B. Appréhender la complexité
Le mot complexe vient du latin complexus,
c'est-à-dire, selon le Petit Larousse,
qui se compose d'éléments différents
d'une manière qui n'est pas immédiatement saisissable. Nous
pouvons compléter cette définition en précisant que
non seulement insaisissable dans l'immédiat, mais jamais
complètement non plus, du fait du caractère imprévisible
inhérent à sa nature. D'où l'émergence possible,
selon le contexte, des nouveaux évènements issus de
l'environnement pour influer le cours du système ; ou bien des
évènements issus du même système qui reviennent
en boucle récursive l'influencer ; peut être même les deux.
Un système complexe est donc, par définition, un système
que l'on tient pour irréductible à un modèle fini
(J.-L. Le Moigne, 1999)83. Par conséquent, il
n'est pas question d'une quelconque déterminisme
qui permettrait une prédiction totale, fut-ce avec le plus
puissant des processeurs mathématiques.
Mais une précision s'impose. Notre expression
"inhérent à sa nature" ci-dessus,
n'a rien à voir avec l'idée de "né
avec la Nature". La complexité est une nature
délibérément attribuée par l'observateur au
modèle par lequel il appréhende un phénomène,
un objet. Pour décrire la complexité, l'outil fondamental
se nomme système, c'est-à-dire : enchevêtrement
intelligible d'actions interdépendantes dotées d'un projet
commun. Le système, toujours selon J.-
L. Le Moigne84, exprime la conjonction de deux
perceptions antagonistes : un phénomène que l'on perçoit
dans son unité, sa cohérence, son projet, et ses interactions
internes entre composants actifs dont il constitue la composition
résultante. Ainsi, autonome depuis 1975, la systémique, pour
rester sur l'excellente définition de J.-L. Le Moigne, est la science
qui fait son projet des méthodes de modélisations des
phénomènes par et comme un système en
général. Ce paradigme,
baptisé Ingénierie Systémique, se
veut, contrairement au cartésianisme, projectif car "la
83 Jean-Louis Le Moigne (1999), La
modélisation des systèmes complexes, Paris, Dunod.
84 J.-L. Le Moigne, Ibid.
méditation de l'objet par le sujet prend toujours la
forme du projet" (G. Bachelard)85. Quant à
l'ingénierie, il s'agit, selon G. Vico, de "cette étrange
faculté de l'esprit humain qui est de relier...Il a
été donné aux humains pour comprendre, c'est-à-dire
pour faire"86.
C'est donc ce paradigme qui fonde, en plus du choix de notre
sujet, le maillage théorique construit en vue de sa meilleure
compréhension ainsi que notre posture de chercheur. Nous l'avons
souligné à propos de la vie sur terre dont
l'évolution va de pair avec la complexification. C'est pourquoi, en
accord avec D. Genelot, nous suggérons que les dirigeants doivent "se
doter des méthodes de pensée qui leur permettent à la fois
d'inventer le progrès et d'en limiter les effets pervers"87.
Cela suppose l'adoption de stratégies interdisciplinaires afin de mieux
gérer la complexité. Une telle conclusion explique la nature de
cette partie qui se veut un engagement civique dans cette culture
épistémologique avec une meilleure adoption de
"l'obstinée rigueur" plutôt qu'un simple exposé
théorique88. Ainsi sera aussi exprimée,
concrètement, la reliance permanente entre le faire et le savoir
théorique pour mieux produire des nouveaux savoirs qui
amélioreront, à leur tour, les pratiques. Et le spiral vertueux
de la reliance action-savoir produit la transformation, l'amélioration,
l'évolution des pratiques justifiant par du concret l'apport des "ruses
de l'intelligence" ou "métis" (E. Morin) au service de la recherche-
action.
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