· Avec les « siens
d'appartenance »
Une fois que le futur converti devient musulman et s'affirme
comme tel auprès des musulmans sociologiques, une période
idyllique courte s'ouvre à lui. Ce temps de
« convalescence », ce temps de « nouveau
né » en islam confère au converti un statut
privilégié au sein de la communauté musulmane
sociologique. Il est choyé, accompagné, encouragé,
soutenu, initié et est encore nimbé d'une aura de bienvenue. Le
temps des devoirs peut alors s'ouvrir. Devenu l'égal, en pratique et en
devoirs, en croyance et en tradition, des musulmans sociologiques, le converti
n'en reste pas moins toujours tenu pour « converti » par
ses pairs. La distinction croyance islamique et traditions est alors en pleine
lumière. Le converti se trouve, d'une part, face à une situation
nouvelle : celle de s'acculturer ou non, celle d'être
français musulman pour n'ayant, tout simplement pas la
possibilité de devenir arabe, marocain, syrien, jordanien,
égyptien, saoudien, sénégalais, pakistanais ou iranien,
etc. D'autre part, si chaque musulman sociologique sait que par les principes
coraniques, aucun musulman ne peut juger, jauger ou mesurer le degré de
foi d'un de ses coreligionnaires, l'appartenance à la communauté
des croyants, la Umma, pose la responsabilité de chacun à donner
l'exemple, en tant que croyant. Le converti n'échappe évidemment
pas à cette responsabilité, musulman « comme les
autres » qu'il est devenu. En fait, le converti n'est jamais
« comme les autres ». Le plus souvent, il se veut plus
musulman que les musulmans, dans les débuts de sa conversion tout du
moins, à la fois pour dépasser la séparation
traditionnelle qui le sépare de ses
« frères », pour acquérir au mieux les
pratiques et parce que novice il est encourager par les autres à faire
mieux encore, à honorer l'engagement qu'il prend non seulement devant
dieu, mais aussi dans la communauté humaine.
On peut supposer que dans les cas réunis dans ce
corpus, l'intention de bien faire, voire de mieux faire, soit d'autant plus
importante chez eux, qu'ils ont été critiques des pratiquants de
leur groupe religieux d'origine. Critique qui est à la base même
de leur quête spirituelle et donc de leur conversion à l'islam
(sauf C1 et C2). L'exigence d'être un « bon » croyant
vient donc d'abord d'eux-mêmes. Cet enthousiasme voire ce
« stakhanovisme » à devenir un musulman accompli, ne
peut, à son tour, que réjouir les musulmans sociologiques qui les
accompagnent. Mais, cette intensité de foi, de pratique,
d'apprentissage, de formation à la langue arabe (particulièrement
pour C3 et C6), de connaissance coraniques, hadithiques et
exégétiques met le converti en porte-à-faux avec ses
coreligionnaires sociologiques. Avide de savoir, il devient parfois plus
« savant » qu'eux. Mais, surtout vierge des poids de la
civilisation arabe, africaine ou asiatique, il aborde textes, connaissances et
références, le Coran excepté, d'un oeil vif, neuf et sans
complexe, le plus souvent. En l'absence d'un terreau traditionnel qui lui
permettrait d'élaborer des repères, le converti vitalise sa
croyance aux livres et met en jeu son esprit
« cartésien ». Ceci trouble ses coreligionnaires
sociologiques, au point parfois, que certaines confréries créent
des sous-groupes de convertis. Isolés au sein de la fameuse Umma
universalisante, ghéttoïsés, stigmatisés les
convertis sont, alors des musulmans minoritaires, suspects et
dérangeants. Les heurts culturels et de systèmes de pensée
peuvent éloigner les musulmans sociologiques du converti ou
éloigner le converti de ses frères, musulmans depuis des
générations, héritiers donc d'une mémoire
collective, intuitive et traditionnelle. A leur tour, les musulmans
sociologiques pour la plupart semblent « attendre » que le
« converti » devienne musulman « comme
eux ». Les références que peut établir un
« converti » avec d'autres systèmes de
pensées religieux ou philosophiques, souvent liés à sa vie
« d'avant », sont assez fréquemment
« refoulées » par les musulmans sociologiques. Ils
arguent du fait que le « converti » aurait en adoptant
l'islam, adopté « le meilleur système
religieux » qui soit. Ainsi, pourquoi donc continuer à le
mettre en rapport avec les autres, la pensée individuelle, l'analysez et
la compréhension ? Le « converti » devient
alors une sorte de « mouche du coche », trouble fête
malgré lui, et rengaine sa dynamique intellectuelle ou tout simplement
ses interrogations, pour souvent s'isoler d'une façon ou d'une autre de
ses frères sociologiques. Cette mémoire, donc à laquelle
il est condamné à ne pas avoir accès, ou du moins
succintement, il doit en faire le deuil. Au deuil de la tradition, le converti
ne se retrouve-t-il pas à faire le deuil de son rêve
(naïf ?) d'universalité, réalisé par son
appartenance spirituelle à l'islam et religieuse à la
Umma mythique, société idéale ? Il s'agit
pour le converti, à nouveau, de faire émerger son
individualité de musulman dans le cadre normé et normatif de
l'islam dont il sait, le plus souvent parfaitement, intégrer les
contraintes.
Les « convertis » entre eux ne se
facilitent pas la tâche pour autant, non plus. Ils suspectent la
sincérité de leurs semblables. Selon qu'ils sont d'une
obédience ou d'une autre essaient de convaincre qu'ils sont
« plus musulmans » que l'autre, mieux informés et
plus aptes à l'être. Ils rivalisent de connaissances et de
pratiques, s'excluant les uns et les autres et créant un tribalisme
nouveau. Certains fondent des confréries de
« convertis ». Quant à ceux qui sont
médiatisés, ils sont les plus susceptibles à être
critiqués tant par leurs « frères »
« convertis » que par les
« frères » sociologiques. Comment
désenchevêtrer cet imbroglio ?
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