CONNAISSANCE ACTIONNABLE
![](conception-projet-etablissement-politique-ingenierie-pragmatisme94.png)
"Enseignabilité" ou "Connaissance actionnable", quel
que soit l'intitulé choisi même si notre
préférence va au second, ce pénultième bloc
n'a pas pour objet d'enseigner à l'Université de Nantes ce
qu'il faut, ce qu'elle aurait dû faire ou ce qui devrait être fait
pour sa projection. Telle n'est pas notre intention même si elle
fût le terrain de cette recherche puisque l'objectif était,
avant tout, d'étudier la conception du contenu d'un projet
d'établissement et d'examiner ce qui peut y avoir dans ce contenu une
fois rédigé. Pour ce faire, la population aurait très bien
pu être un groupe d'établissements d'enseignement secondaire, un
Centre de Formation
des Apprentis, un centre de formation pour travailleurs
médico-sociaux ou une association à finalité
socioéducative, etc. De toutes les façons, loin de nous
la présomption de donner des leçons à qui que ce
soit quand bien même, nous estimons que seule une organisation
à compétence douteuse pourrait se prévaloir de la
perfection de son entreprise, au point de peiner à admettre le moindre
regard extérieur porté sur son fonctionnement.
Ce que l'on nomme "connaissances actionnables" ici
s'adressent, par conséquent, d'abord simplement à
nous-même ; ensuite à quiconque, acteur collectif ou
individuel engagé dans une démarche projet, quel que soit le type
d'établissement ou du projet en question. Par ailleurs, ce que nous
allons dégager ne sera pas toujours ce que chaque lecteur
trouvera d'essentiel pour ses besoins. Chacun puisera donc dans ce
volume, les idées, les éléments qui lui sont
instructifs pour sa projection professionnelle, voire personnelle. Cependant,
nous avons organisé cette partie en trois volets : d'abord celui
où nous formalisons un condensé d'enseignements issus de cette
expérience personnelle d'apprentissage à la recherche ; ensuite
le volet où, en tant que futur membre d'une équipe de
projet, nous nous adressons à toute organisation en démarche
projet ou à toute personne intéressée par le sujet. Enfin,
en coiffant la virtuelle casquette du directeur - puisque tel est
l'objet de cette formation167 - nous nous adressons aux
collègues qui trouvent un peu de sens dans un ou deux propos
tenus dans ce
mémoire.
167 DEOF : Direction d'Établissement ou
Organisme de Formation.
A. Ce quenous avonsappris
La découverte de la notion des contextes
autoréférentiel et
hétéroréférentiel constitue une première
étape dans ce long parcours. Certes, l'enseignement théorique a
permis une petite révolution intellectuelle en nous faisant
comprendre l'importance capitale de bien identifier les différents
niveaux contextuels avant toute intervention auprès d'un
phénomène social. Mais le complément de formation a eu
lieu par la suite, durant ce travail personnel sur la projection d'un
établissement où il a fallu mettre en pratique cet
effort de contextualisation. Celle-ci se déroule en deux temps. Une
première répond à la question "en tant que chercheur,
d'où je parle ?" C'est-à-dire, d'où m'est venue
l'idée d'un tel ou tel sujet/objet de recherche ? Ce
qui implique de voir dans notre subjectivité,
une part de l'objectivation d'une interrogation scientifique. La
contextualisation autoréférentielle a été
aussi, dans le second temps, une occasion de réfléchir sur
nos valeurs (absolu respect de la dignité humaine, réflexions
éthiques et incomplétude) qui portent et cadrent nos pratiques
professionnelles. Ainsi, de nature injonctive
au départ, nous avons fini par nous approprier cette
partie à force d'un travail acharné qui nous a demandé
à nous surpasser en dévoilant une infime partie de notre histoire
de vie. Au final, la satisfaction l'emporte sur le reste.
Ensuite, cette longue marche alternant lectures,
observations et réflexions, inductions et déductions, a
été émaillée de moments cruciaux qui
méritent une révision réflexive
un jour. Ce furent des moments qui concluent ce cycle
d'alternances par des prises de conscience
sur tel ou tel aspect du travail. L'on peut se demander
si ce n'étaient pas des moments où l'assimilation
d'informations a produit des savoirs nouveaux, voire des connaissances,
à l'image
de la découverte qui a fait crier Archimède
"eurêka !" Sans aller jusqu'à s'approprier une telle exclamation,
ces prises de conscience ont libéré en nous, à
plusieurs reprises un : "ah bon ?", "enfin, c'est ça !", ou
"ben...oui, j'ai compris ! Ce qui doit dénoter des
transformations provoquées par l'action de professionnalisation qui
oeuvre de façon constructiviste.
Ainsi souligné à l'introduction,
plutôt qu'une découverte d'un mécanisme de management
de projet, scientifiquement éprouvé, l'ambition de ce travail
reste la compréhension d'une partie de la projection en mettant
l'Humain au centre. Le projet écrit, que nous avons
étudié, a été alors considéré
surtout comme un ensemble de paroles humaines, un discours à
comprendre de manière plutôt "anthropo-logique",
stratégique que mécanique.
C'est dans cet optique que se propose cet
élément de connaissances, éventuellement, actionnables
par les équipes de projet.
B. Levier d'actionpourune
équipedeprojet
De même que les précédents
paragraphes, cette recherche nous permet de dégager quelques
principes fondateurs qui pourraient conditionner la réussite
d'une projection organisationnelle.
En tête de liste de ceux-ci se trouve
l'importance de la dimension autoréférentielle de
l'organisation dont la prise en compte constitue une condition sine qua non
d'une projection. La prise en considération de cette dimension
requiert de situer l'organisation dans son contexte historique, territorial,
sociologique et économique, aussi bien que la prise en compte des
éléments de diagnostic sur son état présent.
D'où une double vision : rétrospective ("rétroprojection")
et introspective. Une connaissance de tels contextes seulement permettra la
meilleure intégration de l'organisation, qui veut se projeter,
dans son environnement présent comme à venir ; une meilleure
construction prospective en somme.
Le deuxième élément important se trouve dans
la conception et l'énonciation d'une définition collective de ce
que l'on entend par projet. Cela s'explique par le foisonnement
de définitions selon les références
théoriques de son auteur. Il en va de même d'un choix de la
méthode à mettre en oeuvre. La principale action consiste
à répondre à la question "quoi, comment, quand, avec
quoi et par qui faire ?" Une méthodologie commune sert de dispositif de
coordination de base d'une équipe afin d'assurer la réduction de
dissonances cognitives dans une démarche qui est aussi un
apprentissage collectif. En plus d'une méthode, nul ne peut
faire l'économie d'une théorie de référence pour
alimenter l'action car les deux - l'action et la théorie -
se nourrissent mutuellement.
Enfin, un projet-contenu doit comporter certains
éléments. Modéliser ces éléments afin de
se donner un "idéal-type" de projet sert, à l'Acteur,
au cours de ou après sa conception, de vérifier la
cohérence d'ensemble de sa création. Ce schéma de
l'idéal-type (chap.
4 p. 84) sert de grille de lecture pour analyser les
éléments constituants du projet. Cela ressemble
à ce processus que nous qualifions d'ouverture de la
"boîte noire". Cette recherche pourrait donc contribuer à
améliorer une projection, en occupant cette place de
démarche d'évaluation du contenu afin de renvoyer un feed-back
pour compléter ce qui manque, corriger ce qui défaille et, enfin,
améliorer ce qui est perfectible. Les deux autres schémas,
"Projetmètre" (chap. 6, p.128, fig.15), "Modèle fonctionnel et
tridimensionnel du projet" (chap. 4 p.84-85) que nous avons mis
au point pourraient aussi servir d'outils
d'appréciation pour des réajustements de certains
paramètres en jeu, enjeux dans un processus de conception
collective d'un dispositif de rationalisation.
C. Quelques outils pour l'Acteur
Politique
Incarnation de l'Acteur Politique, tous les membres d'une
équipe de direction
ont une responsabilité primordiale dans la vie d'un
établissement. Cette responsabilité s'exprime dans le quotidien
comme lors des différentes étapes de projection dont ils sont les
garants du bon déroulement et du succès.
Puisque l'Acteur Politique assure par la fonction de
direction l'expression, le maintien et la création des valeurs
axiologiques (l'un des trois sens) ; puisqu'il assure aussi la dynamique
des deux autres sens qui sont la sémantique et le cap
(cinétique), il lui faut, par- dessus toute technicité,
une éthique de direction claire et solide en guise de
méta compétence pour fédérer son équipe.
Nous avons souligné (cf. chap. 4, p. 77) qu'il ne s'agit pas d'une liste
de recommandations morales ou déontologiques propres à cette
classe d'Acteur, mais plutôt d'une posture, d'une posture d'écoute
respectueuse et d'échange de valeurs dans une instance ad hoc
démocratique, surmontant toute dissymétrie interpersonnelle
inhérente à l'organisation professionnelle. "C'est dire que
la démarche par projet peut être identifiée à
un processus unificateur destiné à produire un lien
social à dominante consensuelle." (J.-P. Boutinet)168.
L'éthique de direction facilite une deuxième posture que
nous avons proposée pour les chercheurs mais dont l'Acteur
Politique peut se servir aussi afin de mieux subjectiver tout en
objectivant, c'est-à-dire appréhender l'établissement dans
son continuum retrospectif et prospectif
(cf. p.11-12.). Ainsi, il lui devient incontournable de
considérer l'ensemble de son organisation
(service, établissement, association ou même
organisme) dans sa complexité globale, sous forme
de système. Telles sont les conditions fondamentales
pouvant rendre plus réaliste la recherche du compromis entre les
différentes logiques en tension, puis celui entre les
intérêts particuliers et l'intérêt collectif.
Alors, il sera possible de mettre les différentes forces
présentes en synergie pour co-construire un futur commun, et
transformer les éléments du contexte en potentiels.
Enfin, ce cas de l'Université de Nantes, comme plusieurs
cas d'institutions se donnant pour mission la prestation de services en
direction des humains, nous enseigne combien
la notion de qualité est devenue le paramètre
central pour le développement et la performance d'une organisation. Mais
la qualité a un prix qu'il faut, impérativement, évaluer
et budgéter. P. Mévellec, lors de son allocution au "Colloque
Qualité" organisé par les Assédic des Pays de la Loire, au
Château de Goulaine, le 4 décembre 2003, a bien mis en garde son
auditoire sur cette
nécessité d'allocation des moyens d'action.
De même, toute démarche projet nécessite
168 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit., p. 284.
l'évaluation préalable des coûts pour que
la projection ne se réduise pas à une énumération
des intentions. Ensuite, une fois chiffré, la question de l'origine du
financement s'impose à son tour. L'une des voies possibles pour cet
aspect matériel se trouve dans le travail en partenariat. Telle
est, par ailleurs, l'orientation de l'Université de
Nantes, dans certains axes de son développement, avec les
collectivités territoriales et les acteurs économiques
régionaux, notamment la Chambre Régionale de Commerce et de
l'Industrie, etc.
Dessiner et construire un avenir différent fait appel
aussi au pari, à une volonté d'innovation car "le projet est
précisément ce qui modifie le cadre,
régénère le système, transforme la
définition des activités." (G. Koenig, 2004)169. Tous
les outils d'apprentissage sont, pour cela, à la disposition de l'Acteur
Politique, y compris l'expérimentation.
Avant de poser le dernier signe de ponctuation de l'ensemble de
ce travail, nous devons passer à la très délicate, mais
incontournable conclusion générale.
169 Gérard Koenig, (2004), Management
stratégique. Projets, interactions & contextes, Paris, Dunod,
p. 86.
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