Paragraphe 2 Supranationalité et Autonomie.
Grâce à l'ubiquité et la
délocalisation, le cyberespace s'affranchit des notions de
frontière et de nationalité. De plus, le cyberespace se
déroge à tout contrôle par quelque autorité qu'elle
soit étatique ou privée; il est entièrement autonome.
A. LA SUPRANATIONALITE
La supranationalité du cyberespace vient du fait que
les interconnexions entre les différents réseaux emportent la
création d'un espace global à la grandeur de la
planète. En effet, il est quasiment impossible de relier à
un territoire précis les relations cyberspatiales et ce surtout à
cause de l'ubiquité des informations disponibles sur le réseau
Internet.
L'ubiquité est la « possibilité
d'être présent en plusieurs lieux à la fois
»37. Dans le monde virtuel, l'ubiquité se manifeste de
différentes façons. D'une part, il arrive parfois qu'une
même information ou un même ensemble d'informations soient
disponibles en même temps à plusieurs endroits sur le
réseau, comme c'est le cas avec les sites miroirs38.
D'autre part, une même information peut se trouver,
au gré des consultations, simultanément à Cotonou et
au Québec, qu'il s'agisse d'une
36 Pour plus de détails sur l'interactivité
dans le cyberespace voir GUILLEMARD (S.), Le droit international privé
face au
contrat cyberspatial, op. cit.
37 Le nouveau petit robert 2000.
page Web ou du texte d'une lettre
expédiée par messagerie électronique à
plusieurs destinataires. En ce sens, le monde virtuel ressemble à la
télévision puisque divers usagers ont accès en même
temps à des données identiques.
L'information inscrite sur un support numérique, peut
être reproduite et transmise indéfiniment en conservant ses
qualités propres. En réalité, il ne s'agit pas
d'une véritable ubiquité car l'original de l'information
reste dans l'ordinateur du créateur et ce qui est accessible
à autrui n'en est qu'une reproduction. Cependant, le temps de
traitement pour la reproduction et la transmission est tellement minime et
la copie si fidèle à l'original que l'on peut parler de documents
identiques.
Par conséquent, contrairement au document sur
support physique, comme le papier, le document numérique peut
être lu ou utilisé en même temps par plusieurs
personnes qui peuvent simultanément le modifier39.
La notion d'ubiquité, dans le monde virtuel, est
intimement liée à celle
de délocalisation. En effet, dire que toutes les
informations sont accessibles simultanément en divers « lieux
» signifie qu'elles sont disponibles en même temps dans le
cyberespace. Elles circulent à la fois partout et en aucun endroit
déterminé puisque par essence la transmission
numérique s'effectue par le biais du réseau et non par voie
terrestre. Du point de vue de la transmission des données
numérisées, le flux d'information ignore les frontières
terrestres. Seule importe la localisation des machines dans l'espace virtuel,
localisation déterminée au sein du système par l'adresse
IP. Le message ne parvient pas
à Paris, par exemple, mais à 270.403.33.24 et il ne
provient pas du Québec mais de 559.342.15.34. Les notions de lieu
physique et de frontières ne riment
à rien au sein même du cyberespace et les
activités y sont
« déterritorialisées »40.
38 Il s'agit des sites dans lesquels sont stockées
des copies de données provenant d'autres sites.
39 Ce qui renvoie à
l'interactivité.
40 GUILLEMARD (S.), Le droit international
privé face au contrat cyberspatial, op. cit.
Dans ces conditions, il est difficile de parler
d'activité cyberspatiale nationale ou de contrat
international41.
B. L'AUTONOMIE DU CYBERESPACE
La dimension mondiale d'Internet rend impossible tout
contrôle global des activités qui se déroulent dans le
cyberespace. Celui-ci n'a pas d'autorité centrale et est
entièrement décentralisé.
Des sociétés conçoivent leurs
logiciels et promeuvent leur propre standard dans l'espoir de les voir
adopter par l'ensemble des acteurs du réseau Internet. Le
réseau se développe grâce aux apports de multiples
chercheurs du domaine privé ou public qui contribuent à
l'évolution des techniques et ceci de manière absolument
indépendante. La seule supervision
est celle effectuée par Internet Society qui avalise
les standards de communication. Mais cette supervision n'a aucune prise
sur les activités du cyberespace et ne fait qu'assurer l'harmonie
des normes techniques, permettant ainsi à tous les serveurs
d'échanger des informations entre eux.
Internet étant un réseau ouvert, toute personne
disposant d'un serveur peut entrer dans le cyberespace et y introduire à
son gré les informations qu'il souhaiterait mettre à la
disposition de la communauté des cybernautes. Il dispose ainsi
d'une partie du cyberespace.
Le seul contrôle possible est de couper le lien
physique au réseau. Toutefois, il ne paraît pas possible
à l'heure actuelle de couper un réseau qui dispose de plus de
50 millions de portes d'accès. En effet, les fournisseurs
d'accès au réseau sont très nombreux et se comptent par
milliers42. De plus,
le cyberespace couvre des pays dont les législations ne
sont pas identiques.
Par ailleurs, Internet est constitué de milliers de
réseaux autonomes ;
les multitudes de serveurs d'origines différentes
qui composent le réseau
41 Conseil National du crédit et du titre, «
problèmes juridiques liés à la
dématérialisation des moyens de paiement et des
titres » op. cit. , p. 379.
42 En Afrique il y a au moins un fournisseur
d'accès par pays contre une centaine en France sans parler des
fournisseurs d'accès américains et des fournisseurs
d'accès en ligne.
Internet sont entièrement indépendants les uns des
aux autres. La mise hors circuit d'un de ces réseaux n'empêche pas
l'ensemble de fonctionner.
Cette brève présentation du cyberespace met
principalement en relief tant son caractère novateur que les
incroyables possibilités qu'elle offre aux êtres humains. Le
cyberespace offre indiscutablement des « modes de
fonctionnement nouveaux, différents de ceux établis par la
révolution industrielle43 », notamment en raison de
ses caractéristiques fondamentales
ou de leur combinaison, relevant d'une science encore inconnue il
y a peu.
En particulier, l'ubiquité et la
dématérialisation, rêves inaccessibles jusqu'à
récemment 44 , permettent de se « déplacer
» et de communiquer partout où peut se rendre le
réseau tout en ayant accès à une quantité
indescriptible de données, de renseignements non tangibles et
ce, grâce à une gamme diversifiée de services ou d'«
outils ».
Une double constatation s'impose : ni le support matériel,
ni le territoire
ne font partie du monde cyberspatial. Si l'absence du
premier pose des problèmes au juriste principalement en
matière de preuve, la question territoriale oblige le droit
international privé à une réflexion en profondeur sur
les lois applicables aux contrats cyberspatiaux.
43 FIDA (S.), Des autoroutes de l'information au
cyberespace, Paris, Flammarion, 1997 p. 6.
44 VALERY (P.), « La conquête de
l'ubiquité » dans Pièces sur l'Art, OEuvres
complètes, t.2, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1928.
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