IIe PARTIE~
UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA PROJECTION
«Nous n'avons que le choix entre les changements dans
lesquels nous serons entraînés, et ceux que nous aurons su vouloir
et accomplir».
Jean Monnet
"Il faut être capable d'inspiration et d'action :
l'un enfante le projet, l'autre l'accomplit."
François René vicomte
de Chateaubriand
L'université, bien que ne participant qu'indirectement au
concert des entreprises
de production de biens ou de services marchands, n'en est pas
moins sujette aux influences de son environnement local, régional et
international. Deux séries de raisons président à
ces influences, par ailleurs réciproques : d'une part
l'adaptation partielle de l'université aux configurations
économiques et sociopolitiques ; d'autre part sa participation aux
évolutions grâce aux forces de création et de
diffusion d'innovations que constituent le couple laboratoires /
enseignants-chercheurs. Or ce début du XXIe
siècle a apporté avec lui son lot de
bouleversements, entamés depuis le siècle dernier :
bouleversements sociologiques, modifications des rapports économiques
(nouvelle répartition géographique de la conception, de
la production et de la commercialisation) avec des
réajustements réglementaires dus aux imprévus ainsi
qu'aux nouveaux rapports à prendre en compte. L'université ne
saurait échapper à
de tels mouvements. Combinés aux évolutions
internes à l'organisation, ces derniers suscitent, voire imposent des
réflexions sur la question du pilotage de l'enseignement
supérieur. Au milieu
de toutes les mutations économiques, politiques
et sociales de ce millénaire qui débute, se dispenser
d'ambitieuses investigations sur l'avenir immédiat et à moyen
terme de l'enseignement supérieur revient, pour tout pays -
développé ou non, riche ou émergeant - à se
condamner au mieux à une longue stagnation, au pire à un
effondrement durable de son potentiel de développement. Or nous
n'osons croire qu'il puisse exister une société, un
gouvernement, une communauté scientifique, etc. qui soit
prêt à endosser une telle irresponsabilité
vis-à-vis des futures générations
héritières de cette partie importante du système
éducatif.
Cependant, ces réflexions diffèrent de
celles qui ont pour objet la vie économique en
général puisque l'université, en tant qu'organisation, a
son identité propre et sa
culture très spécifique. Elle a des aspects
génétiques singuliers et évolue selon des trajectoires
qui tiennent à ses propres tendances
génériques et à ses engagements vis-à-vis de la
société (B. Clark, 2001)77. Par conséquent,
son pilotage actionne plusieurs dispositifs dont l'étude globale
suppose l'investissement d'une grande équipe de recherche
internationale dotée d'importants moyens. Une revue
générale de la littérature permet de citer, entre
autres facettes de ce management, la problématique de
l'équilibre centralisation-décentralisation, la question de
la collégialité, le problème des moyens, le partenariat,
qui peuvent être appréhendés à partir de sa
projection. Telle est l'orientation pour laquelle nous optons,
c'est-à-dire comment se projette cette partie de l'enseignement
supérieur ; à commencer par l'interrogation sur la place du
projet dans l'action collective.
Deux raisons soutiennent ce choix. D'une part, dans le
cas des universités françaises, l'obligation de la part du
ministère de tutelle - principal financeur / bailleur de fonds -
de négocier le Contrat Quadriennal de
Développement à partir du projet d'établissement
rend celui-ci incontournable. D'autre part, le projet constitue une
démarche globale permettant de faire évoluer le fonctionnement
d'une grande organisation bureaucratique et marquée par
l'indépendance des principaux acteurs (enseignants),
conditionnant des réalisations plus ambitieuses pour transformer
les contraintes contextuelles en potentiels de réussite.
Avant d'approfondir la notion de projet, il importe de
découvrir le type d'établissement d'enseignement
supérieur qu'est l'université. L'objectif étant de
poser et de décrire la structure afin de conduire une réflexion
sur le concept projet dans sa généralité, puis sa
matérialisation dans le cadre d'une organisation concrète.
Mais une conceptualisation s'inscrit dans un repère
épistémologique dont la délimitation éclaire toute
la portée des sens véhiculés par
les concepts. Commençons dans ce cas par
préciser dans quelle registre épistémologique
progresse cette quête de savoir. Notons cependant d'emblée que ce
passage par l'épistémologie
ne veut pas tenir lieu d'un agora pour une grande discussion
théorique. Les ouvrages et articles
de très grande qualité traitant d'un tel sujet
abondent tellement que prétendre, de notre part, à un quelconque
apport aux pensées épistémologiques risquerait
plutôt d'avoir un sérieux goût de manque
d'humilité intellectuelle. Le chapitre qui suit sera alors
vraiment, tel que son titre l'indique, des simples jets de cailloux
le long de notre parcours d'apprenti chercheur afin de baliser le cadre
dans lequel nous nous efforcerons d'évoluer.
77 Burton Clark (2001), "L'université
entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de
l'autorité et de la réussite ", in
Revue du programme sur la gestion des établissements
d'enseignement supérieur, OCDE, Vol. 13 - n°2, p. 10.
CHAPITRE 3
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