III.1.1.2. La conformité avec les règles de
l'OMC
Comme nous l'avons évoqué supra, une
condition posée par l'UE pour la négociation d'un nouveau
régime commercial, était sa compatibilité
avec les règles de l'OMC. La convention de Cotonou a
été claire sur ce point en précisant qu'il était
impératif que les nouveaux accords qui entrent en vigueur à
partir du 1er janvier 2008 (fin de la dérogation obtenue par
l'UE sur le maintien des Conventions de Lomé), soient conformes aux
règles de l'OMC. Nous avons expliqué dans la première
partie du mémoire que la légitimité du
régime commercial de Lomé avait été mis
à mal durant la décennie nonante (montée en puissance de
l'OMC), poussant de la sorte l'UE à demander une dérogation aux
règles du GATT pour le maintien des préférences
commerciales avec les pays ACP. Comme l'explique l'ECDPM, l'adoption d'une
nouvelle dérogation pour préserver les acquis de Lomé
au-delà du 31 décembre 2007 était fort improbable dans la
mesure où toute obtention d'une dérogation à l'OMC est un
processus fort coûteux qui obligeait l'UE à faire des concessions
aux pays en développement désavantagés par les
préférences accordées à certains produits
ACP106. Gwénaëlle Corre affirme quant à elle, que
la sauvegarde des intérêts commerciaux des ACP a un prix que l'UE
n'était pas disposée à payer107 plus
longtemps108.
106 BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p. xiv.
107 ECDPM, De Lomé à Cotonou,
op.cit.
108 La dérogation obtenue par l'UE en 2001 n'a
été accordée qu'après de très longues
discussions et grâce aux liens avec le lancement du Cycle de Doha. En
outre, la dérogation pour le régime bananier de l'UE
demandée par l'UE en 2005 n'a toujours pas été
accordée. Voir : BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p. xiv.
III.1.2. La position de l'UE pour la négociation des
APE à travers le mandat du Conseil européen
Le mandat de négociations des APE, donné par le
Conseil européen à la Commission le 17 juin 2002, énonce
la position du négociateur européen sur la
conception des APE. Il précise ainsi que les APE sont basés sur
quatre principes fondamentaux.
+ LE PARTENARIAT : en effet, d'après l'UE, les
APE sont des accords de partenariat impliquant « des droits et des
obligations des deux côtés 109».
L'UE précise ainsi que si « l'Union est disposée
à ouvrir davantage son marché aux produits ACP et à
aborder toutes les autres entraves aux échanges, les États ACP
doivent être disposés à mettre en oeuvre des politiques
appropriées pour renforcer leur capacité de répondre
à la demande et pour réduire les coûts de transaction
110».
+ L'INTEGRATION REGIONALE : l'UE précise
à ce niveau que l'intégration régionale est un moyen
efficace pour stimuler l'intégration dans l'économie mondiale.
Elle rappelle à cet égard que sa puissance s'est fondée
sur une intégration régionale profonde. Elle en conclut ainsi que
« les APE seront construits par conséquent à partir des
initiatives d'intégration régionale existantes et qu'ils
appuieront le processus d'intégration au sein des ACP (...) 111
».
+ LE DEVELOPPEMENT : l'UE présente les APE
comme un outil de développement, impliquant de la sorte que ceux-ci
soient conçus avec la flexibilité nécessaire pour tenir
compte des « contraintes économiques, sociales et
environnementales des pays ACP concernés ainsi que de leur
capacité d'adaptation au nouvel environnement commercial112
». L'UE insiste également sur le fait que les APE doivent
être intégrés dans ses stratégies de soutien, ainsi
que dans la politique de développement des pays ACP. Pour l'UE, les APE
sont avant tout un outil de développement dans la mesure où
« ils doivent stimuler l'intégration progressive et harmonieuse
des pays ACP dans l'économie mondiale, encourageant ainsi leur
développement durable et contribuant à l'éradication de la
pauvreté dans ces pays113 ».
+ LE LIEN AVEC L'OMC : d'après l'UE, les APE
sont une étape qui vise à faciliter l'intégration des pays
ACP dans l'économie mondiale. L'UE exprime à cet égard que
les APE seront basés sur les règles de l' OMC tout en
109 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans
les relations entre UE et pays ACP, septembre 2002, p.5.
110 Ibid.
111 Ibid.
112 Ibid.
113 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans
les relations entre UE et pays ACP, septembre 2002, p.5.
tenant compte des résultats du programme de Doha pour
le développement, mais qu'ils iront néanmoins pour certains
aspects au-delà de l'OMC114. L'UE
précise à ce sujet que les APE « mettront en place, dans
le cadre de ces règles, des relations commerciales bilatérales
plus spécifiques et plus opérationnelles, destinées
à réduire l'incidence de toutes les entraves aux échanges
entre les ACP et l'UE et à établir une intégration plus
étroite entre les économies115 ».
Pour répondre à ces quatre principes
fondamentaux, l'UE prévoit que les APE seront composés de
plusieurs éléments. La base fondamentale de l'APE est
donc l'établissement d'une zone de
libre-échange, qui « supprime progressivement
l'essentiel des droits de douane entre les parties ainsi que toutes les mesures
non tarifaires, tels que les contingents et les mesures ayant un effet
équivalent116 ». Pour ce faire, l'UE explique que
les APE viseront à simplifier toutes les procédures et
réglementations relatives aux importations et aux exportations, afin de
maximiser l'efficacité économique. En ce qui concerne les
services, si la convention de Cotonou avait été prudente à
ce sujet en précisant que les parties devaient convenir de se fixer pour
objectif - après avoir acquis une certaine expérience dans
l'application de la clause NPF en vertu de l'AGCS117 -
d'étendre leur partenariat à la libéralisation
réciproque de services conformément aux dispositions de l'Accord
(article 41, §4), le mandat des négociations, quant à lui,
va beaucoup plus loin dans ce domaine. En effet, le mandat de la Commission
européenne prévoit que le libre-échange doive non
seulement s'appliquer au commerce des marchandises, mais également
« au commerce des services.118 » L'UE
précise à ce sujet que « l'importance des
échanges de services dans le commerce mondial augmente et les pays ACP
disposent d'un avantage comparatif dans de nombreux secteurs. Les services sont
donc potentiellement une source significative de croissance pour les ACP
119». Pour l'UE, les gains potentiels de la
libération des échanges ne peuvent être obtenus que dans la
condition où les APE touchent « tous les domaines liés
au commerce 120».
Après avoir édicté les principes des APE
et les éléments qui les composent, l'UE en vient à
expliquer comment les APE atteindront leur objectif final :
l'éradication de la
114 Nous verrons ainsi que l'UE souhaite que les thèmes
de Singapour (investissement, concurrence) fassent partie des APE alors que
cette question avait été rejetée par les pays en voie de
développement dans le cadre du programme d'action de Doha à
l'OMC.
115COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle
approche dans les relations entre UE et pays ACP, op.cit., p. 5.
116Id., p. 6.
117 Accord général sur le commerce des services.
118 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans
les relations entre UE et pays ACP, op.cit., p.7.
119 Id., p. 6.
120 Ibid.
pauvreté et l'intégration des pays ACP dans
l'économie mondiale. D'après l'UE, les APE aideront à
rendre l'intégration régionale plus efficace et permettront ainsi
« la création de plus grands marchés121
». La création de plus grands marchés favoriseront,
d'après l'UE, l'épargne domestique tout en créant «
des pôles d'attraction pour les investissements
étrangers122 ». Aussi, grâce à la
suppression des obstacles aux échanges entre les ACP et l'UE, les APE
« contribueront aux réformes de politique commerciale parmi les
ACP, favorisant l'ouverture et la transparence. (...) Ceci aidera aussi
à mobiliser les opérateurs économiques et à attirer
les investissements étrangers123 ». L'UE
prévoit que l'élargissement de la coopération ACP-UE
à tous les domaines liés au commerce aura pour conséquence
de renforcer la capacité des États ACP à gérer les
questions relatives aux « normes techniques, mesures sanitaires,
phytosanitaires, vétérinaires, ou bien à la protection de
l'environnement (...). Les APE approfondiront l'intégration
régionale en promouvant des règles communes dans les
région ACP, (...) en harmonisant ces règles ou en
prévoyant la reconnaissance mutuelle ». L'UE en conclut qu'au
bout du compte, « les APE mèneront à une
intégration économique plus étroite des ACP et de l'UE et
agrandiront ainsi le marché des pays ACP. Ce marché agrandi,
régi par un cadre stable, transparent et prévisible pour le
commerce, permettra des économies d'échelles, améliorera
le niveau de spécialisation, réduira les coûts de
production et des échanges, augmentera la compétitivité
des ACP et attirera les investissements.124»
La boucle étant bouclée, l'UE en conclut que « cela
conduira à une augmentation des flux commerciaux entre les ACP, avec
l'Union européenne et avec le reste du monde, promouvant ainsi le
développement durable des pays ACP en contribuant à
l'éradication de la pauvreté 125» .
Il convient de préciser finalement que le mandat délivré
par le Conseil européen à la Commission européenne pour
négocier les APE n'inclut pas la négociation de la
coopération au développement, qui est un aspect distinct
du partenariat ACP-UE. Ainsi, il est prévu que les négociations
relatives aux APE se fassent dans le cadre de l'Accord de Cotonou. La
Commission européenne estime par conséquent que les
négociations des APE doivent se concentrer sur les questions
commerciales, mais que le cadre de Cotonou permet aux pays ACP de
définir une composante de développement parallèle qui doit
accompagner l'élaboration et la mise en oeuvre des APE126.
121 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans
les relations entre UE et pays ACP, op.cit., p. 7.
122 Ibid.
123 Ibid.
124 Ibid.
125 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans
les relations entre UE et pays ACP, op.cit., p. 7.
126 Voir : BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p. 48.
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