %. Cela signifie que le plan d'analyse (1,2) restitue
environ 26 % de l'information contenue dans le nuage initial. Est-ce un taux de
projection d'informations significatif ? Oui :
ü la faible part de la variance expliquée sur les
premiers axes est une caractéristique de l'ACM qui donne
généralement des mesures pessimistes de l'information extraite.
En effet, l'inertie totale (somme des valeurs propres) dépend uniquement
du nombre de variables et de modalités, et non des liaisons entre les
variables : elle n'a donc pas de signification statistique47 ;
ü chaque axe absorberait une inertie de 1/46, soit
environ 2 points, au cas où les modalités étaient
indépendantes. Ainsi, le plan (1,2) choisi a un pouvoir descriptif des
liaisons entre modalités, 13 fois plus grand.
47 Notons que, contrairement à cette inertie
totale qui n'a pas de sens statistique, la somme des carrés des valeurs
propres est un indicateur de liaison entre variables. Elle est d'autant plus
élevée que les liaisons entre variables sont plus fortes
[Lébart et al (1994), Benzécri (1973), Volle (1980)].
L'analyse de l'indicateur composite de pauvreté des
enfants, va être facilitée par l'examen préalable des
formes des graphiques résultant de l'analyse factorielle.
Figure 4.1 : Hypercube de contingence. Indicateur
composite de pauvreté multivariée de la petite
enfance
Source : I'auteur sur les donnée s de
I'EDSC-I 2005
Quadrant 2
Quadrant 3
Quadrant 1
Quadrant 4
L'examen de la figure ci-dessus (appuyé par une
visualisation de la représentation simultanée : figure 4.E.1,
annexe E), montre que le nuage des enfants décrit en même temps
que l'IRM et leur ICP, une trajectoire parabolique : c'est l' «effet
Guttman». Il apparaît ici de façon mécanique, comme
c'est habituellement le cas dans la plupart des variables
échelonnées avec un ordre naturel (ici l'ICP et l'IRM). Cet
effet, s'avère important dans l'étude des
phénomènes périphériques, afin d'interpréter
véritablement les axes. L'effet Guttman oppose, suivant la parabole
d'une part les modalités extrêmes sur l'axe 1 et, d'autre part,
les modalités extrêmes aux modalités moyennes sur l'axe 2,
les points de rupture de la parabole méritant une attention
particulière (Bry,1995, p.94). Cela étant, l'on pourrait
assimiler l'axe 1 à un axe d'«extrême
pauvreté/extrême richesse» et l'axe 2 à celui de
«pauvreté intermédiaire». Le facteur 2 étant une
fonction de second degré du facteur 1, la pauvreté
infanto-juvénile impose une interprétation sur le plan (1,2).
Ainsi, l'axe 1 oppose les deux extrémités de la parabole ; les
enfants « extrêmement pauvres » à gauche (quadrant 3)
aux enfants «extrêmement riches» à droite (quadrant 4).
Cette opposition (encore hypothétique à cette étape) est
telle que :
® les enfants «extrêmement pauvres» sont
issus des ménages les plus pauvres. Faute de cela, il n'est pas
étonnant que ces enfants habitent des logements traditionnels (toit en
paille/chaume, sol en terre/sable/bois/planches, murs en d'autres
matériels) et sont sans lieu d'aisance. De même, ils consomment de
l'eau issue des puits/forages insalubres et sont exposés au risque de
presque toutes les maladies cibles du PEV/C (Tuberculose, Polio,
Diphtérie, Tétanos et Coqueluche). Ces résultats
confirment les liens entre les variables croisées lors des analyses
faites au chapitre 3. C'est pourquoi, l'on pourrait ajouter que de tels enfants
sortent des ménages où la mère a un niveau d'instruction
faible. Cela corrobore une des analyses faites par Ambapour (2007) traitant le
cas spécifique des ménages congolais. Il appelle cette
pauvreté liée au manque/faible d'accès aux infrastructures
de base ; «vulnérabilité de l'existence humaine». Il
ajoute que «c'est la pauvreté la plus perceptible et frappe surtout
les ménages analphabètes»48. Somme toute, il est
clair que le quadrant 3 illustre non seulement une pauvreté
infanto-juvénile héritée des ménages (position de
l'IRM), mais aussi une pauvreté en termes de manque d'accès aux
besoins de base49 et en termes de violation de leurs droits
socio-économiques50. Il s'agit-là des enfants des
zones rurales, privées d'infrastructures de base.
(c) les enfants «extrêmement riches» sont
issus des ménages les plus riches. Fort de cette liaison, il n'est pas
non plus étonnant qu'ils disposent d'un cadre de vie agréable
caractérisé par des logements modernes (murs en
ciments/agglo/parpaings, etc.). Ils utilisent des sanitaires décents
(chasse eau/fosses et latrines modernes), consomment de l'eau du robinet pour
laquelle la durée moyenne d'approvisionnement n'excède pas une
demi heure. Toutefois, ces enfants ne sont pas allaités au lait maternel
et l'on sait que cela est tributaire des ménages où la
mère a un niveau d'instruction élevé. Ce qui
pourrait conférer au quadrant 4 le pouvoir descriptif d'une
pauvreté non monétaire infanto-juvénile, en termes de
privation de lait maternelle (pauvreté nutritionnelle).
L'axe 2 oppose les enfants appartenant aux deux
premières catégories susmentionnées aux enfants en
situation de pauvreté intermédiaire (le sommet et l'axe de
symétrie de la parabole). Il ne reste donc plus qu'à
décrire les quadrants 1 et 2. Ces quadrants concernent les enfants issus
de parents pauvres, moyens pauvres et riches. Toutefois, il y a lieu de
préciser que deux sous-classes opposées sembleraient naître
dans cette catégorie : la sous-classe du
48 Ambapour S., 2006, «Pauvreté multidimensionnelle
au Congo : une approche non monétaire », DT 13/2006, p.22.
49 Aménagement sanitaires, eau potable,
logement et soins de santé.
50 Droit à des conditions de vie adéquates, droits
économiques, droit à un accès équitable aux
services publics de santé.
quadrant 2 dont le niveau de bien-être semble relativement
plus bas que celui de la sousclasse abritant le quadrant 1.
® La sous-classe du 2ème quadrant
concerne les enfants issus des ménages « pauvres ». Leur
habitat est caractérisé par des murs traditionnels, des autres
toits et des personnes dormant à plus de trois par pièce. Ces
enfants sortent de ménages qui n'utilisent pas de sel iodé, sont
privés de micronutriments à vitamine A ; sont donc malnutris bien
qu'ils utilisent de l'eau provenant des puits/forages salubres, des
citernes/bouteilles et des autres sources. Ils sont vaccinés contre les
maladies cibles du PEV/C, exceptée la rougeole. Notons aussi que leurs
WC sont de type traditionnel ou moderne collectif. En somme, cette sousclasse
attribue à l'axe 2 le caractère descriptif d'une pauvreté
en termes de cadre de vie non assaini et d'alimentation de basse
qualité. C'est la tendance des enfants en zone « semirurale
».
(c) La sous-classe du 1er quadrant concerne les
enfants issus de parents « moyens pauvres » et « riches ».
Ils utilisent des sources d'eau autres que celles que l'on a déjà
citées précédemment. L'habitat est relativement
confortable avec toit et sol modernes. Ils sont vaccinés contre les
maladies cibles du PEV/C excepté la rougeole et sont allaités
dans les 1éres périodes de leur existence. C'est seulement en
termes de désavantage pour la non vaccination contre la rougeole que
leur pauvreté s'exprime. Nous assimilons ce type de pauvreté
comme tributaire des enfants dont le milieu de résidence est
relativement celui des grandes villes.
Il y a lieu de relever que cette description de classes reste
encore moins rigoureuse, notamment en ce qui concerne le facteur 1. En effet,
tous les individus décrits (au sens des modalités de leurs
variables caractéristiques), ne contribuent pas de la même
façon à la formation de cet axe. De même, tous ne sont pas
bien représentés sur ce même axe. Les modalités qui
ont le plus contribué à sa formation sont celles pour lesquelles
la contribution (CTR) est au-dessus de la tendance centrale théorique
autour de laquelle elle oscillerait si ces modalités contribuaient
équitablement ; c'est-à-dire 2,12 % (100/47). Aussi, seules sont
très bien représentées sur l'axe 1, les modalités
dont le cosinus carré (CO2) avoisine 0,02 (1/47). Enfin, un autre
élément d'aide à la pertinence des modalités est la
valeur test (V.TEST). Elle édite les modalités les plus
marquantes de chaque classe. Une modalité est significative si V.TEST
est en valeur absolue supérieure à 2. Cela étant, les
modalités de variables jugées rigoureusement
interprétées (dites aussi «modalités bien
photographiées»), sont récapitulées dans le
tableau 4.2. Rappelons par ailleurs que la forme fonctionnelle des scores Ci
(ICPi) est donnée au chapitre 3 [voir formule (1)]. Toutefois, les
résultats ici donnés sont
générés automatiquement avec les
procédures HOMALS Command de SPSS et COREM/CORMU de SPAD.
Tableau 4.2 : Scores, contributions, cosinus
carrés et valeurs-test des modalités significatives sur l'axe
1
Variables/Modalités Score Ci CTR en % CO2 V.TEST
2. Vitamine A
Non vitaminé A -0.26 0.20 0.01 -5.3
10. Sanitaires WC moderne Sans WC
13. Nature des murs Murs modernes
Murs traditionnels
15. Temps pour approv. Eau > 30 minutes
<=30 minutes
1. Indicateur de Richesse du Ménage Plus pauvre
Pauvre
Riche
Plus riche
12. Nature du toit Toit moderne
Toit traditionnel
14. Principale source d'eau Robinet
Puits/Forages insalubres
11. Nature du sol Sol moderne
Sol traditionnel
- 1.12
- 0.81
- 1.45
- 0.68
- 0.99
- 0.27
- 1.33
- 0.67 0.82 1.21
1.18
0.77
0.33
0.62
0.73
0.30
11.20
11.20 2.40 3.90 6.60
4.60
8.70
2.60
5.70
7.60
1.10
1.20
6.80
9.10
6.20
9.60
0.51 0.10 0.17 0.28
0.29
0.19
0.63
0.63
0.48
0.48
0.42
0.42
0.55
0.52
0.08
0.08
- 46.7
- 21.0 27.2 34.6
- 28.5
- 52.2
- 45.8
- 41.8
- 47.2
- 18.5
35.4
51.5
45.8
43.4
48.7
19.0
Source : l'auteur sur les données de
l'EDSC-I 200
Ainsi, l'on voit que 8 variables (17 modalités)
seulement ont significativement contribué à la formation de l'axe
1 et sont bien ou relativement bien représentées sur cet axe. Ces
17 modalités contribuent ensemble pour 99 % à la formation l'ICP.
Certaines modalités ayant contribué de façon
prépondérante sont : les ménages plus pauvres (11 %) et
plus riches (7 %), la non alimentation des enfants en micronutriment
vitaminé A (0.2 %), les infrastructures sanitaires adéquats (7
%), les logements à sol, toit et murs traditionnels (respectivement 9
%,11 % et 6 %), l'eau insalubre (10 %) et le temps excessif pour
s'approvisionner en eau (1 %). Dans cet esprit, les indications de l'ICP
révélées par l'hypercube de contingence (figure 4.1)
deviennent plus souples et l'opposition «enfants pauvres» contre
«enfants riches » devient plus claire.
n D'une part, les enfants «pauvres» sont
caractérisés par : (i) un cadre de vie précaire (parents
«pauvres» ou «plus pauvres», logement indécent de
type traditionnel), (ii) une carence de vitamine A, (iii) une absence de WC, et
(iv) une consommation de l'eau provenant des puits et forages non
protégés situés à des distances demandant plus de
30 minutes d'approvisionnement ;
n D'autre part, les enfants «riches» sont
caractérisés par : (i) un cadre de vie décent (parents
«riches» ou «plus riches», logement décent de type
moderne), (ii) évoluent dans un environnement assaini, et (iii) des
facilités d'accès à l'eau potable provenant des robinets
qui ne leur coûtent que moins de 30 minutes d'approvisionnement.
Néanmoins, ils sont
vulnérables et leur pauvreté est attribuable au
manque d'allaitement maternel et à la faiblesse de la vaccination
anti-rougeoleux.
D'une manière globale, l'examen combiné des
résultats antérieurs et surtout de l'ICP, illustre trois types de
pauvreté non monétaire infanto-juvénile au Congo. Une
pauvreté héritée des parents (IRM, IPL, niveau
d'instruction de la mère, qualité de logement, eau potable, type
de WC), une pauvreté occasionnée par les paramètres
communautaires ou environnementaux (couverture vaccinale, alimentation,
allaitement, assistance à l'accouchement)51 et une
pauvreté induite par les caractéristiques de l'enfant. Le
problème qui reste, c'est le comptage et la répartition de ces
enfants pauvres, ce qui ne saurait être fait à l'aide des indices
de mesure de la pauvreté.
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