Subjectivité et intersubjectivité dans la conversion indiviuelle masculine à l'islam en France au XXI siècle( Télécharger le fichier original )par Marie Bastin Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris - 2002 |
Partie ISociologie et religionDe la dimension religieuseLa religion est par nature un fait social, pour trois raisons, selon R. Bastide42(*) : par son uniformité, car « il n'est pas de religion personnelle qui soit tout à fait originale ; le penseur le plus indépendant vit des idées traditionnelles. », dans le sens où les phénomènes religieux subsistent indépendamment des individus et parce qu'elle est contraignante ; les croyances religieuses s'imposent du dehors au fidèle et sont sanctionnées juridiquement parfois, et moralement, toujours. Si donc que le collectif imprègne le religieux, les facteurs individuels sont autant d'indices du religieux postmoderne. Pour en apprécier au plus prêt les spécificités, la théorie de l'échange, celle de l'interactionisme symbolique/phénoménologie et celle de la socialisation comme construction sociale, seront l'expression d'un choix d'une posture exclusive, la pertinence des autres théories. La religion, du point de vue de la théorie de l'échange43(*), est un facteur stabilisateur de la société tout autant qu'un facteur de conflits. Bien que légitimant, en partie et d'une certaine manière, l'ordre social existant, elle contribue à des changements sociaux et à des conflits générateurs d'innovations importantes, jusqu'à produire des civilisations. Créateur de civilisations, le religieux participe encore de la socialisation individuelle et collective, sous des formes postmodernes qui s'inscrivent dans l'analyse du fondement de l'agir humain, pris à partie par des systèmes culturels et par la satisfaction postmoderne des intérêts individuels. Dans ce cadre, « le système social est un organisme complexe dans lequel s'observe fondamentalement un échange intense et permanent entre pulsions et informations, énergie et contrôle et dispersion et ordre. Cet échange est régulé à différents niveaux : de celui de l'adaptation immédiate aux exigences génétiques et biologiques à celui où il est demandé aux individus d'intérioriser des modèles culturels et des valeurs morales. » Il s'agit, alors, de mettre en rapport quatre dimensions de l'individu : celle du comportement, de la personnalité, de l'intégration sociale et celle de l'avènement de modèles culturels, tels que les religions historiques, qui s'acquittent d'une fonction sociale décisive, qui tient au fait qu'elles pourvoient le système social d'une source de légitimation, ultime éthique, qu'aucun autre système ne peut lui donner. D'une part, garantie d'une intégration sociale, la religion est un puissant élément de standardisation des actions humaines : comme cadre social à haut rendement, elle régule et unifie une quantité d'informations sociétales aussi bien au niveau collectif qu'individuel. Et, de par sa haute fonction de contrôle, elle permet au système social même, de lutter contre les insatisfactions, les crises, les conflits, les déviances, les gaspillages et les paralysies de certaines parties du système. D'autre part, la religion est un sous-système aux principes de fonctionnement propres aux sociétés dites complexes, mais qui apparaît, dans la société française de la fin du XXè siècle, dépourvu de sa fonction intégratrice historiquement identifiée. En effet, sa fonction est devenue plus celle d'un medium de communication, qui tendrait à rendre tolérable aux individus, un monde de sens indéterminé. Ainsi qualifié, ce sous-système, seul à pouvoir proposer des réponses à des demandes et à des exigences subjectives de sens, sans plus être intégrateur, ne serait plus qu'interprétatif. Cette compétence interprétative de la religion, issue du statut de ressource de significations et de ressource de capacités de déchiffrage, fait d'elle, un des moyens « d'imaginer uni ce qui est divisé, et absolu ce qui est relatif »44(*). En s'appropriant la dimension subjective de l'être humain dans la société -terrain d'expressivité subjective et de recherche de signification individuelle-, la religion stimule fondamentalement, chez les croyants, le sens d'appartenance et d'adhésion à des objectifs organisationnels religieux et subordonnerait aux stratégies subjectives individuelles ou collectives, les objectifs institutionnels du système social décentré. Dans une société complexe dépourvue de centre, comme la société française de la fin du XXème siècle, la religion tiendrait sous contrôle les angoisses, les peurs, les espérances et les besoins existentiels individuels. Mais, ne pouvant plus pour autant, être un centre possible, d'un tel système social « décentré » ou « acentré », elle est bien facteur de stabilisation sociale et réduit les contingences psychologique, sociale et politique subies par les individus. Sous cet angle, nous avons envisagé certaines dimensions de la « conversion » religieuse dans la France ultramoderne. Dans un premier temps, la théorie de l'échange, qui considère la religion comme « un bagage de connaissances et de ressource symboliques cognitives et émotives favorables à « l'investissement de soi », dans les transactions sociales et des négociations quotidiennes entre les individus. »45(*) et qu'elle « appartient au processus de socialisation, elle y sacralise et y rend indiscutables les présupposés éthico-moraux de l'échange social », permettra de tisser, en termes de connaissances, de transactions sociales et de négociations quotidiennes ce à quoi ont affaire les « convertis ». Dans un deuxième temps, l'approche de l'interactionisme46(*), pose comme postulat la fragilité et le caractère limité de l'être humain. Cette fragilité et ce caractère limités le pousseraient à se mettre en rapport avec les autres pour survivre, en procédant, à la sélection des modes de coopération et de transactions sociales, et surtout, à l'élaboration de représentations symboliques de la réalité sociale. Cette approche impose à l'esprit une « mémoire sélective d'actions favorables à la transaction sociale et pour supporter le « coût » de la vie » et propose que cet esprit y est également et de ce fait, le « produit d'interactions sociales et de rapports de face à face ». La société est, alors une « construction de l'esprit, donc une représentation dont les acteurs (individus ou collectifs) ont besoin pour résister aux pressions du milieu de vie. » Cette représentation est composée par le sous-système, « religion », et fait de la religion un des systèmes de représentation nécessaire à la construction de l'esprit qu'est la société. La religion y est « un système de représentations symboliques élaborées par l'esprit pour une adaptation des valeurs communes. [Elle] offre un mode de fondation d'identités propres et une autodéfinition dans l'espace social. » Quelles représentations symboliques émergent des expériences de « conversion » individuelles à l'islam, aujourd'hui ? Enfin, dans le troisième temps, la théorie fondée sur la question : comment les individus qui interagissent dans la société créent-ils une vision du monde ? affirme que la socialisation, comme construction sociale de la réalité, conduit chacun à construire différentes provinces de significations qui permettent, à l'individu, de gérer les multiples rôles qu'il a à remplir. Parmi ces provinces, celle de la religion, est un « horizon de « sens » en mesure de fonder un certain point de vue d'intersubjectivité qui permet à l'attitude de « donner pour avérée », l'existence d'un monde ordonné par un principe transcendantal. » Quelles provinces de sens et quels principes de transcendantalité sont élaborés dans l'expérience de la « conversion » à l'islam ? Ainsi, considérant, la religion comme bagage de connaissances et de ressources symboliques, comme sous-système de représentation sur la base duquel se fonde identités et autodéfinition de la société et enfin comme horizon de sens, à la fois, il est permis d'envisager des relations de l'identité postmoderne avec l'univers du religieux postmoderne. * 42 R. Bastide in Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994 * 43 Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994 * 44 Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994 * 45 ibid, « Ces échanges de biens matériels et symboliques ne sont possibles et ne se produisent qu'encadrés par les valeurs et les règles acquises dans la socialisation. » * 46 H. Mead, in Sabino Acquaviva, Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994 |
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