c. Le conflit d'intérêts au sein du Conseil
d'administration d'une société « fermée »78
Contrairement à la situation au sein de l'assemblée
générale, le conflit d'intérêt au sein du conseil
d'administration a été réglementé par le
législateur79 .
1) L'inapplication de l'article 523 §1 alinéa 4 et
de l'article 524 du Code des
Sociétés L'article 523 §1 alinéa 4 qui
prévoit l'obligation d'abstention de l'administrateur n'est applicable
qu'aux sociétés faisant ou ayant fait appel à
l'épargne publique. L'article 524 qui prévoit un mécanisme
plus lourd en cas de conflits d'intérêts, ne s'applique qu'aux
sociétés anonymes cotées. De nombreux auteurs
déplorent cette exclusion qui n'est, pour eux, aucunement
fondée80. Il est possible d'inclure ce mécanisme
légal dans les statuts des sociétés « fermées
». Aucune information ne nous a été transmise en ce sens.
L'AG est compétente pour les modifications statutaires: il est possible
de prévoir l'inclusion de ce mécanisme.
2) Quatre conditions cumulatives pour l'application de l'article
523 C.S.81
76 Comm. Liège, 17 octobre 2003, op. cit., p.
43577 Bruxelles, 10 février 1998, R.P.S., 1998,
p.402 et suiv. 78 Cour d'arbitrage, 14 mai 2003,
n°642003, www.juridat.be79 nous ne reproduisons que l'article
523 et plus spécialement ce qui nous concerne dans cette affaire,
l'article 524 n'étant applicable qu'aux sociétés
cotées : Art. 523. § 1er. Si un administrateur a, directement ou
indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale
à une décision ou à une opération relevant du
conseil d'administration, il doit le communiquer aux autres administrateurs
avant la délibération au conseil d'administration. Sa
déclaration, ainsi que les raisons justifiant l'intérêt
opposé qui existe dans le chef de l'administrateur concerné,
doivent figurer dans le procès-verbal du conseil d'administration qui
devra prendre la décision. De plus, il doit, lorsque la
société a nomme un ou plusieurs commissaires, les en informer.
En vue de la publication dans le rapport de gestion, visé
à l'article 95, ou, à défaut de rapport, dans une
pièce qui doit être déposée en meme temps que les
comptes annuels, le conseil d'administration décrit, dans le
procès-verbal, la nature de la décision ou de l'opération
visée à l'alinéa 1er et une justification de la
décision qui a été prise ainsi que les conséquences
patrimoniales pour la société. Le rapport de gestion contient
l'entièreté du procès-verbal visé ci-avant.
Le rapport des commissaires, visé à l'article 143,
doit comporter une description séparée des conséquences
patrimoniales qui resultent pour la société des décisions
du conseil d'administration, qui comportaient un intérêt
opposé au sens de l'alinéa 1.
§ 2. La société peut agir en nullité
des décisions prises ou des opérations accomplies en violation
des règles prévues au présent article (et à
l'article 524ter), si l'autre partie à ces décisions ou
opérations avait ou devait avoir connaissance de cette violation.
80 K. Geens, « les administrateurs face aux conflits
d'intérêts », in les administrateurs des
sociétés, séminaire sous la présidence de
Xavier Dieux, op. cit, p. 3 ; X. Dieux, « De la société
anonyme comme « modèle » et de la société
cotée comme « prototype » », in Liber Amicorum Lucien
Simont, éd. Bruylant, Bruxelles, 2002, notamment n°13 p. 635,
636, n°14, p.636 et p.638 ; L. Simont, « les conflits
d'intérêts, nouvelles implications des articles 60 et 60bis »
in Séminaire Vanham & Vanham, 1995, p.2 ; Cependant cela ne
signifie pas qu'ils adhèrent au mécanisme d'administrateurs
indépendants de l'article 524 : X. Dieux « ...à supposer que
l'on trouve la disposition (art. 524) pertinente », art. cit., K. Geens,
« ...la recherche de trois administrateurs répondant aux
critères d'indépendance (de l'article 524) est
considérée comme une tâche impossible », art. cit.
81 Voy. l'affaire Tractebel-Société
Générale de Belgique dans les arrêts précités
et notamment Bruxelles, 19 janvier 2001 et Cass., 17 octobre 2002 : «
Attendu que, dès lors qu'ils ont considéré que les
demandeurs " ne peuvent se prévaloir d'aucune apparence de droit
Condition concernant les personnes concernées Il doit
s'agir du conseil d'administration qui conclut une opération
dans le cadre de ses compétences. La conclusion d'un contrat entre dans
le champ de compétences du conseil d'administration82 .
Condition relative à la nature de
l'intérêt L'intérêt doit être patrimonial
et non simplement moral83. L'intérêt patrimonial se
définit comme un avantage (mobilier ou immobilier) susceptible de faire
l'objet d'une estimation économique précise et objective.
L'intérêt de Monsieur Fog est nettement patrimonial : celui
d'enrichir la société Bioplus (dont il est actionnaire
majoritaire et administrateur) de la clientèle de la
société Biotec.
Condition relative aux caractéristiques de
l'intérêt L'intérêt doit être
opposé à l'intérêt social. Nous vous
renvoyons à la partie consacrée à l'examen de cette
notion. Une juridiction a considéré que « l'essence de
l'intérêt de la société (est) sa continuité
»84. Un intérêt compatible ou
parallèle à l'intérêt social ne pourrait
donner lieu à l'application du mécanisme de l'article 523 CS.
L'intérêt de Monsieur Fog est opposé à
l'intérêt de la société Biotec tel que défini
par un principe de continuité. L'intérêt de
l'administrateur doit être personnel et peut être direct ou
indirect. En l'occurrence, il s'agit d'un intérêt personnel
indirect85 .
Condition relative à la nature de l'acte L'acte
doit être une décision ou une opération
relevant du conseil d'administration. Selon une doctrine, sont
visées les hypothèses dans lesquelles le conseil d'administration
adopte une conclusion définitive sur un sujet86. Il
s'agit donc de dissocier la décision du CA de soumettre la conclusion du
contrat à un vote par l'AG et celle par laquelle le CA conclut le
contrat avec la société Bioplus. Seule cette deuxième
hypothèse est susceptible d'être soumise à l'article
52387 .
suffisante quant à l'application, en l'espèce, des
articles 60 et 60bis des lois coordonnées sur les sociétés
commerciales ", les juges d'appel n'étaient pas tenus de répondre
plus amplement aux conclusions des demandeurs sur les notions
d'intérêt opposé de nature patrimoniale de certains
administrateurs et d'avantage patrimonial direct ou indirect de certains
actionnaires au sens de ces dispositions, Qu'il découle de la
considération précitée que la Cour ne doit pas poser
à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle sur la
compatibilité de cet article 60 avec les articles 10 et 11 de la
Constitution
82 Art. 522 § 1 CS 83 Bruxelles, 19
janvier 2001, op. cit., « que ce conflit d'intérêt
n'existe qu'au sujet d'une décision ou d'une opération relevant
de la compétence du conseil d'administration qui fait naître un
droit ou une obligation dans le chef de la société ayant un
impact sur la situation patrimoniale d'un administrateur en écartant
désormais toute référence à un intérêt
moral ou fonctionnel »
84 Comm. Liège, 17 octobre 2003,
R.D.C., 2005/4, p. 43785 Il est indirect dès lors
que l'administrateur (Monsieur Fog) contracte au nom et pour le compte de la
société Biotec avec une personne morale à laquelle il est
lié (in specie, la société Bioplus) ; S. Watillon, A.P.
André-Dumont, J.P. Renard, le guide pratique du conseil
d'administration et de l'assemblée générale, 2000,
éd. De la chambre de commerce et d'industrie, p. 100, n°245 ;
contra Cass.17 octobre 2002 ayant conclu au rejet du pourvoi et au rejet
de la demande de question préjudicielle des demandeurs basée sur
la violation des articles 10 et 11 de la Constitution : « cinquième
branche : A supposer qu'il faille interpréter l'article 60 des lois
coordonnées sur les sociétés commerciales, tel qu'il
résulte de la loi du 13 avril 1995, en ce sens qu'il n'interdit pas
à un administrateur de prendre part à la
délibération du conseil d'administration en vue de rendre l'avis
prévu par les articles 14 et 15 de l'arrêté royal du 8
novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition lorsque cet
administrateur est, en raison d'une autre fonction, chargé des
intérêts de l'offrant, cette disposition viole les articles 10 et
11 de la Constitution puisqu'elle soumet à un traitement
différent, sans justification raisonnable, les sociétés et
leurs actionnaires dont un des administrateurs participe à une
décision à laquelle il a un intérêt patrimonial
personnel et les sociétés et leurs actionnaires dont un des
administrateurs, également chargé d'un mandat dans une autre
société, participe à une décision à laquelle
cette autre société a un intérêt patrimonial
opposé ; dans les deux cas, la société et ses actionnaires
subissent un préjudice (violation des articles 10 et 11 de la
Constitution). » 86 S. Watillon, A.P. André-Dumont, J.P.
Renard, le guide pratique du conseil d'administration et de
l'assemblée générale, 2000, éd. De la chambre
de commerce et d'industrie, p.101 ; Bruxelles, 19 janvier 2001,
R.D.C., 2001, p. 108 : « opération qui fait naître
une obligation dans le chef de la société ayant un impact sur la
situation d'un adminsitrateur en écartant toute référence
à un intérêt moral ou fonctionnel » 87
Cette condition d'application semble donner lieu à discussion,
voy. C. Croes, « noot, het openbaar ruilbod op tractebel : de
rechtspraktijk herademt », T.R.V., 2001, p.109 n°9 :
krachtens een eerste strekking in de rechtsleer is art. 523 immers toepasselijk
op alle beslissingen die behoren tot de bevoegdheid van de raad van bestuur
(...) Een tweede, even belangrijke strekking acht de belangenconflictregeling
daartentegen niet toepasselijk omdat, huns inziens, enkel beslissingen en
verrichtingen die leiden tot een
3) Exceptions : les groupes de sociétés et les
opérations habituelles88 Ces deux hypothèses ne
rentrent pas dans le cadre de ce cas : il ne s'agit pas d'un groupe de
sociétés ni d'opérations habituelles (sous réserve
de plus amples informations quant à l'objet social de la
société Biotec) 89. Il est certain que cette seconde
hypothèse sera la défense de Monsieur Fog face au non-respect de
l'article 523CS.
4) Mécanisme prévu par l'article 523 CS
L'administrateur doit communiquer l'existence du conflit aux autres
administrateurs avant que le conseil ne délibère. Le cas
échéant, il doit aussi communiquer cette information aux
commissaires. Cependant aucun devoir d'abstention au vote et à la
délibération n'est prévu pour la société
« fermée »90. Cette information doit
apparaître dans le procès-verbal de la réunion du CA.
Doivent également être mentionnées dans celui-ci une
description de l'acte en question (ici, cession de clientèle), une
justification de la décision prise (motifs financiers et
d'opportunité) et les conséquences patrimoniales de
l'opération pour la société Biotec. Une copie
intégrale du procès-verbal sera communiquée aux
actionnaires via le rapport de gestion ou, en cas de dispense d'en
établir un, dans une pièce déposée en même
temps que les comptes annuels. Aucune information ne nous a été
communiquée à ce propos : il semble que la conclusion de l'acte
n'ait pas encore eu lieu. La question est de savoir si le vote favorable de
l'AG concernant ce contrat pourrait être dispensateur de l'application de
ce mécanisme. Cependant au cas où la nullité de la
décision de l'AG est obtenue91, le vote ne pourra plus
couvrir le non-respect du mécanisme de l'article 523 CS.
5) La sanction -La nullité de la décision prise en
violation de ces règles pourra être obtenue par la
société si l'autre partie contractante a ou doit avoir
connaissance de cette violation. -L'actionnariat minoritaire peut agir contre
les administrateurs pour le compte de la société sur base de
l'article 562 CS et, pour leur compte, sur base de 528-529 CS. Nous examinerons
la possibilité de mettre en oeuvre ces actions dans la section II.
recht/verplichting in hoofde van de vennootschap onder art. 523
vallen », l'auteur se range parmi cette dernière tendance ; voy.
Cass. 17 octobre 2002, les griefs des demandeurs en cassation notamment la
troisième branche
88 art. 523 §389 le caractère
habituel est une question de fait, sera habituelle une opération qui
entre « dans le cadre de l'activité spécifique de la
société (acquisition d'un terrain par une société
immobilière) en tenant compte de l'objet social, de sa taille et de ses
coutumes », voy.
K. Geens, art. cit., p . 11 90 c'est-à-dire
celle qui n'a pas ou ne fait pas appel public à
l'épargne. 91 Voy. supra concernant la nullité de
la décision de l'AG.
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