B. Alternances entre emplois et formations
1. De l'éducation spécialisée à
l'université
Revenons d'abord sur ce que l'on peut considérer
comme l'origine de notre questionnement. En tant qu'éducateur
s'occupant des personnes en grande difficulté psychologique, physique ou
sociale, j'ai eu souvent en charge tout un groupe d'enfants, de jeunes
ou d'adultes hétérogènes avec lequel
il fallait construire un projet à peu près satisfaisant
pour tous. Puis, alternance oblige, mon retour à l'Université m'a
donné l'occasion de participer, en tant qu'élu
représentant des étudiants, au Conseil de l'UFR57
des Sciences de l'Éducation. De ce mandat, une question
m'est restée sans réponse : quelles compétences
faut-il que le directeur d'une composante de l'université ait
pour pouvoir faire travailler ensemble, dans l'intérêt des
étudiants, une équipe professorale si
hétérogène au point d'être quelques fois
caricaturale ? Ensuite après un mandat de secrétaire
général pendant lequel je me suis attelé à sa
remise en état structurelle, la démocratie associative
m'a confié la vice-présidence d'une
Fédération d'associations d'étudiants, avec pour
mission la coordination au quotidien de la dizaine d'associations
membres. Cette mission sous-tend un objectif plus politique : trouver les
moyens pour assurer, entretenir et renforcer la cohésion
générale au service du quotidien des étudiants et
des échéances électorales. Encore une fois,
la question à laquelle il fallait répondre de manière
pragmatique tournait autour de l'économie des moyens collectifs pour une
finalité donnée.
Une alternance régulière entre le
terrain professionnel et la formation caractérise mon histoire
de vie depuis l'âge de quinze ans et, certainement,
jusqu'à l'âge de la retraite pourvu que celle-ci ne se
confonde pas avec la mort58. D'où une sorte de
parcours en spirale où chaque expérience se nourrit de
façon cumulative et critique des précédentes grâce
aux apports théoriques pluridisciplinaires, régulièrement
renouvelés.
2. De l'enseignement secondaire à l'université
Le retour dans l'établissement secondaire
(collèges et lycée) en tant que Conseiller Principal
d'Éducation contractuel me place, pour divers motifs contextuels, dans
une position consistant à seconder la direction. Pour couper court
à toute polémique stérile que l'on entend souvent sur
cette fonction, il convient de préciser d'emblée que si, certes,
le Conseiller
57 UFR : Unité de Formation et de Recherche
58 De précarité en
précarité, avec les mutations continuelles du marché de
l'emploi, une telle hypothèse est probable pour plusieurs
générations de Français si rien n'évolue
rapidement.
Principal d'Éducation ne fait pas partie statutairement
du personnel de direction, il est cependant responsable du service Vie
Scolaire, une équipe pouvant être composée d'une
dizaine de personnes. Par ailleurs, selon la taille de
l'établissement et les caractéristiques de l'équipe
de direction en place, il est amené à jouer des
rôles différents et complémentaires de celle-ci.
Légalement, aux termes du décret du 30 août 1985 et du
décret du 27 novembre 1991, un chef d'établissement est
secondé dans ses tâches pédagogiques, éducatives et
administratives par un adjoint. Or un Conseiller Principal
d'Éducation peut assurer à temps partiel les fonctions
d'adjoint. Voici deux exemples, faciles à multiplier, montrant que dans
bien des cas, le Conseiller Principal d'Éducation assume une partie des
responsabilités d'adjoint du chef d'établissement.
Soit un cas fictif mais vraisemblable - bien que rarissime -
d'un collège où le Principal (Directeur) et son Adjoint
entretiennent des relations quelque peu difficiles ; le Gestionnaire en
opposition ouverte contre ces deux premiers qui l'accusent, preuves à
l'appui, d'incompétences professionnelles et dont ils se
désolidarisent ; en prime, une partie de l'équipe enseignante et
d'autres catégories du personnel "en guerre" contre
l'équipe de direction. En somme, non seulement il y a un important
dysfonctionnement au sein de l'équipe de direction, mais en plus entre
celle-ci et une grande partie du reste de la communauté
éducative. Dans une telle configuration, il est évident qu'un
Conseiller Principal d'Éducation se doit d'être
préoccupé
par les moyens pour assurer le minimum de cohésion des
différentes équipes, de l'intelligence collective, s'il a tant
soit peu une conscience professionnelle puisque, au final, c'est la
vie présente et l'avenir des élèves qui sont tout de
même en jeu. D'autant que les conditions de vie et
de travail des élèves figurent en tête de
la liste de ses attributions. Il en va de même pour un
établissement sans adjoint. Force est de reconnaître que, dans ce
cas, des interrogations sur les fonctions de la direction s'imposent d'autant
plus quand l'exercice partiel de la fonction d'adjoint incombe au Conseiller
Principal d'Éducation. Tel fut mon cas, dans un
établissement semi- durable, pendant le grand mouvement de contestation
enseignante de 2003 où il a fallu en plus gérer, avec la
précieuse collaboration d'un Aide Éducateur l'absence
totale des surveillants pendant plus d'un mois.
Des interrogations récurrentes qui se sont
affinées au fur et à mesure de rencontres entre actions et
réflexions ont abouti à un questionnement qui tient une place
centrale dans ce mémoire. Ainsi, notre sujet trouve son enracinement
dans les contextes socioprofessionnels et personnels tel que décris
précédemment. Ces contextes constituent un véritable
système "d'action-recherche" versus "recherche-action"59
avant de nous conduire à la
59 Christian Gérard, op. cit.
formation par la recherche en alternance (C. Gérard,
J.-P. Gillier, 2002)60. L'une comme l'autre forme d'apprentissage
engage à chaque fois la responsabilité du sujet puisque
"l'action de se former procède de soi-même voire, dans des
perspectives phénoménologiques et herméneutiques,
dès "l'en-soi-même" des sujets" (C. Gérard, 2003,
2004)61.
Avec un parcours dessiné par une succession
d'alternances entre les pratiques professionnelles et les études
universitaires ; une variété d'expériences
professionnelles entre la gestion socioéconomique et éducative
d'une léproserie, l'éducation spécialisée,
l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, cette
recherche aurait pu être menée dans n'importe laquelle de
ces différentes branches du secteur socioéducatif. Le
choix de l'université a été favorisé par un
ensemble de circonstances décisives telles que l'immersion dans une
composante
de l'Université de Nantes en tant que stagiaire
et la rencontre avec un enseignant-chercheur activement impliqué
dans la conception des deux projets de cet établissement. Notre
objectif étant de décrire le processus de conception de ce
projet, avant d'en analyser le contenu.
Après cette réflexion sur les contextes personnels
et professionnels à l'origine
de notre questionnement, nous allons à présent
poser les éléments significatifs qui permettent de situer, dans
son contexte aussi, l'Université de Nantes en tant que terrain
même de cette recherche.
60 Christian Gérard, Jean-Philippe Gillier
(Coord.) (2002), Se former par la recherche en alternance, Paris,
L'Harmattan.
61 Christian Gérard (2003), "Concevoir
l'alternance en éducation. Autonomie, apprentissage et accompagnement",
Lille, Note de synthèse à l' H. D. R, 70e section.
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