Chapitre II
LA KAFALA, ET SON INTERPRETATION DANS LES DECISIONS DE LA
JUSTICE FRANÇAISE
SECTION 1 : CAUSES ET MODES
D'ABANDON DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE
Les femmes qui ne veulent pas élever l'enfant qu'elles
ont mis au monde ont toujours créé un problème pour la
société. La question de l'abandon des enfants dès la
naissance s'est posée tout au long de l'histoire. Pour éviter les
infanticides et les abandons sur la voie publique, la société a
tenté d'en organiser les modalités. De tout temps, il y eut des
enfants abandonnés, sitôt nés, par leur géniteur.
On connaît l'abandon ordonné par la
Cité de Sparte, des enfants considérés comme fragiles,
malformés, susceptibles d'être à charge de la
société. Il s'agissait là, en fait d'une forme
d'infanticide.
L'infanticide, l'Eglise, dès le début du moyen
âge, essaie de l'éviter, en encourageant précisément
l'abandon. De manière générale, les enfants
illégitimes sont abandonnés dès la naissance, les enfants
nés de famille pauvre peuvent l'être plus tard, quand les parents
se rendent compte de l'impossibilité qu'ils ont à les
élever. Que l'on songe au fameux conte du Petit Poucet.
Mais au 17 ème siècle, l'abandon des enfants
constitue un véritable fléau dans la société
française. L'acte consiste principalement à exposer son enfant
dans un lieu public comme, par exemple, une église.
La cause principale reste l'illégitimité.
Quand l'enfant naissait hors mariage, il était considéré
comme un "bâtard". En France, une ordonnance de Louis XIII, datant de
1639, ordonne que tous les enfants nés hors mariage soient
frappés d'indignité, d'incapacité totale de succession, ce
qui revient à les exclure de la famille. C'est principalement la
noblesse et la bourgeoisie qui recourront à cette décision.
Les jeunes filles célibataires peuvent abandonner
leur enfant à cause de leur faible revenu mais aussi en raison de leur
difficulté à affronter la honte de l'éducation d'un
bébé né "hors normes". Que ce soit le père ou
l'employeur, quand il découvre la grossesse, la réaction est bien
souvent la colère et l'expulsion.
Il y a également des enfants légitimes dont les
parents sont incapables d'assurer l'existence. Accoucher à
l'hôpital et y laisser l'enfant est le seul moyen de fuit la famine et la
mort.
L'Eglise a joué un très grand rôle dans
les abandons d'enfants car elle condamnait tout acte contraceptif et tout
avortement. Ainsi, en 1687, Bossuet souligne que " vouloir éviter
d'avoir des enfants est un crime abominable". Ces techniques étaient
considérées comme des actes totalement condamnables puisque les
femmes qui avortaient étaient condamnées à la peine de
mort, de même que les personnes qui les avaient aidées.
Au 18 ème siècle, la progression des abandons
est due à la misère des classes ouvrières populaires mais
aussi au développement des naissances illégitimes liée
à la liberté des moeurs qui caractérise ce siècle.
En simplifiant, on pourrait dire que les abandons sont la conséquence de
la débauche des classes hautes et de la précarité des
classes basses. En effet, les classes populaires bénéficient d'un
maigre revenu qui ne leur permet pas d'assurer la subsistance de
l'entièreté de la famille. La contraception existe mais les
familles les plus précarisées n'ont pas les moyens de
bénéficier de ce luxe étant donné leur revenu. Ce
revenu ne leur suffit parfois même pas pour pouvoir se nourrir
eux-mêmes alors l'apparition d'un enfant dans la famille est souvent
très mal acceptée. Selon les statistiques de l'époque, les
mères qui abandonnent leur enfant sont le plus souvent des servantes,
des ouvrières, des domestiques, des veuves ou encore de marchandes.
Ainsi confrontés à ces problèmes financiers, les
mères sont contraintes d'abandonner leur enfant devant une maison de
riches bourgeois ou encore dans un lieu public comme devant le porche d'une
église.
On voit aussi apparaître un autre mode, celui de
l'abandon à l'hôpital après la naissance, dans les mains de
la sage-femme ou encore chez une nourrice. La majorité des abandons se
fait avant l'âge d'un mois.. Une des raisons de ces abandons est
peut-être l'insuffisance de l'alimentation lactée dispensée
aux nourrissons ( le lait de vache n'a pu être utilisé
qu'après la découverte de la stérilisation). En tout cas,
si l'illégitimité reste une cause importante, on constate une
relation évidente entre l'abandon et la misère car il y a
augmentation des abandons en période de crise alimentaire. Pour preuve,
on peut citer les petits mots trouvés dans les langes des enfants
abandonnés om l'on peut lire des choses telles que celle-ci : " Janvier,
1789, Rouen. Je suis né aujourd'hui 7 janvier de légitime
mariage. Mon père et ma mère souffrant de l'extrême
misère ont été hors d'état de me faire recevoir le
baptême et de me rendre les services que ma tendre jeunesse les oblige
à me donner. Ce n'est qu'avec la plus humiliante affliction et douleur
la plus sensible qu'ils m'abandonnent et exposent en attendant que le ciel les
favorise d'être en état de me rappeler au sein de ma famille" (
Jean Dandrin, enfants trouvés, enfants ouvriers, 17e-19e siècle,
Aubier Montaigne, 1982.) A cette époque, on compte plus de 7000 abandons
par an, que l'on attribuera majoritairement à
l'illégitimité; mais, comme le soulignent certains auteurs
contemporains, en rejetant la faute sur l'inconduite des parents, l'Etat
évitait d'admettre sa responsabilité dans le système
économique et social qui créait cette pauvreté.
Au 19 ème siècle, la cause de l'abandon est
identique. La misère règne toujours dans les classes populaires.
Cette pauvreté est un réel barrage aux familles
défavorisées désireuses d'avoir des enfants mais
étant donné la précarité, ils ne peuvent se
permettre de garder l'enfant. Ils préfèrent donc déposer
l'enfant dans un lieu qui favorisera son épanouissement plutôt que
de le laisser mourir de faim (dans certains cas, c'est l'enfant qui meurt et
dans d'autres, c'est la mère car elle s'est sacrifiée pour son
enfant). En général, les familles à cette époque
déposaient dans les langes des enfants des signes de reconnaissance
gardant l'espoir de leur identification voire d'une future restitution.
La forme d'abandon, elle, a changé : la
société a mis en place des " tours d'abandon ". Ces tours
étaient destinés aux personnes qui voulaient laisser leur enfant
dans l'anonymat et la sécurité. C'était une sorte de
guichet installé dans la façade des hospices; on y pratiquait un
trou où était logé une boîte pivotante. L'ouverture
du tour se faisait par la rue; il suffisait de déposer l'enfant dans la
boîte, de sonner et la boîte se tournait vers l'intérieur de
l'hospice où une soeur recueillait l'enfant.
A la fin du 19e siècle, les tours sont
supprimés pour faire place au bureau d'admission auquel les mères
peuvent confier leur enfant. La police intervient parfois lorsque les parents
ont commis un délit pour survivre. De plus, les domestiques ont parfois
eu des relations avec leur employeur qui avaient entraîné une
grossesse, ce qui poussait les employeurs à renvoyer la domestique car
ils ne voulaient pas avoir de problèmes avec leurs femmes.
Au 20 ème siècle, la misère
s'atténue petit à petit mais elle ne disparaît pas, elle
reste présente. La cause d'abandon reste donc ce fléau. Mais il
faut noter l'apparition grandissante des abandons dans la classe bourgeoise.
Les femmes riches avaient des serviteurs et il leur arrivait quelque fois que
celles-ci aient des relations extraconjugales. De peur que le mari le
découvre, elles étaient contraintes d'abandonner l'enfant ou
même d'avorter. Si elle était célibataire, la crainte du
scandale et le risque que la famille, à l'annonce de la grossesse,
n'expulse la jeune fille, ne laissaient à celle-ci pas d'autre choix que
de se débarrasser du bébé.
Au 20e siècle, la législation française a
créé l'accouchement sous X, assurant l'anonymat d'abord total sur
la personnalité de la mère. C'est devenu la principale forme
d'abandon.
Fin 20 ème et début 21 ème
siècle, la misère reste la cause principale d'abandon. Les femmes
qui ont recours à l'abandon sont souvent très jeunes et sans
ressources car elles ne travaillent pas. Elles ont aussi peur d'annoncer
à leur compagnon leur grossesse car ceux-ci risquent de fuir face
à l'annonce de leur paternité. Enfin, lorsqu'il s'agit
d'adolescentes issues de minorités ethniques (maghrébines ou
antillaises par exemple), elles risquent aussi de se faire bannir de la
famille, voire d'être physiquement punies.
|