1.3.2 Une cible vaste et par conséquent difficile
à cerner
France 2, France 3 et France 5, si elles n'ont pas les
mêmes objectifs
dans leurs programmes, se réunissent globalement sur un
point : leur cible. Les
trois chaînes vise la cible la plus difficile à
toucher dans le monde de la
communication : la plus large population. Comme le précise
Rémi Festa,
Directeur des Etudes de France Télévisions Holding,
« la télévision a pour cible la
diversité des publics. La télévision
publique n'est pas centrée sur la cible
publicitaire, elle doit atteindre tous les publics. » C'est
un objectif d'autant plus
difficile qu'il est pratiquement impossible de séduire
tout le monde. Comment
faire pour réaliser une programmation qui plaise à
la fois aux jeunes de 15-25
ans, par exemple, mais aussi aux personnes âgées ?
C'est dans ce désir de
cibler la plus grande partie de la population que l'avantage de
posséder trois
chaînes se constate le plus facilement. Pour
résoudre cette problématique de
ciblage et attirer le plus de personnes possible, les
chaînes publiques se servent
de l'équilibrage de leurs programmes. Pour attirer un
certain secteur de la
population tout en concurrençant les chaînes
privées comme TF1, au fort
potentiel, elles se répartissent les programmes en
fonction des cibles. Ainsi, le
dimanche matin, France 3 va toucher les jeunes par son
émission de dessins
animés, « F3x », suivie de « C'est pas
sorcier » tandis que France 2 va toucher
les personnes adultes et pratiquantes ou
intéressées par la religion dans son
émission religieuse. A ce moment là, France 5
diffuse quant à elle des émissions
culturelles, comme « Le bateau Livre ». Les trois
créent de cette façon un
équilibre pour toujours attirer des publics
diversifiés et tenter de combattre la
concurrence des chaînes privées. Ceci dit, dans
l'exemple que nous avons
cité, il convient de préciser que la diffusion
télévisuelle de la messe sur France 2
est obligatoire, c'est un devoir moral pour la chaîne, qui
considère, comme l'a
précisé Rémi Festa, que c'est une mission de
service public que de
programmer ce genre d'émission.
1.3.3 Les moyens de communiquer institutionnellement,
divers mais limités
Les quelques moyens que nous allons présenter maintenant
sont ceux
qui, communs aux trois chaînes, leurs permettent de mettre
en avant leur
valeurs humaines et sociales dues à leur appartenance au
service public. Ce
sont également les moyens qu'elles utilisent pour
communiquer vers le grand
public.
- la Charte : disponible en téléchargement sur le
site www.francetelevisions.fr ,
elle présente les grandes lignes de la politique commune
des trois chaînes,
c'est-à-dire également celle du groupe. Par ce
biais, France Télévisions
souhaite faire passer le message selon lequel France 2, France 3
et France 5 ont
un respect du téléspectateur et s'adresse au grand
public mais aussi aux
professionnels de l'audiovisuel. Le texte annonce la couleur
dès son
préambule : « la « Charte de l'antenne » de
France Télévisions illustre les
engagements de qualité et de rigueur, de respect et
d'écoute que nous
prenons vis-à-vis des téléspectateurs
». Ce moyen est souvent utilisé par les
entreprises des secteurs les plus divers pour montrer à
tous les publics leurs
engagements et valeurs. Comme autre exemple, nous pouvons citer
la SNCF
qui a rédigé une charte 5à l'égard du
voyageur, et qu'elle affiche sur son site
ou dans les gares. En ce qui concerne celle de France
Télévisions, elle contient
de nombreux engagements et constatations sur des thèmes
aussi différents
que la liberté d'expression, le rôle social de la
télévision, le pluralisme, les
missions de service public, l'indépendance des
journalistes, les médiateurs ou
encore le respect de la vie privée et le parrainage.
La charte est donc censée être le reflet et en
même temps l'expression
de la politique d'éthique et de fonctionnement de chaque
chaîne du groupe.
Néanmoins, nous pouvons préciser que si certaines
notions sont communes à
toutes les chaînes du groupe et sont par conséquent
rédigées en généralités,
un court paragraphe se charge de différencier France 3,
France 3 et France 5
5 Charte de la SNCF, 2004-2005, téléchargeable sur
le site www.sncf.com, voir Annexe 3.
en expliquant les missions de chacune des chaînes. La
proportion des
généralités par rapport aux textes
adaptés à chaque chaîne est sans doute
voulue pour aller dans le sens de
l'homogénéisation, comme nous l'avons vu
précédemment, au sujet de leur identité.
Cependant, pour donner une
chance à chaque chaîne de se différencier
davantage, n'aurait il pas fallu
expliquer plus en détail les particularités de
chacune ? Et accorder ainsi plus
d'importance à chaque entité.
- La synthèse sur la ligne éditoriale :
adressée au ministre de la culture et de la
communication lors de sa prise de fonction, la synthèse
explique en sept pages
les buts et « personnalités » de chaque
chaîne, tout en éclairant le lecteur sur,
par exemple, les missions de service public.
Ce document permet également de dresser un constat de la
différence, en quelque sorte « d'attaquer » les
chaînes commerciales. France
Télévisions y voit un moyen quasi-politique de se
différencier, lorsque le groupe
cite par exemple que « [...] l'offre de programme et le
choix de
programmation s'intéressent plus aux citoyens quels que
soient leur sexe, leur
âge et leur condition sociale, qu'aux consommateurs.
»6. France Télévisions
critique indirectement les chaînes dont elle se
différencie, en rabaissant en
quelque sorte le système des chaînes commerciales,
qu'elle juge matérialiste,
et en se déclarant proche du téléspectateur
et de ses idéaux : c'est par le
terme « citoyen » qu'elle place ses objectifs au dessus
de ceux des autres
chaînes. Elle affirme ainsi s'intéresser davantage
aux personnes qu'aux
audiences. Elle rajoute dans le texte : « La
télévision publique s'interroge
constamment sur ce qu'elle transmet alors que le secteur
commercial
s'intéresse à ce que ses programmes lui rapportent.
» C'est une attaque
suffisamment explicite contre les chaînes privées,
France Télévision y voit une
opportunité supplémentaire de se démarquer.
Enfin, cette synthèse écrite de la ligne
éditoriale suivie par les trois
chaînes hertziennes explique en quelques points les
idées importantes qui
6 France Télévisions, in La ligne éditoriale
des programmes de France Télévisions, septembre 2004,
page 1
régissent leur politique : nous pouvons y lire que «
la télévision publique suit une
logique d'engagement », qu'elle « vise la
diversité des publics » et enfin qu'elle
détient une « responsabilité
déterminante sur le plan économique »7. Elle se
positionne donc sur trois créneaux à la fois : le
devoir moral et engagé, la
tolérance et ouverture que l'on pourrait décrire
comme « démocratique », et
enfin le créneaux économique qu'elle se sent
obligée de respecter, puisque
c'est une grande partie du rôle étatique.
- Le site Internet : Le site Internet est le moyen le plus simple
pour communiquer
vers différentes cibles, en permanence. En effet, le site
élaboré par France
Télévisions www.francetelevisions.fr établit
un contact direct avec la personne
qui visite le site, en l'occurrence le
téléspectateur. Il a accès à de nombreuses
rubriques, toutes conçues par le groupe, ce qui permet
à ce dernier de
transmettre directement son message grâce aux pages web
écrites.
L'annonceur a l'opportunité de communiquer sur tous les
sujets qui lui sont
relatifs et qui peuvent intéresser l'internaute. La
communication est par
conséquent plus claire et directe, puisque écrite
et vérifiée au préalable. Elle
est moins incertaine dans sa compréhension qu'un
commentaire radio ou télé
par exemple, qui peut être interprété de
manière plus libre par le grand public.
De plus, il y a l'avantage de pouvoir créer une relation
interactive,
d'avoir l'avis de l'internaute, via l'email, pour cerner comment
on peut
améliorer le site ou avoir des suggestions et idées
sur une émission d'une
chaîne, ou sur la politique du groupe en
général. Cette relation interactive
fonctionne d'ailleurs particulièrement bien en ce qui
concerne l'émission de
« l'hebdo du médiateur », sur France 2, un style
de programme qui n'appartient
qu'aux chaînes de service public, ce genre de remise en
cause n'étant pas
réalisée sur les chaînes privées.
Voilà donc une autre façon de se différencier
des autres chaînes. On retrouve par ailleurs cet esprit
critique de l'audiovisuel
dans l'émission « Arrêt sur image »,
diffusée sur France 5.
7 France Télévisions, in La ligne éditoriale
des programmes de France Télévisions, septembre 2004,
page 2
Pour en revenir au site Internet, il en existe bien sûr un
pour le groupe,
dont nous avons parlé précédemment, mais
également un pour chaque
chaîne, afin de respecter l'identité de chacune. Car
si France 2, France 3 et
France 5 ont, globalement, les mêmes valeurs de fond,
celles qui les lient à
France Télévisions, elles ont chacune un
positionnement et une façon de voir
les choses propres à elles mêmes.
- Les partenariats citoyens :
Chaque année, France télévisions s'engage
à offrir une diffusion de spots
publicitaires à des organismes qui s'occupent de «
grande cause nationale ».
Ainsi, en 2004, le collectif des Petits frères des pauvres
a pu communiquer sur sa
campagne et ce, gratuitement. De même, les trois
chaînes publiques ont
mobilisé leur émissions autour de deux autres
thèmes, bien différents et
pourtant tous deux mobilisateurs : la journée «
immeuble en fête » d'une part,
qui a pour but premier de créer une sorte de lien social
au sein des villes, c'est-
à-dire à l'intérieur des regroupements
où, habituellement, l'individualisme est
privilégié. Et, d'autre part, sur un sujet plus
sérieux, la campagne de la sécurité
routière, qui avait lieu de janvier à juin 2004. Au
cours de ce premier semestre,
les reportages et interventions dans les journaux,
régionaux et nationaux
confondus, se sont relayés sur France 2, France 3, et
France 5. Les spots ont été
offerts par les chaînes publiques et dès les
premiers résultats connus, les
retombées ont été nombreuses, prolongeant
l'action de communication de
l'Etat. La délégation ministérielle
chargée de cette campagne a réalisé un
partenariat sur le long terme avec la télévision
publique.
Cela arrange également la communication de France
Télévisions : il est
valorisant de montrer que l'on est engagé, et que l'on est
le porte parole de la
citoyenneté. Cette campagne, qui aurait pu passer pour un
jugement
moralisateur des conducteurs français fut au contraire une
opportunité de
montrer que France 2, France 3 et France 5 s'inquiètent
des problèmes de
comportement qui nuisent à la société. Ce
genre de partenariat citoyen est
par conséquent une bonne façon de transmettre une
image de chaîne
respectueuse de ses téléspectateurs tout en usant
un moyen non directement
commercial (c'est-à-dire qui ne nécessite pas que
France Télévisions verse
directement de l'argent pour réaliser par exemple une
campagne
d'affichage). Néanmoins, on peut émettre une
critique. L'information selon
laquelle France télévisions a offert cette campagne
a-t-elle été suffisamment
véhiculée ? Pour ne pas courir le risque
d'apparaître comme un organisme
public qui « joue les opportunistes » (c'est un
cliché de la communication) en
utilisant la campagne des Petits Frères des Pauvres pour
sa propre image,
l'ensemble des chaînes publiques n'a pratiquement pas
communiqué sur ce
sujet. Il y a l'annonce sur le site Internet, ainsi que
l'apparition fugace, à
chaque spot, de la mention « spot offert par France
Télévisions ». N'y aurait il
pas eu une façon plus subtile et plus efficace dans les
résultats pour faire
connaître le choix des chaînes publiques sur ce sujet
? Comme par exemple
réaliser des bandes annonces avec des interventions des
animateurs et
personnels des chaînes publiques, disant quelques mots sur
ce sujet grave...
Nous venons de voir quels étaient les moyens communs aux
trois chaînes
pour communiquer sur les valeurs du service public, les moyens de
communication qui les séparaient du modèle des
chaînes privées. Nous avons
analysé leurs particularités, leur histoire, leurs
valeurs. Les bases décrites et
conséquentes de leur appartenance au service public
semblent être
suffisamment fortes pour leur fournir à très long
terme une place de choix sur le
petit écran hertzien. Cependant, nous pouvons nous poser
la question de
savoir comment les trois chaînes peuvent résister
sur le marché, car le fait d'être
une chaîne soutenue par l'Etat, si elle permet d'avoir des
constructions solides,
entraîne aussi des contraintes qui peuvent être
difficiles à vivre au beau milieu
du marché télévisuel, parmi tous les
concurrents privés, au pouvoir et au succès
toujours plus grandissants. Quelles sont les contraintes à
supporter ? Quelles sont
les raisons de ces « garde fous » décidés
par l'Etat ? Et comment France 2,
France 3 et France 5 sont elles financées ? C'est ce que
nous allons voir dans
cette seconde partie...
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