III. La portée discursive du document
La brochure du Projet d'établissement 2004-2007
de l'Université de Nantes, c'est-à-dire le deuxième
véritable projet élaboré institutionnellement dans sa
forme actuelle, en tant qu'objet multifonctionnel (de communication,
stratégique, de coordination, etc.) est sujet aux différents
regards et, par conséquent, différentes interprétations.
Après un long développement
sur la problématique de la dialectique entre
intérêt particulier et intérêt collectif dans
un processus de création d'un avenir pour un établissement
socioéducatif et de recherche, nous allons regarder ce volume
sous le prisme de la communication à caractère
stratégique. Plus précisément, la question qui se
pose est de savoir dans quel registre sémantique tendent, en
général, les propos tenus dans cet ensemble de discours
censé entraîner ?
D'abord, sur 105 pages, le document se présente
en deux grandes parties, en excluant les annexes. La première partie
qui porte bien son titre, est consacrée au contexte, aux enjeux et aux
dispositifs de la démarche. Alors que la seconde est
intitulée "Orientations et objectifs pour une université
multidisciplinaire, de dimension européenne".
La première consiste en une définition
synthétique des éléments clefs indispensables
à l'identification et à la compréhension de
l'établissement en opérant un exercice
de circonscription historique, géographique,
démographique, budgétaire et pédagogique avec un rappel
des missions d'un Établissement Public Scientifique, Culturel et
Professionnel (EPSCP). Elle pose aussi dynamiquement l'essentiel du
fonctionnement, des innovations - établies et en cours de
réalisation - pédagogiques et relatives au métier
de la recherche avec chiffres, graphiques et commentaires à l'appui.
Ce faisant, elle comporte des informations relatives aux résultats du
diagnostic, incontournables pour la morphologie d'un projet
équilibré. Plutôt technique et informative, cette
première partie nous semble réussir sa fonction d'information
à caractère légèrement didactique. Qu'en est-il de
la suite ?
La partie qui propose l'ensemble des orientations et objectifs
de l'établissement diffère très significativement de
la précédente par le style d'expression. Autant la
première s'exprime dans une neutralité et sobriété
qui la fait apparenter à un extrait d'article scientifique, autant cette
deuxième partie se démarque par une posture d'engagement
volontariste. Les deux premières phrases du premier paragraphe du
discours donnent le ton juste sur l'orientation de l'ensemble qui
sera, d'ailleurs, confirmé par les détails
sémantiques tout au long du reste du document. "Le Projet
politique de l'Université de Nantes affirme les grandes orientations et
les principaux objectifs de l'Établissement pour les quatre prochaines
années." Le verbe "affirmer"
débute le document pour qualifier sa fonction. Nous y
reviendrons. La deuxième phrase stipule
"Il annonce les lignes d'actions et les mesures
concrètes...". Le verbe annoncer vient compléter
le premier. Ainsi, ce Projet "affirme" et "annonce".
En faisant abstraction de toute idée que l'établissement
pourrait chercher à transmettre à travers son
discours, contentons-nous d'identifier les termes dont il se sert pour en
tirer une conclusion sur sa véritable nature.
"Notre projet est de faire de l'Université de Nantes
une université publique et multidisciplinaire de dimension
européenne." L'Université de Nantes est publique et
multidisciplinaire au moins depuis sa refondation par le décret
du 29 décembre 1961. Pour le moment, nous sommes devant une
affirmation qui - malgré les brillantes explications attenantes
- se rapporte, pour les trois quarts, à un fait, une
réalité déjà là. Reste à comprendre
ce qu'il faut entendre par "de dimension européenne".
Apparemment, il s'agit d'un enjeu justifié par
l'incontournable volonté de donner une envergure internationale à
l'établissement. À l'instar du pays dont le budget
s'évalue désormais au niveau européen avec le pacte
de stabilité, la performance d'une université, voire de tout
établissement d'enseignement supérieur susceptible d'être
confronté aux influences des ses semblables extranationaux, sera aussi
mesurée à l'aune de critères uniques de niveau
international. Ce challenge prend appui sur un ancrage territorial qui sert
à la fois de ressource et à qui l'établissement reverse,
pour une grande part, les résultats de
ses missions, à savoir, des citoyens biens formés
et des produits de la recherche mis au service
du développement culturel, social et économique.
La dynamique régionale centrée autour de la capitale
ligérienne, qui lui vaut déjà l'attribut de
métropole du grand ouest européen crédibilise cette
orientation. De même, tous les points que nous avons mis en
évidence précédemment, à savoir une performance
en matière des prestations, opérée avec les
meilleurs acteurs dans un calendrier bien défini, ne peuvent que
susciter l'adhésion d'une large majorité des parties
prenantes de cette entreprise. Pourtant, à la lecture de ce document,
l'on ne peut que s'interroger
sur le caractère opérable de cette expression de
volonté.
En effet, la remarque sur la difficulté à
identifier clairement le financement des engagements est
complétée par celle sur la prédominance des expressions
qui s'apparentent plus
à des explications pédagogiques de "ce qu'il faut",
"ce qui doit être", "ce à quoi on est pour", "l'objet de notre
inspiration" ou à des professions de foi portant sur des idées
avec lesquelles il
est très difficile de ne pas être en accord. De ce
fait, au-delà de toute appréciation quantitative ou
méthodologiquement rigoureuse selon les paradigmes du moment, le contenu
de ce Projet inspire
au lecteur attentif un sentiment de manque, d'être
suspendu à une interrogation sans réponse : "d'accord avec
les enjeux annoncés, les voeux et souhaits exprimés, les
objectifs clairement décrits, mais comment exactement va se
matérialiser l'exécution d'une telle perspective
ambitieuse et entraînante ?".
Cette étude empirique tire une part de sa
légitimité de notre immersion au sein
de l'Université de Nantes, que ce soit en tant
qu'étudiant ou en tant que stagiaire pendant neuf mois dans l'une de ses
composantes. C'est par cette présence, par une écoute sensible,
que nous avons pu enregistrer et assimiler, au quotidien, les réactions
des acteurs ou groupes d'acteurs face
à ce document. Par ailleurs, certes, ces acteurs ne
manient pas tous les outils méthodologiques. Quand bien même tel
est le cas, ils lisent ce document "naturellement" et du fruit de cette lecture
naît leur adhésion, leur implication ou, au contraire leur
perplexité, doute voir rejet. Notre objectif, au-delà de
l'analyse du contenu d'un projet d'établissement, est d'identifier des
moyens,
des pratiques, des manières de procéder pour
fédérer une équipe autour d'un dispositif prospectif mais
doté d'une réelle opérabilité. Or, nous
considérons que le directeur, quotidiennement dans le cockpit
(normalement équipé en outils de navigation indispensables)
de son établissement, se doit d'être capable d'écouter
son équipe et son environnement avec ses oreilles, observer avec ses
propres yeux et son humanité sans vouer une ferveur cultuelle
aux technologies ou aux quelconques vérités scientifiques qui,
par définition, ne sont souvent valables que pour un temps
et dans un contexte donnés. Ainsi, nous soutenons que
notre ensemble d'analyse, appuyée à la fois sur des outils
quantitatifs et sur des postures compréhensives, donne à voir le
reflet d'une partie de la structure du Projet-contenu de l'Université de
Nantes. Des interrogations ouvrant des perspectives de recherche sont aussi
posées, en prime.
Concluons ce chapitre en précisant que ce
contenu de projet contient des multiples éléments
variés qui se résument : aux valeurs et missions de
l'université, éléments de diagnostic de
l'Université de Nantes, à ses ambitions (rayonnement
international) et ses objectifs (meilleur offres, meilleurs acteurs),
à la gestion prévisionnelle des ressources humaines du
projet, et aux éléments explicatifs sur le
déroulement de sa propre conception. Sur le plan discursif, on
y observe beaucoup de propos relatifs aux souhaits et un peu
normatifs (ce qu'il faut, ce qui doit être) ou affirmatifs
("pour une université...", "Pour un personnel ayant un
sentiment...", etc.). De ce fait, soit les propos ont un caractère
pédagogique, soit on a affaire à
des affirmations positives pour lesquelles personne ne pourra
être contre ou très difficilement, mais dont
l'opérationnalisation possible ne soit visible nulle part. Ce qui
amène aussi au constat
de l'absence dans ce discours, des moyens à
allouer afin que la réalisation des objectifs clairement
énoncés puisse être effective. Ce qui nous fait nous
interroger sur la nécessité, peut- être, d'un document
supplémentaire qui viendrait traduire ce projet politique en
projet plus technique et opérationnel.
Nous allons maintenant essayer de tirer les enseignements de
l'ensemble de ce long exposé afin de souligner ce qui peut bien
être qualifiable de ce que D. Schön nomme "connaissances
actionnables". Proportionnellement à la longueur de ce mémoire,
cet extrait du concentrée des idées, des procédures, des
propositions de leviers à l'action susceptibles de servir
à d'autres équipes projets, risque de sembler
court. Notre objectif, toutefois, n'est pas tant la longueur que la
qualité des résultats de cette recherche. Alors, ce qui suit
restera à l'appréciation
de ceux qui s'y intéressent, en particulier lors de leur
mise en application sur le terrain car il y a
des moments pour réfléchir, pour parler ; et il y
en a d'autres pour agir.
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