IV.3.2.2. La demande de ressources additionnelles
distinctes du FED
Tout au long du mémoire, nous avons largement
insisté sur le fait qu'il était indispensable pour les
États ACP, que des ressources additionnelles au FED214
couvrent non seulement les ajustements relatifs à la
libéralisation des échanges mais servent également
à financer la restructuration de leurs économies. Pour
les États ACP, il s'agissait d'une condition essentielle à la
réussite des APE.
Nous avons vu que cette requête a suscité
dès la première phase des négociations une importante
pomme de discorde entre les partenaires, l'UE prétextant effectivement
que toute question relative au développement devait être
réglée dans l'Accord de Cotonou et non au sein des
négociations sur les APE. L'UE avait dès lors
décidé de l'instauration de Task Forces régionales
où les besoins de coopération et de financement identifiés
dans le cadre des négociations des APE devaient faire l'objet d'une
discussion par le personnel affecté au développement par les deux
parties215. Néanmoins, selon l'ECDPM, il existait une
faiblesse dans le processus décisionnel en matière de commerce et
de développement dans la mesure où « on [laissait]
les ACP se dépatouiller avec ces problèmes essentiels
uniquement dans le cadre des task forces régionales
préparatoires qui se [tenaient]
parallèlement aux
négociations216 » en
empêchant de la sorte les pays ACP de bénéficier de leur
pouvoir contraignant217.
Voir : BILAL, S., « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p. 55.
212 La déclaration est datée au 13 décembre
2007, la dérogation obtenue par l'UE sur les préférences
commerciales expirant le 31 décembre 2007.
213 CONSEIL DES MINISTRES ACP, Déclaration du
Conseil des Ministres ACP lors de sa 86ème session, exprimant
sa profonde préoccupation sur la situation des négociations des
Accords de partenariat économique, ACP/ 25/013/07, Bruxelles, 13
décembre 2007, pp.1-2.
214 Pour les États ACP, un financement hors FED se
justifiait par la complexité et la lenteur de décaissement des
fonds issus du FED. En effet, selon Jean-Claude Lefort, le décalage
moyen entre le feu vert donné à Bruxelles à un projet
d'aide et le décaissement effectif des fonds est de 3 ans. Voir :
LEFORT, J-C., op.cit., p.168.
215 CONCORD, Financement des APE : l'aide de l'UE ne
remédiera pas aux défauts des APE, Assemblée
parlementaire paritaire ACP-UE, Kigali, 17 au 22 novembre 2007, p.1.
216 BILAL, S., « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p. 56.
217 Comme l'explique l'ECDPM, le fait que les réunions des
task forces régionales se fassent parallèlement aux
négociations, impliquent que les États ACP soient
dépourvus de leur pouvoir contraignant.
Si cette demande émanant des États ACP avait
reçut une fin de non recevoir de la part de l'Europe, celle-ci devint
définitive avec l'Accord intervenu à Port Moresby218
en 2006 sur le montant de l'enveloppe du 10ème FED. Le
10ème FED sera ainsi doté de 23, 966 milliards d'euros
pour la période 2008-2013, marquant comme le précise l'UE, une
augmentation significative de 35 % par rapport au montant du 9ème
FED219. Cependant, comme le font remarquer beaucoup d'acteurs, il
s'agit en réalité d'une vraie fausse augmentation du FED
(J-C. Lefort 2006, Oxfam 2007, Actionaid 2007, Concord 2007, ECDPM
2007220). Ainsi la progression du 9ème au
10ème FED a tenu compte du passage d'une période de
programmation de cinq ans à six ans, de l'inflation et de
l'élargissement de l'Union européenne. En outre, comme le
précise OXFAM, « des estimations montrent que 31,3 milliards
d'euros sont nécessaires uniquement pour maintenir un niveau d'aide au
développement européenne équivalent (soit 0,38 % des
produits nationaux cumulés)221 ». Comme en conclut
Jean-Claude Lefort à ce sujet : « force est de
constater que l'Europe n'augmente pas son aide mais la maintient seulement,
alors même que ses partenaires ACP subiront un choc
brutal.222 » En effet, selon
l'estimation d'un chercheur de la School of Economics de
l'Université de Nottingham223, les coûts d'ajustement
au libre-échange devraient s'élever à 9,1 milliards
d'euros224. La fausse augmentation du FED suscite dès lors la
crainte qu'un transfert de catégories ait lieu au sein du FED, les fonds
destinés à mettre en oeuvre les APE empiétant alors sur
l'aide destinée aux programmes de santé, d'éducation et de
soutien agricole225.
L'Europe avait également promis aux pays en
développement (lors de la conférence de l'OMC à Honk-Kong
en décembre 2005), 2 milliards d'euros pour l'aide au commerce (Aid
for Trade) dont les ACP recevraient une bonne partie. Cependant, si l'UE
s'est engagée à fournir un milliard d'euros, ce sont les
États membres qui
218 Grâce à un accord intervenu lors du Conseil
européen des 15 et 16 décembre 2005, puis lors du Conseil des
ministres UE-ACP de Port Moresby des 1er et 2 juin 2006, le
protocole financier pour la coopération entre les deux partenaires a
été doté de 23, 966 milliards d'euros pour la
période 2008-2013. Voir : LEFORT, J-C., op.cit., p. 166.
219 Le montant du 9ème FED était de 13,8
milliards d'euros.
220 L'ECDPM va jusqu'à soutenir que le montant
alloué au 10e FED est en réalité inférieur à
celui du 9e FED, si l'on tient compte des fonds des 6e, 7e et 8e enveloppes qui
ont été transférés au 9e FED. Ainsi, l'ECDPM
suggère que le montant effectif des ressources à disposition des
pays ACP pour la période 2000-2007 s'élevait non pas à
13,5 milliards, mais à 23,6 milliards d'euros, étant donné
que les reliquats des contributions des 6e, 7e et 8e enveloppes, à
savoir 9,8 milliards d'euros, étaient venus s'ajouter au 9e FED. Voir :
SOUTH CENTRE, Aide au commerce et assistance financière pour la mise
en oeuvre des APE, Fiche technique n°6, Document analytique,
Genève, mai 2007, p.10.
221 OXFAM, Imposer n'est pas négocier. Agissons pour
des relations commerciales plus justes, Oxfam International, Avril 2007,
p.15.
222 LEFORT, J-C., op.cit., p. 167.
223 MILNER, C., « An assesment of the overall
implementation and adjustment costs for the ACP countries of Economic
Partnership Agreements », in R. Grynberg et A. Clarke, The European
Development Fund and Economic Partenership Agreements, Division des
Affaires économiques du Secrétariat du Commonwealth, 2006.
224 Voir : Annexes.
225 Comme l'explique le South Centre, il pourrait y avoir un
risque de transfert de catégories dans la mesure où les fonds
destinés à aider les pays ACP à mettre en oeuvre les APE
proviendront de la même enveloppe que l'aide destinée aux
programmes de santé, d'éducation et de soutien agricole. SOUTH
CENTRE, Aide au commerce et assistance financière pour la mise en
oeuvre des APE, op. cit., p.11.
doivent s'engager à fournir l'autre
milliard226, ce qui fait craindre les États ACP qu'il ne
s'agisse là que de promesses recyclées et non de fonds
spécifiques destinés à compenser les pertes liées
à la mise en place des APE227. Au cours de la réunion
du Conseil aux affaires générales européennes et aux
relations extérieures (CAGRE) qui s'est tenue les 15 et 16 octobre 2007,
a été avalisée la stratégie de l'UE sur l'aide au
commerce, qui stipule qu'environ 50% de l'augmentation de l'aide
européenne au commerce sera mise à disposition des pays
ACP228. Néanmoins, le Conseil n'a pas indiqué le
montant que chaque État membre de l'UE apporterait à
l'augmentation promise, ni le montant qui serait consacré à quels
pays ACP. En outre, comme le précise la Confédération
européenne des ONG d'urgence et de développement (CONCORD) dans
un document, « l'aide pour le commerce échoue à
répondre aux attentes des ACP tant en termes de quantité que de
qualité » dans la mesure où les fonds de l'aide pour le
commerce sont destinés à soutenir les négociations
commerciales, le développement de la politique commerciale et
l'amélioration de l'environnement commercial mais n'incluent pas
l'infrastructure, le renforcement de la capacité ou les
coûts d'ajustement229.
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