Section 3 : Développement de La Kafala en
Algérie en dépit des insuffisances juridiques.
L'adoption au sens français du terme est interdite par
les lois de l'Algérie, à l'instar de tous les pays musulmans.
Comme solution de rechange, c'est la « kafala », recueil
légal, qui y est introduite. Le recueil légal, dit « kafala
», ne peut être assimilé tout au plus qu'à une tutelle
ou à une délégation d'autorité parentale qui cesse
à la majorité de l'enfant.
Cette institution proscrit la création de tout lien de
filiation. En Algérie, quelque 3000 enfants naissent abandonnés
chaque année. Une grande partie est recueillie légalement dans le
cadre de la « kafala ». Quel est le statut de ces enfants au sein de
leur famille d'accueil en termes juridiques et administratifs ? Quel est le
sort de l'enfant « makfoul » dans les cas de révocation de la
« kafala », de décès du père ou de divorce ?
Qu'en pensent les responsables des associations pour l'accueil des enfants
abandonnés comme l'Association algérienne enfance et famille
d'accueil bénévole (AAEFAB) qui compte 20 ans d'activité ?
La structuration de l'institution de la « kafala » connaîtra,
en Algérie, une évolution par deux fois : en 1984, le code de la
famille organise ce précédé, et en 1992, un décret
exécutif, signé par l'ancien chef du gouvernement, Sid-Ahmed
Ghozali, autorise la concordance de nom entre parents adoptifs « kafil
» et l'enfant adopté « makfoul ».
Le code de la famille de 1984, dont le chapitre sur la «
kafala » n'a pas subi d'amendement en 2005, consacre à la «
kafala » les articles 116 à 125 en déterminant les
conditions générales de cette institution. Ainsi, la «
kafala » est définie comme étant un engagement de prendre
bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la
protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père
pour son fils. La « kafala » est établie par un acte
légal. Selon le texte, le titulaire du droit de recueil légal
« kafil » doit être musulman, sensé, intègre,
à même d'entretenir l'enfant recueilli « makfoul » et
capable de le protéger. L'enfant recueilli doit garder sa filiation
d'origine s'il est de parents connus. Dans le cas contraire, l'agent de
l'état civil lui choisit deux prénoms dont le dernier lui sert de
nom patronymique (article 64 du code de l'état civil). Un article
controversé dispose qu'« en cas de décès, le droit de
recueil légal est transmis aux héritiers ! S'ils s'engagent
à l'assurer. Au cas contraire, le juge attribue la garde de l'enfant
à l'institution compétente en matière d'assistance ».
En vertu de cet article, les spécialistes considèrent que la
mère se trouve exclue dans l'exercice de la tutelle sur l'enfant «
makfoul » dans le cas du décès du père. Ainsi,
l'AAEFAB propose, dans un document qui sera transmis au chef du gouvernement,
qu'« en cas de décès du ``kafil'', la ``kafala'' judiciaire
de l'enfant revient d'office à l'épouse du ``kafil'' ». Pour
sa part, l'avocate à la cour et chargée de cours à la
faculté de droit de Ben Aknoun, à Alger, Mme Aït Zaï, a
suggéré, lors de la 40e présession du Comité des
droits de l'enfant, qui s'est déroulée le 8 juin 2005 aux Nations
unies, qu'« il faudrait que les règles concernant la tutelle d'un
enfant légitime soient appliquées à l'enfant recueilli
». Un autre cas de discrimination est reflété par le cas de
divorce entre le père et la mère du « makfoul ». En
effet, l'exercice de la garde de l'enfant est confié au père
« kafil » ! Car l'acte du recueil légal est établi
à son nom, alors que la mère aurait souhaité se voir
attribuer la garde, comme une mère pour son enfant légitime.
C'est pourquoi, le juge saisi de la demande de divorce doit au nom de
l'intérêt suprême de l'enfant confier la garde à la
mère comme s'il s'agissait d'un enfant légitime. Le juge doit,
également, accorder au père « kafil » un droit de
visite et le condamner, d'autre part, à payer une pension alimentaire.
En guise de solution, l'AAEFAB propose que le juge ou le notaire
prononçant la « kafala » veillent à porter sur l'acte
de « kafala » les noms et prénoms des époux au profit
desquels est prononcée la « kafala » pour mettre le
père et la mère du « makfoul » sur un pied
d'égalité.
L'espoir s'estompe sur la base d'une « fetwa »
émise en 1991 par le Conseil supérieur islamique, autorisant la
concordance de nom entre le « kafil » et le « makfoul » un
décret exécutif a été signé le 13 janvier
1992 par l'ancien chef du gouvernement, Sid-Ahmed Ghozali, permettant à
l'enfant « makfoul » d'obtenir le nom de la famille « kafilat
» sur les registres, actes et extraits d'acte civil avec la mention
marginale « enfant makfoul », ce qui met juridiquement un terme
à l'injustice qui frappait l'enfant privé de famille. Cependant,
deux ans après, soit le 28 août 1994, le ministère de
l'Intérieur et des Collectivités locales transmet une circulaire
à l'attention des présidents d'APC en leur signifiant
l'interdiction de porter l'enfant « makfoul » sur le livret de
famille ! En guise de réaction, l'AAEFAB a envoyé une missive, le
20 juillet 2005, pour attirer l'attention de la tutelle sur « le cas de
ces milliers d'enfants ``makfoul'' privés de livret de famille ».
L'AAEFAB souhaiterait que l'enfant recueilli par la « kafala » soit
porté sur le livret de famille avec la mention marginale de la date de
jugement ou de l'acte notarié ayant prononcé la « kafala
». Cette disposition, qui représente la préoccupation
principale des familles adoptives, est nécessaire afin d'assurer une
intégration harmonieuse de l'enfant dans le milieu familial qui l'a
recueilli et dans les institutions avec lesquelles il est en rapport, comme
l'école et la mairie. La même association relève que la
circulaire du ministère de l'Intérieur et des
Collectivités locales s'inscrit en faux avec le décret
exécutif du 13 janvier 1992. Ainsi, entre le décret
exécutif de 1992 et la circulaire de 1994, l'incohérence persiste
et les familles adoptives restent ballottées entre les deux textes.
L'enjeu principal consiste à trouver un cadre réglementaire
harmonieux pour protéger l'enfant et lui permettre une insertion
positive au sein de sa famille et de la société. Lors du Conseil
de gouvernement du 21 décembre 2005, le ministre de la Justice, garde
des Sceaux, a présenté un avant-projet de loi relatif à la
protection de l'enfant. Le texte promet la création d'un organe national
chargé de la protection de l'enfance et de la promotion de ses droits. Y
aura-t-il du nouveau pour les enfants adoptés ? Pour conclure, il est
opportun de se référer à la 40e présession du
Comité des droits de l'enfant du 8 juin 2005 quand Mme Aït Zaï
a fait ressortir, devant la commission des Nations unies, que la
législation algérienne ignore, actuellement, les enfants
naturels. De ce fait, une discrimination est établie entre les enfants
légitimes et illégitimes. En guise de recommandations, l'avocate
à la cour a appelé à réorganiser la « kafala
» en tenant compte de l'intérêt de l'enfant, et plaidé
pour l'élimination de la discrimination entre enfants légitimes
et enfants naturels. Elle suggère, également, la création
d'un observatoire des droits de l'enfant pour mettre en évidence les
réels problèmes que vivent les enfants. Une recommandation qui
vient, peut-être, d'être réalisée avec l'avant-projet
de loi de Tayeb Belaïz. Pour les autres propositions, ce n'est,
peut-être, pas pour demain.
Mustapha Rachidiou
El Watan, 8 janvier 2006
|
|