Chapitre 1
LES ASPECTS CONCEPTUELS DE LA
PAUVRETÉ
Il est à noter a priori que la pauvreté reste
à l'évidence un thème récurrent en économie
du développement, voire en économie tout court. Selon les
estimations de la Banque mondiale, plus de la moitié de la population
des PVD vit en deçà de 2 dollars par jour9, ce qui
correspond à environ un total de 2.8 milliards de pauvres. Dans la
population de ces pays, un quart des habitants, soit environ un total de plus
d'un milliard d'habitants vit avec moins de 1 dollar par jour10,
considéré comme seuil de pauvreté absolue. En Afrique
subsaharienne, zone où la proportion des pauvres dépasse celle de
toutes les grandes zones géographiques du monde, ce taux avoisine 50
%11. Ces quelques considérations sont à même de
susciter donc une attention croissante de la question de pauvreté parmi
les analystes du développement. Il y a tellement d'approches qu'il
serait difficile de les dénombrer. Cela a un impact immédiat sur
le choix de la dimension par laquelle la pauvreté doit être
saisie, et donc une diversité d'analyses. Qu'à cela ne tienne,
nous tentons de présenter les opinions les plus usitées et de
fixer notre position. En effet, il nous est important d'étaler, avant
d'entrer dans le vif de notre travail, certains concepts qui entourent la
notion de pauvreté. Le chapitre a trois sections. La première
présente les grands courants de pensées sur la pauvreté.
La seconde est consacrée à la littérature sur la
pauvreté des enfants. Enfin, la dernière étaye une
série de définitions d'analyse et de mesure de la
pauvreté.
1.1 LES GRANDS COURANTS DE PENSEE SUR LA
PAUVRETE
Conceptualiser le bien-être est une question qui se
heurte, nous l'avons mentionné plus haut, à une difficulté
dans le choix de l'option de mesure. Le problème a toujours fait l'objet
d'un débat théorique au regard des diverses approches empiriques.
Toutefois, le principe commun de toutes ces approches est la distinction entre
les indicateurs monétaires et non monétaires. Notons que, de
façon générale, les indicateurs monétaires et non
monétaires ne s'opposent pas nécessairement au sens pur du terme.
Par exemple, le revenu peut être considéré en
lui-même comme l'objectif de bien-être, tout comme il peut
être une bonne approximation des variables non monétaires telles
l'éducation, la santé et le cadre de vie.
9 Mesurée en PPA (parité de pouvoir d'achat).
10 Ibid.
11 Jean-Pierre Cling, 2003, in : « la
croissance ne suffit pas pour réduire la pauvreté : le rôle
des inégalités », p.5.
Lachaud (2000) parle de deux options majeures qui semblent
constituer le cadre actuel de mesure de la pauvreté : l'option des
utilitaristes et l'option des capacités. «L'approche de
l'utilité stipule qu'il existe des fondements théoriques
suffisants pour considérer que les dépenses des ménages
sont une bonne approximation du bien-être pour l'analyse de la
pauvreté. Dans ces conditions, les dépenses ou les revenus des
ménages constituant des instruments de réalisation du
bien-être, il est possible d'assimiler l'insuffisance des ressources
à la pauvreté, cette dernière reflétant à la
fois la faiblesse quantitative et la précarité des rendements des
actifs physiques, humains, sociaux et naturels. L'approche des capacités
quant à elle examine la pauvreté comme une privation de droits,
une situation à l'origine d'un manque de capacités fonctionnelles
élémentaires pour atteindre certains minima acceptables, le
bien-être étant fonction à la fois de la
disponibilité des biens matériels et de l'élargissement
des possibilités des choix».
Même s'il est vrai qu'il est ardu, sur un plan purement
conceptuel, d'éclairer sur les avantages et les inconvénients de
telle ou telle autre approche empirique pour jauger la pauvreté (les
données disponibles demeurent la plupart du temps insuffisantes), la
discussion théorique se révèle importante car elle a
toujours des retombées significatives. En effet, pour prendre position
dans une démarche scientifique, il faut d'abord mieux connaître
l'existant. Nous avons recensé comme dans Asselin et Dauphin (2000),
trois grands courants économiques qui sont les plus usités dans
le cadre conceptuel usuel des dimensions d'appréhension de la
pauvreté : le courant des welfarist, le courant des besoins de base et
le courant des capacités. Les lignes qui suivent présentent ces
trois courants après quoi suivra une analyse critique sur leur
façon de s'intéresser à la situation des enfants.
1.1.1 L'ecole welfarist
L'école welfarist est la plus usitée des trois
écoles de pensée des dimensions d'analyse de la pauvreté.
Elle est une approche monétaire12 ou unidimensionnelle de
mesure de la pauvreté. Amplement utilisée dans la
littérature (peut être faute de mieux), elle suppose
agréger la pauvreté par un seul type de données qui serait
censé indiquer à lui seul le niveau de bien-être du sujet,
à savoir le revenu ou la dépense de consommation [A. Soliz et L.
Alejandro (1999), Lachaud (2000)]. Le cadre de cette école assimile le
pauvre à un sujet dont le niveau de revenu ou de consommation est
inférieur à un niveau prédéfini appelé
`'seuil de
12 L'aspect monétaire de la pauvreté et la notion
d'actifs dominent à la Banque mondiale, tandis que l'orientation majeure
du Programme des Nations Unies pour le développement fait
référence à la pauvreté humaine [PNUD (2000)].
pauvreté'. Presque tous les pays d'Afrique
subsaharienne utilisent cette approche dans l'élaboration de leurs
profils nationaux de pauvreté. Elle est aussi très
pratiquée dans les pays développés. Les partisans de cette
école sont aussi appelés des « utilitaristes ».
Simplement parce que, selon eux, en considérant les ressources que sont
le revenu ou la consommation, le sujet opte parmi toutes les combinaisons de
biens et services abordables, ceux qui lui procurent une plus grande
satisfaction ou utilité13. Dans le même sens, Lachaud
précise que dans cette approche, le bien-être est fondé sur
une fonction d'utilité, définie par rapport à des
consommations de biens et de services, et susceptibles de reproduire les
préférences des individus pour des ensembles alternatifs de
consommations.
Mais cette approche n'échappe pas à certains
inconvénients majeurs :
· d'abord, la consommation mesure assez
grossièrement le bien-être. Consommer moins qu'une autre personne
est un problème de préférence et non un problème
lié au pouvoir d'achat du consommateur : tel consommateur peut beaucoup
dépenser pour être à l'équilibre et tel autre peut
décider de ne dépenser qu'à la limite et se sentir
même plus à l'équilibre que le premier ;
· ensuite, cette approche nécessite des
données monétaires fiables et actuelles, si bien qu'elle est
subjective et inadaptée, surtout dans le contexte des PVD.
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