Les contrats dans le cyberespace à l'épreuve de la théorie générale: problèmes et perspectives( Télécharger le fichier original )par Cica Mathilda DADJO Université d'Abomey Calavi - BENIN - Maîtrise en droit des affaires et carrières judiciaires 2003 |
Section 2 La preuve de l'existence du contrat cyberspatialL'article 1340 du code civil pose comme principe en matière de preuve l'exigence d'un écrit préconstitué et signé par les parties. Certes, ce principe ne s'applique pas dans l'hypothèse où l'objet de la convention est inférieur à 5000 Francs CFA ou par application de l'article 109 du code de commerce98. Cependant, même dans les hypothèses où la preuve est libre, la constitution d'une preuve efficace peut s'avérer être une précaution utile. Face au contrat cyberspatial, la question qui se pose est de savoir si le droit civil permet une prise en compte des documents et signatures électroniques. Paragraphe 1 L'insuffisante valeur probatoire des documents électroniques.Schématiquement, il y a deux manières d'intégrer le document électronique dans notre système probatoire : soit en l'assimilant à un document écrit, soit en l'intégrant aux exceptions à l'exigence de l'écrit où la liberté de preuve est admise. A. DOCUMENT ELECTRONIQUE ET ECRIT Qu'entend-on généralement par écrit ? Le code civil demeure silencieux sur la définition de ce que constitue un écrit. L'écrit est un concept juridique qui a été élaboré dans un contexte bien différent de celui de l'environnement dématérialisé du cyberespace. Aussi, beaucoup d'auteurs ont cherché à analyser la compatibilité d'un concept crée pour le papier avec le support dématérialisé auquel il applique désormais. Classiquement, l'acte sous seing privé est présenté comme celui que dressent elles-mêmes les parties en leur qualité de simples particuliers en 98 A l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi. dehors de l'intervention d'un officier public99. Il n'existe pas de définition à l'acte en tant que instrumentum. Toute liberté est en principe laissée aux parties quant aux formes matérielles (ou immatérielles) de l'acte. Traditionnellement on considérait que l'écrit pouvait être présenté sous forme manuscrite, dactylographiée, imprimée etc... . Toutefois, dans un arrêt récent du 2 décembre 1997, la chambre commerciale de la cour de cassation française a innové en affirmant dans un attendu de principe que l'écrit « peut-être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopie, dès lors que son intégrité et l'imputabilité de son contenu à l'auteur désigné, ont été vérifiées ou ne sont pas contestées »100. Ainsi, d'après cette jurisprudence française, ce qui compte ce n'est ni le support physique, ni le mode de communication des volontés ; mais la certitude que l'écrit émane bien de celui auquel il pourrait être opposé. D'après cette définition, il est parfaitement pensable que l'écrit revête un support immatériel, dès lors qu'il est admis que son origine (l'imputabilité) et son contenu (l'intégrité) n'ont pas été falsifiés. Cependant, des réserves demeurent quant à la possibilité de l'assimilation tel quel du document électronique au rang d'écrit sans modification législative. En effet, si on écarte les formalités prévues à l'article 1326 du Code civil, il semble que deux notions ne trouvent pas écho dans le document électronique. D'une part, la formalité de l'original double ou multitude (sanctionner par la nullité) dans les contrats synallagmatiques101 ne peut être adaptée aux messages numériques. La notion de copie ou d'original n'a en effet pas de sens s'agissant du cyberespace. Avec la numérisation, les documents peuvent 99 L'on ne saurait encore parler d'acte notarié dans le cadre du cyberespace. 100 Cass. Com. 2 dec. 1997, n° 95-14.251, JCP, éd. G, 1998, II, n° 10097, note Grynbaum. Certaines décisions considèrent au contraires que les documents électroniques n'ont aucune valeur juridique: Com. 15 dec. 1992, Bull. n° 419. 101 Art. 1325 C. Civ. Voir également Civ. 20 janvier 1897, D.P. 97.I.128 ; Civ, 1ère Sect. Civ., 15 juill. 1957, DALLOZ 1957 som.143 ; Civ. 15 mai 1934, D. P. 1934.I.113, note E.P. être reproduits des milliers de fois sans qu'il soit possible de distinguer la copie de l'original. D'autre part, il semble que la signature telle qu'elle a été définie jusqu'à présent, ne peut être assimilée ipso facto aux procédés d'authentification des actes numériques. La signature s'entend en effet comme « le signe graphique strictement personnel par lequel une partie manifeste son consentement ». Elle doit être manuscrite. Ni une croix (...) ni un signe analogue, non plus l'apposition d'un sceau ou d'une empreinte digitale ne peuvent la remplacer102. Il apparaît alors possible de dire que, si un procédé d'authentification électronique peut, sans conteste, remplacer les effets d'une signature à savoir, l'identification de l'auteur, et la manifestation de sa volonté, il ne peut être considéré, sans en changer la définition, comme remplissant les conditions matérielles de la signature. B. EXCEPTION A L'ECRIT DU DOCUMENT NUMERIQUE En matière civile, l'article du code civil souffrant lui-même d'un certain nombre d'exceptions, il est possible d'apporter la preuve par tout moyen : - En cas de commencement de preuves par écrit (article 1374), c'est à dire de tout titre signé par émanant du défendeur mais qui ne peut, pour des raisons de fond ou de forme, constituer un écrit nécessaire à la preuve des actes juridiques ; - Lorsque l'une des parties a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale par la suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure ; - Quand une partie n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable : on attribue une force probante à ladite copie. Est réputée fidèle et durable toute représentation indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible de son support. (art. 1348 al. 2 ) ; 102 MORELLI (N.), « La preuve par Internet », A propos, n°1 dec. 1998, I.D.A. en ligne : WWW.membres.lycos.fr/magistere1/doctrine/1editorial.html/ - Ou encore quand une partie n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale, de se procurer la preuve littérale de l'obligation (art. 1348 al.1). En tout état de cause, accéder à la liberté de preuve n'est pas suffisante puisque cela ne dispense pas de prouver. Or, aucune disposition particulière n'explique la façon dont la preuve d'une opération conclue en l'absence d'écrit doit se faire. Certes, la règle applicable est que la preuve peut être faite par tout moyen notamment par témoignage ou présomption. Mais dans le cyberespace, les parties cocontractantes ne disposent d'aucun de ces moyens classiques. En d'autres termes, si la liberté de preuve permet de proposer au juge tous les éléments de preuve disponibles, elle ne dispense pas d'entraîner la conviction du magistrat en prouvant la fiabilité de sa preuve. La finalité d'une preuve étant d'apporter la certitude ou du moins une présomption, la question fondamentale à résoudre est donc très précisément la suivante : le cyberespace offre-t-il une fiabilité et des garanties suffisantes pouvant servir de présomption admissible, dont on puisse induire l'existence d'un acte juridique, son contenu et l'identification des parties ? Pour répondre à cette question, essayons d'analyser une à une l'application des exceptions précitées au cyberespace. D'abord, assimiler le document électronique à un commencement de preuve revient à lui reconnaître la valeur de « demi preuve », dans la mesure où un tel commencement doit être corroboré par des éléments extérieurs ; d'autant plus que ce dernier doit provenir de celui contre qui la demande est formulée. Autant dire que cela ne facilite pas les choses. Quant à la deuxième exception, elle est insusceptible d'être utilisée dans le cyberespace. Comment en effet perdre l'écrit alors que celui-ci par définition ne peut exister dans le cyberespace ? On aura par contre du mal à voir dans le document électronique une copie fidèle alors qu'il n'existe pas d'original. Prévoir enfin qu'il y avait impossibilité matérielle reviendrait à dénaturer l'esprit de l'article 1348 du code civil qui est d'application exceptionnelle103. En conclusion, il semble que l'incorporation du document électronique dans notre droit positif sans interventions législatives relève de l'utopie. |
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