II. Le conflit d'intérêts-l'abus de
majorité-la violation des règles de fonctionnement
a. Présentation
générale 1) Définition
En droit, le conflit d'intérêts se
caractérise par une opposition entre les intérêts
personnels d'une personne et d'autres intérêts qu'elle doit
défendre lors d'opérations déterminées29
. Ainsi la « dualité » d'intérêt est
insuffisante à produire une situation qualifiée juridiquement de
« conflit »30. De même, l'opposition doit
résider entre un intérêt personnel d'une personne et un
intérêt d'autrui que cette même personne a l'obligation
active de défendre31 . Ainsi, la rencontre de
l'intérêt de Monsieur Fog, en tant qu'actionnaire et
administrateur, et du vôtre, en tant qu'actionnaires minoritaires,
donne-t-elle lieu à une situation potentiellement
conflictuelle32 .
24 Comm. Hasselt, 19 décembre 1997
(réf.), T.R.V., 1998, p. 536 ; Comm.Turnhout, 17 avril 1998,
T.R.V., 1998, p. 539 25 P. Hainaut-Hamende et G. Raucq,
op. cit., p.614, pour les conditions d'annulation des décisions
de l'AG nous vous renvoyons infra et à l'article 64 1° et 2°
26 P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, op. cit., p.614 ; Cass,
4 mars 1988, Pas.1988 I, p. 80227 E. Pottier, « Abus
de majorité, de minorité ou d'égalité, conditions,
recours, sanction », in le séminaire les conflits
d'actionnaires, éd. Vanham Vanham, 2004, p.34 ; S. Watillon, A.P.
André-Dumont, J.P. Renard, le guide pratique du conseil
d'administration et de l'assemblée générale, 2000,
éd. De la chambre de commerce et d'industrie, p. 147 n°391
28 Voy. la section II29 V. Simonart, «
les conflits d'intérêts au sein de l'assemblée
générale de la société anonyme en droit
comparé » in Les conflits d'intérêts,
Bruxelles, Bruylant, 1997, p.19530 P.A.Foriers, « les
administrateurs et la gestion des conflits d'intérêts »,
Séminaire Droits, devoirs et responsabilités des
administrateurs de sociétés, 2001, organisateur Vanham &
Vanham, p. 1 ; voy. modification législative de l'article 60 LCSC en
1991, devenu l'article 523 CS 31 V. Simonart, op. cit., p. 196 :
sinon il s'agit d'une application de la théorie de l'abus de droit,
impliquant une obligation passive32 sous réserve des
approfondissements ci-après.
2) Distinction selon l'organe concerné
Le conflit d'intérêt peut apparaître dans
plusieurs organes de la société anonyme : nous examinerons cette
situation au sein de l'assemblée générale ainsi qu'au sein
du conseil d'administration dès lors que notre affaire se rapporte
à un vote au sein de l'AG ainsi qu'à la conclusion probable d'un
contrat par le CA33 avec la société Bioplus.
3) Fondements juridiques
Le fondement juridique du conflit d'intérêts et son
règlement diffèrent selon l'organe au sein duquel il surgit :
L'article 523 et 524 CS concernent cette situation au sein du conseil
d'administration alors qu'au sein de l'assemblée générale,
le législateur semble avoir laissé cette situation s'analyser au
regard du droit commun, plus spécialement par un principe
général du droit34 . Il ne peut cependant pas primer
sur l'application de la loi : la nullité d'une décision
générale prévue à l'article 64 du C.S. ne peut
être demandée sur cette base35.Un autre principe, le
principe de loyauté, avait été consacré par une
juridiction36 mais la Cour de cassation a définitivement
rejeté ce principe en tant que principe général du
droit37 .
b. Le conflit d'intérêts au sein de
l'Assemblée Générale
1) L'existence d'un conflit d'intérêts
L'examen de cette question concernera tant le vote sur
le contrat de cession de clientèle avec la S.A. Bioplus que le
vote concernant le renouvellement du mandat de Monsieur Fog38
.
2) Absence de réglementation-solutions
33 V. Simonart, « les conflits
d'intérêts au sein de l'assemblée générale de
la société anonyme en droit comparé » in Les
conflits d'intérêts, Bruxelles, Bruylant, 1997,
p.19534 Cass, 18 mars 2004, www.cass.be :« Attendu qu'il
existe un principe général du droit suivant lequel quiconque
accomplit des actes juridiques pour le compte d'un tiers ne peut intervenir en
qualité de partie adverse de ce tiers ; que l'acte ainsi accompli est
nul par nature ». 35 Ce principe ne peut s'appliquer qu'en cas
de silence de la loi : voy. Bruxelles, 19 janvier 2001, éd. Du Jeune
barreau de Bruxelles 2003, p.173 soulignant le caractère subsidiaire du
principe général du droit : « encore resterait-il que ce
recours à un tel principe général du droit ne pourrait
faire obstacle à l'application de la loi, laquelle doit être
privilégiée chaque fois qu'elle règle concrètement
la situation à apprécier en l'espèce »; V.I., obs
sous cet arrêt dans J.T., 2001, p.108 ; C. Croes, « het
openbaar ruilbod op tractebel : de rechtspratijk herademt », T.R.V.,
p. 110 : « zelfs al sou worden aanvaard dat een algemeen
rechtsbeginsel inzake belangenconflicten bestaat, dit beginsel in casu geen
toepassing kan vinden. Een algemaeen rechtsbeginsel kan immers de toepassing
van de wet niet verhinderen : indien de wet een welbepaalde situatie specifiek
regelt, dient deze wettelijke regeling voorrang te krijgen, ook al zou ze
afwijken van een algemeen rechtsbeginsel »36 Ordonnance de la
Présidente du Tribunal de commerce, 26 octobre 1999, Journ.
Procès n°380, p.20, plus spécialement p. 21 : la
Présidente a, en l'espèce, considéré que
l'inapplication des anciens articles 60 et 60 bis des LCSC ( 523 et 524 CS)
n'empêchait pas de recourir au principe général du droit de
loyauté dont les articles suscités n'étaient qu'une
illustration particulière. Cette ordonnance a été
réformée en appel ( Bruxelles, 19 janvier 2001, R.P.S.,
2001, p. 93,) et le pourvoi contre cette réformation rejeté
(Cass, 17 octobre 2002, www.cass.be). Voy. commentaires de la jurisprudence de
la Présidente du tribunal de commerce : M. Caluwaerts, « les
conflits d'intérêts et droit des groupes » in
dernières évolutions en droit des
sociétés, éd. Du Jeune barreau de Bruxelles 2003, p.
173 ; pro : B. Demonty, « la réglementation des conflits
d'intérêts complétée par un principe de
loyauté en droit des sociétés », DAOR, 2000,
p. 256 et suiv. ; Ch. Brüls, « OPA, conflits d'intérêts
et Corporate governance », JLMB, 1999, p. 1793 et suiv. ; contra
: H. De Wulf, « Bestuurders tussen hamer en aambeeld bij een groepsintern
overnamebod », Rev. Banque, 1999, p.468 et suiv. ; C. Croes, « het
openbaar ruilbod op tractebel : de rechtspratijk herademt », T.R.V.,
p. 110 n°12. La doctrine francophone avait accueilli favorablement
cette jurisprudence alors que les auteurs flamands l'avaient fortement
critiquée.37 Cass, 5 mars 2002 , WWW.cass.be: «
Attendu que le principe de loyauté n'est pas un principe
général du droit » 38 V. Simonart, op. cit., p.
197, 223 et 224
En l'absence de toute intervention législative concernant
le conflit d'intérêts au sein de l'A.G.39,
l'actionnaire mécontent peut recourir à plusieurs solutions :-au
plan individuel, analyser les droits de chaque actionnaire en des
droits-fonctions etcréer ainsi une obligation active de
défendre un intérêt autre que le sien. (3)-au niveau de
l'assemblée, se prévaloir de l'obligation de l'A.G. de respecter
l'intérêtsocial ou le principe de bonne foi, ce
qui nous donnera l'occasion d'examiner lasanction de l'abus de
majorité40.(4) D'autres moyens sont donnés par
la loi pour obtenir la nullité de la décision de l'AG
(5): -prouver la violation de règles de fonctionnement et une
intention frauduleuse, -prouver une irrégularité de formes de
la décision, irrégularité qui a influencée
celle-ci.
3) Les droits des actionnaires analysés en des
droits-fonctions41
Le droit de l'actionnaire serait un droit-fonction en ce sens
qu'il doit l'exercer pour l'intérêt commun42. La
société, analysée en tant que contrat ou en tant
qu'institution43, ne donne pas naissance à des droits
absolus. Une partie de la doctrine considère que certaines règles
font obstacle à ce que ce droit soit reconnu en tant que droit-fonction
: l'actionnaire n'a aucune obligation de voter à l'assemblée
générale, ni même d'y assister. Le fait que le droit puisse
ne pas être exercé mettrait à néant l'analyse de ce
droit en un droit-fonction44 . Une autre doctrine pense que la
consécration de la théorie de l'abus de majorité a mis un
terme à l'aspect prérogatif du droit de vote des
actionnaires45 . Quoi qu'il en soit, la doctrine
majoritaire46 semble considérer qu'en tous les cas, la
sanction n'apparaît pas au niveau individuel (exclusion, obligation
d'abstention) mais au
39 P. Ernst, Belangenconflicten in naamloze
vennootschappen, éd. Intersentia Rechtswetenschappen, 1997, p.610
et 611 ; pour l'évolution historique, voy. P. Ersnt, op. cit, p. 615
à 618 ; V. Simonart, op. cit., p. 233 et plus spécialement p. 234
: « lors des travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995, le
législateur a confirmé que les décisions prises par l'A.G.
ne sont pas visées par l'article 60 LCSC (actuellement 523 CS). » ;
il en est de même en droit néerlandais, par contre, en droit
français, le législateur a réglementé cette
situation et notamment celle qui nous occupe aux articles 103 et 145 d'une loi
du 24 juillet 1966, en consacrant l'exclusion de l'actionnaire-administrateur
dans le vote d'appobation d'un contrat conclu dans lequel il est
personnellement intéressé in D. Schmidt, les conflits
d'intérêts dans la société anonyme, éd.
Joly, 2004, p. 47 et 93 à 96. ; Pour l'examen de ce cas, nous
considérons que les statuts ne prévoient aucune interdiction de
vote en cas de conflit d'intérêts, pour cette possibilité,
voy. P. Ernst, op. cit, p. 61840article 64 3°CS ; M. Tison,
art. cit., p.703, n°26 : cet auteur examine l'existence d'un principe
d'égalité de traitement au sein des sociétés et
conclut que c'est surtout à travers le principe de bonne foi et d'abus
de majorité que la sanction de nullité se manifeste. Le principe
d'égalité existant en droit public ne se retrouve donc pas en des
termes similaires au sein d'une société
privée.41 P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, tome 3,
p. 735 ; le droit-fonction est accordé par le législateur dans un
but déterminé. L'exercice de ce droit dans une autre
finalité est constitutif d'abus. Ce type de droit s'oppose au droit
discrétionnaire, absolu et, par conséquent, non susceptible
d'abus42 P. Coppens, l'abus de majorité dans les
sociétés anonymes, 1947, p.83, n°56 : « (...)
comme un procédé de gestion de la société »
43 L'analyse de droit de l'actionnaire en tant que droit-fonction
procède, selon certains, d'une conception institutionnelle de la
société :
V. Simonart, op. cit, p. 215, Cependant la Cour de cassation a
depuis longtemps consacré le principe d'abus de droit en matière
contractuelle : Cass., 19 septembre 1983, www.cass.be, voy. A. François,
vennootschapsbelang, éd. Intersentia Rechtswetenschappen, 1999,
Antwerpen, p.4344 V. Simonart, op. cit., p. 21645 X.
Dieux, « Nouvelles observations sur l'abus de majorité ou de
minorité dans les personnes morales fonctionnant selon le principe
majoritaire », R.G.D.C., 1998, p.19 n°10 ; J.F.Goffin et
E.Viatour, « l'assemblée générale des actionnaires ou
associés dans les SA, SPRL, SCRL », in Droit des
sociétés commerciales, 2ième éd.,
2002, éd. Kluwer,p.517. Pour cette théorie, voy.
infra.46 P. Ernst, Belangenconflicten in naamloze
vennootschappen, éd. Intersentia Rechtswetenschappen, 1997, p. 599
et suiv. : « wordt in de Belgische rechtsleer overwegend aangenomen dat
dit stemrecht beantwoordt aan een dubbele finaliteit : « droit fonction
». Enerzijds es het stemrecht een essentieel prerogatief van de
aandelhouder, dat hem toelaat waakzaam te zijn ten aanzien van de aan zijn
inbreng gekoppelde belegging, maar dat hij naar eigen goeddunken mag uitoefenen
in de door hem gewenste zin of niet uitoefenen. Anderzijds is het stemrecht ook
functioneel van aard : de stem draagt bij tot de besluitvorming en dus de
werking van de vennootschap ; de meerderheid der stemmen bepaald ook het lot
van de aandelen van de tegenstemmende minderheid, van de aandeelhouders die
zich onthouden en van de afwezigen » et plus loin, p. 619, n°720 :
« de overwegende optvatting over de aard van de stemrecht, ziet het
stemrecht in de eerste plaats als een prerogatief dat de aandeelhouder toelaat
om zijn eigen belangen te
niveau de l'assemblée générale
elle-même. En effet, aucune interdiction de vote en cas de conflit n'a
été consacrée par la loi et les recommandations de la
Commission bancaire, financières et des assurances n'a pas eu
d'impact sur les sociétés privées47 .Ainsi,
à ce stade, Monsieur Fog, en tant qu'actionnaire de la
société Biotec, peut exercerson droit de vote et n'a aucune
obligation active vis-à-vis du reste de l'actionnariat48
.
4) Le détournement de pouvoir :l'abus de majorité
au sein de l'assemblée générale-application
particulière de la théorie de l'abus de droit
· Définition générale
Une autre solution est de prouver l'abus de majorité dans
le processus de décision de l'assemblée, tant pour le vote de
renouvellement du mandat que pour le vote à propos du contrat de cession
de clientèle. En effet, en pratique, Monsieur Fog pourrait se retrouver
en position dominante à l'assemblée par le fait des procurations
ou par l'absentéisme des actionnaires49 .
La théorie de l'abus de majorité50
permet de faire prononcer la nullité des décisions de
l'assemblée générale qui sont contraires à
l'intérêt social et qui portent atteinte aux droits des autres
actionnaires51. Le critère légal est le
détournement de pouvoirs52·. Cette
théorie peut sembler entrer en contradiction avec le principe
fondamental des sociétés anonymes qu'est la loi
majoritaire53. Cependant, quelle que soit la dénomination
donnée au droit de vote de l'actionnaire, il existe une obligation
passive qui consiste à ne pas porter atteinte à
l'intérêt de la société54 .
behartigen en zijn mening door te drukken », contra : voy.
X. Dieux, « Nouvelles observations sur l'abus de majorité ou de
minorité dans les personnes morales fonctionnant selon le principe
majoritaire », R.G.D.C., 1998, p.19 n°10 ; J.F.Goffin et
E.Viatour, « l'assemblée générale des actionnaires ou
associés dans les SA, SPRL, SCRL », in Droit des
sociétés commerciales, 2ième éd.,
2002, éd. Kluwer,p.517.47 P. Ernst, op. cit, p. 618 : «
De commissie suggereerde dat de personeelsleden die reeds aandeelhouder waren
zich op de algemene vergadering van de stemming zouden onthouden, om elk
vermoeden van belangenconflicten te vermijden ».48 V.Simonart,
op.cit, p.235 ; tant au niveau du vote concernant le renouvellement de son
mandat et de la décharge des administrateurs que celui au sujet du
contrat de cession de clientèle ; M. Tison, art. cit., p. 703, n°27
: seule la bonne foi peut limiter ce droit de vote et créer une
obligation de prendre en compte les intérêts des autres
actionnaires ; Rem : A ce stade, nous pouvons comparer cette situation à
la situation de la « société belge » : le cumul d'un
mandat en tant que ministre et celui en tant que parlementaire est
prohibé, art. 50 Const. Et art. 23 de la loi spéciale de
réformes institutionnelles du 8 août 198049 voy. les
remarques du début de cette consultation au sujet des opérations
concernées50 nous ne parlerons pas des deux pendants de cette
théorie qui sanctionnent l'abus de minorité et
d'égalité51 V. Simonart, art. cit., p.
20552 E. Pottier, « abus de majorité, de minorité
ou d'égalité, conditions, recours, sanction » in le
séminaire les conflits d'actionnaires, Vanham & vanham
2004, p. 14 : le détournement de pouvoirs vise une
irrégularité quant au but d'une décision alors qu'un
excès de pouvoir vise la violation de la loi ou des statuts par l'objet
d'une décision ; V Simonart, art. cit., p.206 : ces concepts sont issus
du droit administratif mais ne peuvent être tranposés tels quels
en droit privé ; Bruxelles, 18 décembre 1999, www.juridat.be :
« que constitue au sens de cette disposition un excès de pouvoir
non seulement toute irrrégularité d'une décision de
l'assemblée générale quant à son objet à la
suite de la violation de la loi ou de ses statuts mais également celle
qui est prise en vue de porter atteinte aux droits acquis par des tiers ou des
associés »53 Pour un historique de cette loi, voy. E.
Pottier, « Abus de majorité, de minorité ou
d'égalité, conditions, recours, sanction », in le
séminaire les conflits d'actionnaires, éd. Vanham
Vanham, 2004 ;P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, « les sociétés
commerciales, examen de jurisprudence », R.C.J.B.,1993 p. 809 ;
P. De Wolf, « l'exercice du pouvoir et le fonctionnement de la SA :
régime de liberté (moins) surveillée, J.T., 2003,
p. 593 n°1754 S. Watillon, A.P. André-Dumont, J.P.
Renard, le guide pratique du conseil d'administration et de
l'assemblée générale, 2000, éd. De la chambre
de commerce et d'industrie, p. 170 n°458 ; cette théorie est
consacrée en droit des sociétés par l'article 64 C.S.
3° : Est frappée de nullite, la décision prise par une
assemblée générale 3° lorsque la décision
prise est entachée de tout autre excès de pouvoir ou de
détournement de pouvoir ; pour une comparaison entre l'application de
l'abus de droit en droit civil et en droit des sociétés, nous
vous renvoyons à l'arrêt de principe de la Cour de cassation
concernant la théorie de l'abus de droit du 10 septembre 1971,
www.cass.be, note sous cassation : P. Van Ommeslaghe, R.C.J.B.,
1976, p.303 et suiv. ; la doctrine et la jurisprudence semble unanime à
considérer que l'abus de droit est le fondement de l'abus de
majorité, voy. E. Pottier, « Abus de majorité, de
minorité ou
· Conditions d'application de la sanction du
détournement de pouvoirs
Critère d'application consistant en la prise en
considération d'un intérêt étranger sacrifiant
l'intérêt social dans la prise de décision.
L'ambivalence du droit de vote des actionnaires est
l'élément qui devra nécessairement tempérer
l'action du juge55. Quoi qu'il en soit de la nature du droit de vote
de l'actionnaire, il doit également être exercé de
manière conforme à l'intérêt social.
Cette notion est controversée en doctrine56et en
jurisprudence57. Un contenu pluriel lui est reconnu58.
L'intérêt social est « un going concern dans une perspective
de continuité et de rentabilité à long terme
»59. En dehors de la poursuite de ses finalités, les
organes sont dépourvus de pouvoir et leurs décisions peuvent donc
être sanctionnées60. Il est plus aisé de donner
un contenu négatif à ce concept61. Ainsi, pour
l'examen de notre affaire, -l'intérêt de la société
Biotec ne rencontre pas l'intérêt de la S.A. Bioplus
-l'intérêt de la société Biotec ne rencontre pas
l'intérêt de l'actionnaire Monsieur Fog62 .
? La conclusion d'un contrat de cession de clientèle
constitue un actif non négligeable dans le fonctionnement d'une
société63. Le bon sens laisse penser que la cession de
clientèle est dommageable pour la société, sous
réserve d'éléments nouveaux64, elle le sera
d'autant plus si la contrepartie est exceptionnellement petite65 .
Quant à
d'égalité, conditions, recours, sanction », in
le séminaire les conflits d'actionnaires, éd. Vanham
Vanham, 2004 , p.13 ; X. Dieux, « Nouvelles observations sur l'abus de
majorité ou de minorité dans les personnes morales fonctionnant
selon le principe majoritaire », R.G.D.C., 1998, p. 11, n°3
55 E. Pottier, art. cit. , p. 16 n°23 ; Pour certains auteurs
la distinction entre la nature du droit de vote de l'actionnaire et celle du
droit de vote de l'administrateur doit être abandonnée :X. Dieux,
« Nouvelles observations sur l'abus de majorité ou de
minorité dans les personnes morales fonctionnant selon le principe
majoritaire », R.G.D.C., 1998, p.19 n°10 ; J.F.Goffin et
E.Viatour, « l'assemblée générale des actionnaires ou
associés dans les SA, SPRL, SCRL », in Droit des
sociétés commerciales, 2ième éd.,
2002, éd. Kluwer,p.517.56 Voy. A. François,
vennootschapsbelang, éd. Intersentia Rechtswetenschappen, 1999,
Antwerpen ; X. Dieux, « Nouvelles observations sur l'abus de
majorité ou de minorité dans les personnes morales fonctionnant
selon le principe majoritaire », R.G.D.C., 1998, p.15, n°7 ;
J.M. Nelissen Grade, « de la validité et de l'exécution de
la convention de vote dans les sociétés commerciales »,
R.C.J.B., 1991, p. 230 ; nous n'entrerons pas dans la description de
ces différends entre la conception « patrimoniale » et la
conception « entrepreneuriale » de l'intérêt
social.57 Comm. Bxl, 22 juin1992, R.P.S., 1993, p. 36 ;
Bruxelles, 20 décembre 1995, T.R.V., 1996, p. 54 ; voy.
cependant E. Pottiers, art. cit., p. 19 qui considére que, dès
lors que le juge ne sanctionne que les décisions « manifestement
» contraires à l'intérêt social, la jurisprudence
n'éprouve pas trop de difficultés à sanctionner les abus
au regard de ce critère58 X. Dieux, « La
société anonyme comme « modèle » et la
société cotée comme « prototype » », in
Liber Amicorum Lucien Simont, éd. Bruylant, 2002, p. 628
n°859 Une définition de l'intérêt social
est l'intérêt commun des associés, voy. X. Dieux,
art. cit., p.11 ; contra : Comm. Liége, 17 octobre 2003, R.D.C.,
2005/4, p. 437 : « l'intérêt social ne peut se confondre
avec l'intérêt individuel ou commun des actionnaires. En tant
qu'être doté de la personnalité juridique, la
société a un intérêt propre qui peut d'ailleurs
être distinct, voire opposé à celui de ses actionnaires
» ; T. Tilquin et V. Simonart, Traités des
sociétés, tome I, p. 812, n°1082 et p. 816-817, n°
1087-108860 X. Dieux, « nouvelles observations... », art.
cit., p. 10 n°2 et 3 : la sanction est la nullité de la
décision en tant que forme de réparation en nature ; J.M.
Nelissen Grade, art. cit., p.231 n°3161 V. Simonart, art. cit.,
p. 20562 J.M. Nelissen Grade, art. cit., p. 233 et 234 :
l'intérêt de la société ne se confond pas avec celui
des actionnaires car la société est une entité
indépendante dont l'intérêt est la continuité de
l'entreprise.63 voy. Mons, 5 février 1987, J.T., 1988, p. 172
: « La clientèle est un élément de
l'universalité que constitue un fonds de commerce. (...est) un
élément d'actifs »
64 Par exemple la cessation future de telle
activité, ...voy. plus loin les motifs d'opportunité
économique
65 E. Pottier, art. cit. , p.32
l'existence in concreto d'un abus66,
l'appréciation du juge est souveraine. Il en
dépendra de la conception personnelle du juge quant
à la notion d'intérêt social67 .
? En ce qui concerne le renouvellement des mandats :
l'actionnaire qui est également administrateur peut participer au vote
de sa décharge ainsi qu'au vote de renouvellement de son
mandat68. Monsieur Fog peut donc voter sa décharge et le
renouvellement de son mandat. Cette situation montre les limites de
l'application du détournement de pouvoirs : on ne peut reprocher
à Monsieur Fog de voter « pour son intérêt personnel
» dès lors qu'aucune abstention n'est exigée.
Second critère d'application : le contrôle
marginale (marginale toetsing) du juge pour apprécier la
licéité de la décision litigieuse69 .
La société commerciale jouit d'une autonomie que
les Cours et Tribunaux se gardent d'amoindrir. Ainsi, l'assemblée
générale, souveraine en son Etat, peut-elle, de manière
indépendante, apprécier l'opportunité d'une
opération, que ce soit en interne (renouvellement d'un mandat) ou en
externe (conclusion d'un contrat)70. Dépassera manifestement
cette marge d'appréciation la décision qu'aucun actionnaire
normalement prudent et diligent n'aurait raisonnablement prise71.
Cette appréciation marginale tend à réduire le nombre de
décisions annulées sur base de l'abus de majorité72
. Les contours de ce critère ne sont pas aisés à
définir. Le caractère manifeste de l'abus pourra être
dénié par l'actionnariat majoritaire sur base de motifs
d'opportunité (économique)73 .
5) L'irrégularité de formes ayant eu une influence
sur la décision74 et la violation des règles de
fonctionnement avec une intention frauduleuse75
66 Comm. Liège (réf), 3 mai 1996,
J.L.M.B., p. 12, III.2.1. : « l'abus de majorité implique
que la majorité ait sacrifié les intérêts de la
société aux siens propres ou à ceux de tiers, et que la
décision ait causé un préjudice à la
société ou ait été à tout le moins
susceptible d'en causer un » 67 Comm. Liège, 17 octobre
2003, op. cit., p. 438: « la violation de l'intérêt social
n'est pas prise en considération sur le plan juridique comme telle pour
justifier l'annulation d'une décision ; la violation de
l'intérêt social apparaît comme critère de
reconnaissance d'un abus de droit par les actionnaires ou les administrateurs,
abus qui justifie l'annulation. »68 voy. supra pour l'absence
d'interdiction de cumul de ces deux fonctions69 E. Pottiers, art.
cit., p. 20 ; Comm. (réf), 3 mai 1996, J.L.M.B., 1996,
p.81270 Comm. Liège, 17 octobre 2003, R.D.C.,
2005/4, p. 437 : « le juge ne peut s'immiscer dans la gestion de la
société et porter une appréciation quant à
l'opportunité des décisions prises par les organes sociaux. Seul
un contrôle marginal peut être opéré par le juge
» ; E. Pottiers, art. cit., p.20 et 21 ; X.Dieux, « nouvelles
observations.... », art.cit., p. 13 ; V. Simonart, art.Cit., p. 204 ;
remarque : de même le principe de la séparation des pouvoirs ne
permet pas au juge de l'ordre judiciaire de sanctionner une décision que
l'administration publique a prise en opportunité. Cette comparaison
n'est pas raison : l'administration publique est soumise à un
contrôle du juge administratif. De même, le législateur peut
voir une de ses oeuvres sanctionnées par la Cour d'arbitrage au regard
de principes jugés fondamentaux.71 Nous retrouvons ici le
critère du bon père de famille et de la bonne foi ; E. Pottiers,
art. cit., p.21 n°38 ; Sur le caractère manifeste : Comm.
Liège (réf), 3 mai 1996, op. cit. ; ainsi la simple
mésentente entre associés et des divergences d'opinions ne
peuvent suffire, Mons, 12 mars 1996, R.P.S., 1996, p. 304 et Comm.
Courtrai (réf), T.V.R., 1999, p. 32672 E. Pottiers,
art. cit., p.21 n°38 ; X. Dieux, « nouvelles observations.. ; »,
p.13 ; Liège, 9 septembre 2004, J.T., 2005 n°6167, p.
85.73 Cass., 17 mai 2002, www.juridat.be : » Dans
l'appréciation des intérêts en présence le juge doit
tenir compte de toutes les circonstances de la cause» ; Comm.
Liège, 3 mai 1996, op.cit., p.813 : pour le
référé, motifs qui n'apparaissent pas prima facie
sérieusement contestables ; Comm. Mons, 26 janvier 2000,
J.L.M.B., 2001, p.836 concernant des ventes : « il n'est, en
effet, pas normal que le Conseil d'administration ait entamé la vente de
tous les actifs immobiliers de la société en dehors de tout
contexte de liquidation » ; nous ne parlons pas d'une condition
anciennement appliquée, l'intention de nuire, que la loi ne reprend pas
et que les Cours et Tribunaux appliquaient contra legem. Cette condition a
été abandonnée ces dernières années, voy. X.
Dieux, « nouvelles observations... », art. cit., p. 10 n°2 ; E.
Pottiers, art. cit., p. 14.74 art. 64 1°CS, nous vous renvoyons
à la partie concernant les convocations.75 Art. 64 CS : Est
frappée de nullite, la décision prise par une assemblée
générale :2° en cas de violation des règles relatives
à son fonctionnement ou en cas de délibération sur une
question étrangère à l'ordre du jour lorsqu'il y a
intention frauduleuse; par exemple le non-respect des règles statutaires
concernant les procurations
La loi permet d'obtenir la nullité d'une décision
de l'assemblée générale prise en violation des
règles de fonctionnement ou lors de vices de forme. Il faut prouver soit
une intention frauduleuse76 soit que l'irrégularité a
eu une influence sur la décision prise77. Si les convocations
à l'AG de Biotec se révèlent irrégulières,
nous opterons pour la deuxième possibilité : prouver que cette
irrégularité a entraîné la position dominante de
Monsieur Fog au sein de l'AG et que celle-ci a abouti à la
décision litigieuse : que, sans cette position dominante, la
décision n'aurait pas été la même.
Les recours judiciaires d'annulation seront examinés dans
la section II.
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