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La conception d'un projet d'établissement: Entre politique, ingénierie et pragmatisme

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par Simon MAMORY
Université de Nantes - Master Pro Direction d'Etablissement ou Organisme de Formation (DEOF) 2002
  

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II. Le projet dans l'action collective

A. Une problématique de l'action collective

1. Question de coopération

Un groupe, une équipe, une organisation ont à la base, au moins, l'agrégation d'individus comme dénominateur commun. Certes, chaque individu peut entreprendre la réalisation de son propre projet. Mais étant par nature limité, nul ne peut se suffire à lui seul. Alors, là où la capacité individuelle s'arrête, commence la coopération. Quand la coopération permanente et durable s'avère impérative, la naissance d'une organisation n'est pas très loin. Cela revient à dire que chaque complexification de l'activité, en fonction des ressources individuelles,

du degré d'outillage, de connaissance et de moyens économiques, pousse à la coopération. Celle-

ci existe depuis la nuit des temps ne serait-ce que pour des raisons de lutte pour la survie. Vraisemblablement, peu de domaines d'activité humaine échappent à la possibilité voire à la

nécessité, à un moment donné, de l'unification des ressources et des actions finalisées. L'éthologie fournit aussi une infinité d'illustrations qui étayent cette thèse chez tous les animaux grégaires. Pour autant il ne s'agit en rien d'un automatisme qui ne pose pas de difficulté.

La coopération peut se définir comme étant le processus d'actions collectives

par lequel des sujets oeuvrent ensemble pour le(s) même(s) objectif(s), au-delà des limites de la possibilité de l'action individuelle, dans la réalisation d'un besoin. Ce que J.-L. Soubie, F. Burato

et C. Chabaud120 expriment, à partir d'une synthèse pluridisciplinaire par "une activité coordonnée visant à atteindre un objectif commun aux agents coopérants et pour laquelle le coût spécifique de la coordination est inférieur au bénéfice de celle-ci dans la poursuite de l'objectif". Personne, par exemple, n'aurait jamais pu élaborer seul ces centaines de pages du projet d'établissement de l'Université de Nantes tant l'ampleur de la tâche est grande sur le plan politique. La coopération, dont la mise en oeuvre lui confère un caractère processuel, implique une relative dépendance et une complémentarité entre les participants. Elle peut être volontaire, spontanée, consentie ou négociée (Boyer et Orléan, 1997)121. Notons que bien qu'il n'y ait qu'une modalité de définition qui soit présentée ici, la littérature sur la coopération en connaît autant de variété que de modalités. Toutefois, il est possible de considérer l'existence de deux grandes formes significatives :

- La Coopération dite "autonome" (Romelear, 1998) est née pour s'achever avec le début et la fin de la production commune d'une valeur. Pour ce faire, les acteurs s'agrègent autour d'un projet en développant un référentiel commun.

- La Coopération comme moyen stratégique (M. Crozier et E. Friedberg, 1977,

1993) pour le contrôle de sa zone d'incertitude en vue de l'accession à des ressources par des négociations et des échanges.

Dans la pratique, ces idéaux-types composent, dans des proportions variables, toute entreprise vue comme système de coopération (C. Barnard, 1938). Néanmoins, la coopération autonome focalise notre attention dans la mesure où elle devient de plus en plus un enjeu managérial (par exemple, G. de Terssac et E. Friedberg, 2002). La conception d'un projet d'établissement ambitieux est une affaire de coopération où se joue un savant dosage entre coopération autonome et coopération stratégique. D'où l'importance, à plusieurs titres, d'élucider

120 Jean-Louis Soubie, Florence Burato, Corinne Chabaud, (1996), "La conception de la coopération et la coopération dans

la conception", in Gilbert de Terssac, Erhard Friedberg (dir.), (2002), Coopération et Conception, Octares Éditions, p.189.

121 R. Boyer, A. Orléan, (1997), "Comment émerge la coopération ? Quelques enseignements des jeux évolutionnistes", p.

19-44 in B. Reynaud, (1997), Les limites de la rationalité, Colloque de Cerisy, éd. La Découverte.

la problématique de l'action collective à travers la divergence des intérêts avant de rapporter celle-ci dans le cas plus précis d'un établissement universitaire.

Mais il est temps de s'interroger sur ce qu'est le projet d'établissement tant de fois évoqué jusqu'ici. De manière générale, la littérature abonde de définitions de projet d'établissement. Mais il ne s'agit que d'établissements d'enseignement préscolaire, primaire et secondaire. Or, le décalage de préoccupation est tel entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur que ces données, malgré leur valeur certaine, ne peuvent être d'une grande utilité pour éclairer notre problématique. Alors, plutôt que de nous perdre dans d'interminables spéculations pour justifier à tout prix "l'introduction d'un taureau dans une cage réservée à une brebis", intéressons-nous à un cas empirique dont l'exploration pourrait réduire notre ignorance. Autrement dit, si le cas de l'enseignement supérieur ne s'accommode pas du moule du secondaire, il vaut mieux se focaliser sur la nature du projet de l'université.

De l'école primaire à l'université, le projet d'établissement a trouvé sa place parmi les principaux dispositifs de gestion étroitement associés à la notion d'autonomie. Dès lors,

la tentation de le prendre comme un simple dispositif parmi d'autres, peuple les esprits pour qui

la définition du projet d'établissement se confond dans le brouillard des groupes nominaux tels que projet pédagogique, projet éducatif, projet de formation, projet individuel de l'apprenant, etc. Pourtant, l'une de ses caractéristiques propres réside dans l'implication de toute la communauté éducative ou universitaire dans son élaboration et sa mise en oeuvre. Dans l'idéal en tout cas puisque tel n'est pas toujours le cas. À l'instar des questions afférentes à la pédagogie, la littérature abonde sur le projet d'établissement jusqu'à l'enseignement secondaire. Ce qui est loin d'être le cas pour celui de l'université. Pas étonnant étant donné le caractère trop récent de l'obligation légale de la démarche, dans l'enseignement supérieur, qui n'a pas donné assez de recul aux chercheurs. Cependant, le peu de recherches qui évoquent le sujet, notamment les réflexions sur l'avenir de l'enseignement supérieur, offrent suffisamment de pistes convergentes pour confirmer le caractère stratégique de la démarche projet. Nous nous limitons toutefois à l'étude des différentes étapes de fabrication du contenu d'un projet d'établissement universitaire. Dans cette oeuvre coopérative, nous discuterons aussi du rôle joué par chaque groupe d'acteurs en interaction.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld