Paragraphe 2 Les adaptations à entreprendre en
matière de preuve
Les adaptations éventuelles auront deux objectifs :
donner au document électronique une force probante et
définir les conditions dans lesquelles une signature
électronique pourra être prise en compte.
A. LA FORCE PROBANTE DU DOCUMENT ELECTRONIQUE
Dans un premier temps, on pourrait élargir le domaine
de la preuve en relevant le seuil de l'exigence de la preuve. Ceci
permettra de soustraire à l'exigence de preuve par écrit une
grande partie des contrats cyberspatiaux104. Par ailleurs, le monde
des affaires ne se réduit plus aux seuls commerçants, surtout en
ce qui concerne le cyberespace. Il serait dès lors opportun
de modifier aujourd'hui le fondement du clivage entre la liberté
de preuve et la preuve par écrit en étendant le
régime de la preuve libre à l'ensemble des
professionnels105.
La seconde solution qui semble la plus pertinente
serait d'agir sur l'admissibilité des modes de preuve en actualisant
certaines notions face à la disparition du papier dans le
cyberespace.
Contrairement à la notion d'original qui au
travers de l'exigence implicite de signature, renvoie à un titre
papier, le terme document semble être neutre, aussi bien quant au support
utilisé qu'à ces caractères formels. Il peut
103 Lire à cet effet, DE LEYSSAC (L. C.), « Le
droit fondamental de la preuve, l'informatique et la télématique
», Petites
affiches, 29 mai 1996, p.5 ; SEDALLIAN (V.), Droit de
l'Internet, éd. Net Press, 1997, p. 102. On pourrait à la
limite
parler d'impossibilité relative mais en aucun cas
d'impossibilité absolue : BENSOUSSAN (A.), « Contributions
théoriques
au droit de la preuve dans le domaine informatique, aspects
juridiques et solutions techniques », Gaz. Pal. 1991 2 doct.
P.361.
104 L'article 1341 impose la rédaction
d'un écrit signé à titre probatoire pour les actes
juridiques mettant en jeu une somme supérieure à 5000F
CFA.
être signé pour établir l'approbation du
contenu sinon l'engagement (document contractuel constitutif d'un original)
comme il peut ne pas être signé sans cesser d'être
pour autant un original.
En somme, tout en gardant intactes les exigences de
l'article 1341, une réforme devrait prévoir qu'un document
électronique pourra tenir lieu d'acte sous seing privé dans
certaines conditions.
Ainsi, il serait souhaitable de ne pas étendre
les exceptions au domaine de la preuve écrite mais d'inscrire
dans la section relative aux preuves littérales du code civil un
article portant sur les documents électroniques. Cette assimilation est
cependant sous condition que le document puisse éclairer
indiscutablement sur le contenu et sur les auteurs de l'acte. C'est à
dire que le document soit assorti d'une signature fiable et
conservée de manière durable 106 sous le
contrôle des signataires ou, d'un tiers, à qui ces
derniers souhaitent confier cette fonction. Il serait en effet
préférable de remplacer l'expression « copie
fidèle et durable » par celle de
« procédé technique fiable de conservation
»107.
La question est alors de savoir dans quelles conditions la preuve
est rapportée que les exigences portant sur la fiabilité du
document sont remplies.
On imagine mal en effet un particulier faire la preuve d'un
système informatique. Il faudra alors ne reconnaître le document
électronique que s'il a été certifié par un tiers ;
on retrouve en quelque sorte le mécanisme de l'acte authentique qui
pour son instrumentum, fait foi jusqu'à inscription en faux.
Pratiquement, on aboutirait au remplacement de l'article 1333 du code civil
par
un nouvel article relatif aux documents électroniques.
B. LA RECONNAISSANCE JURIDIQUE DE LA SIGNATURE ELECTRONIQUE.
105 En substituant la notion de professionnels à
celle de commerçant.
106 Art. 1348 al 2 C.Civ.
107 Sur la durabilité de la preuve
électronique, voir POTTIER (I.), «La valeur probante des images
stockées sur disques optiques numériques», Normatique
n° 39 août- septembre 1992, p. 3.
Dans la mesure où, ni au plan formel, ni au plan
fonctionnel, elle ne rencontre d'obstacle rédhibitoire, la signature
électronique devrait être admise comme substitut de la signature
manuscrite.
Au plan formel tout d'abord, si la signature est une
notion clef du système de la preuve légale, ses
éléments constitutifs ne sont définis par aucun
texte. De ce fait, l'indication d'un patronyme, si elle est habituelle, n'est
pas imposée et l'emploi d'un code numérique confidentiel pourrait
être admis. Quant au caractère manuscrit de la signature, le
législateur pourrait intervenir pour permettre l'emploi d'un paraphe
apposé par procédé mécanique.
Au plan fonctionnel, ce qui importe pour qu'une
mention soit susceptible de constituer une signature, c'est son
aptitude à garantir d'une part l'identification de son signataire
et d'autre part la manifestation de son adhésion au contenu de
l'acte108.
Diverses techniques sont actuellement
développées sur le marché. Elles consistent à
créer les conditions techniques pour que la signature
électronique présente un grand nombre ou la
totalité des fonctions perçues comme caractéristiques
d'une signature manuscrite.
Des différentes formes de signatures
électroniques développées109, la signature dite
numérique ou digitale à clé publique semble la plus
fiable. Elle repose sur les procédés de cryptographie
asymétrique110 qui peuvent servir non seulement à
des fins de signature, mais aussi dans le but de garantir la
confidentialité des échanges. Le procédé fonctionne
comme suit : le message
est signé par son auteur à l'aide de sa
clé privée, puis il est expédié au
destinataire, qui peut le déchiffrer uniquement avec sa
clé publique
108 La signature (comme étant) un
élément nécessaire à la perfection d'un acte
juridique et qui identifie celui qui
l'appose. Elle manifeste le consentement des parties aux
obligations qui découlent de cet acte. BENSOUSSAN (A.),
Informatique Télécoms Internet, Règlements Contrats
Fiscalité Réseaux op. cit. p. 201 :. Voir egl. GOBERT
(D.),
MONTERO (E.), «La signature dans les contrats et les
paiements électroniques, l'approche fonctionnelle», DA/OR,
avril
2000, n° 53, PP. 17-39.
109 Voir GOBERT (D.), MONTERO (E.), «La
signature dans les contrats et les paiements électroniques,
l'approche fonctionnelle», op. cit.
110 Pour une explication détaillée,
PARISEN (S.), TRUDEL (P.), L'identification et la certification dans
le commerce électronique, Quebec éd. Yvon Blais. Inc. 1996,
PP.93-113 ; HUBIN (J.), «la sécurité informatique, entre la
technique et
le droit », Cahiers du C.I.R.D., n° 14, E.
Story-Scientia, 1998, spéc. pp. 68-112.
complémentaire à la clé privée de
l'émetteur. Ainsi, le destinataire est certain que le message
émane bien de son auteur dûment identifié111.
Autrement dit,
on donne deux clés au client prestataire. La
première, la clé du destinataire, reste privée. La
seconde, la clé de vérification est rendue publique ; lorsque
les parties signent, un procédé électronique
contenu dans la certification fige
le contenu de l'acte. Ainsi, ce procédé
permet de signer des documents électroniques dont l'origine et
l'intégrité seront certifiées par le tiers.
L'utilisation de la cryptographie asymétrique
à des fins de signature permet de remplir, efficacement et de
manière sûre cette fonction d'identification. Pour autant que les
clés publiques soient conservées dans de bonnes conditions de
sécurité, le risque de fraude est ici
considérablement réduit112. En outre, des
mécanismes d'opposition et de révocation des clés
existent dans tous les systèmes pour parer à toute
éventualité.
Même dans la mesure où le code peut, par
fraude être copié, entraînant l'identification d'un
opérateur qui n'est pas le titulaire légitime du code,
remarquons que la signature manuscrite peut également être
falsifiée. Aussi, si le législateur de 1804 a jugé sage de
ne pas accorder à la signature classique une valeur absolue, il
paraîtrait paradoxal d'exiger au 21ème
siècle une sécurité absolue d'éventuelles
formes de signature.
En ce qui concerne l'adhésion au contenu de l'acte,
dès l'instant où la
clé de chiffrement est appliquée de
manière volontaire et personnelle113 par l'auteur d'un
document électronique, il est permis de considérer qu'il exprime
son consentement à l'ensemble du contenu de celui-ci.
Il serait alors souhaitable que le législateur
reconnaisse la signature électronique mais en se bornant à
fixer un cadre général à sa validité : un
signe ne pourrait valoir signature qu'à la seule condition de remplir la
double
fonction d'identification et d'approbation susvisée. La
liberté serait ainsi laissée
111 Pour autant qu'un certificat délivré
par une autorité de certification confirme que la clé
publique appartient
réellement à l'émetteur.
112 Les experts considèrent que les crypto
systèmes les plus performants, sont pratiquement inviolables et
capables de résister à toutes les attaques.
aux parties de choisir entre elles le signe susceptible de
répondre à de telles
exigences.
113 A l'exclusion de toute opération purement
automatique.
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