Section II - Le contentieux de la
responsabilité délictuelle
195. Le recours à l'article 1382 du Code civil en
droit de la famille n'est pas nouveau. Pour sanctionner une carence parentale,
certains juges préfèrent en effet recourir au droit commun de la
responsabilité civile. Une reconfiguration du fonctionnement de
l'autorité parentale paraît souvent être une sanction
disproportionnée. Comme le souligne très justement un
auteur118, la responsabilité civile pour faute permet aussi
de « moraliser » les relations familiales et, notamment, les
relations entre parents. Une telle démarche se veut conforme à
l'objectif de responsabilisation du couple parental, souhaité par le
législateur.
196. Mais cette démarche n'est pas pour autant
systématique. Le juge refuse de recourir à l'article 1382 dans le
cas de la présomption d'accord de l'article 372-2 du Code civil,
c'est-à-dire lorsque l'acte reproché au parent s'avère
être un « acte usuel » de l'autorité parentale. A ce
titre, les juges de Nancy ont considéré qu'un père ne
commet pas une faute en décidant unilatéralement d'emmener son
fils chez le coiffeur119. En présence d'un acte non usuel,
d'un acte important, les tiers de bonne foi doivent obtenir le consentement de
chacun des deux parents. L'aspect contraignant qui en résulte multiplie
les chances de voir apparaître en cas de mécontentement d'un
parent une action en responsabilité civile. Il n'est donc pas
étonnant que la circoncision rituelle de l'enfant, acte non usuel, fasse
l'objet d'une action en responsabilité civile, intentée par un
parent contre l'autre.
197. Les trois décisions rendues (Civ 2ème 17
décembre 1998* ; CA Paris 29 septembre 2000* et CA Lyon 10 janvier
2011*) ont unanimement reconnu la responsabilité civile du parent envers
l'autre parent. Il a ainsi été jugé que le parent qui
prend unilatéralement l'engagement de circoncire son enfant engage sa
responsabilité civile envers l'autre (I).
198. Mais la responsabilité civile ne se cantonne pas
à cette fonction de moralisation de la relation entre parents. Elle
valorise également, d'une seconde façon, l'autorité
parentale en sanctionnant cette fois-ci les devoirs des parents à
l'égard de leurs enfants. La « moralisation des relations des
parents avec leur enfant est fondée sur une substi-
117Bull. Civ. II, n°256; Defrénois 2003.
615, obs. Massip.
118Stephanie Pons, « La réception par
le droit de la famille de l'article 1382 du code civil », Presses
Uni-vesitaires d'Aix-Marseille, 2007, page 200 : « la fonction de
régulation de la responsabilité civile pour faute qui tend
à assoir l'effectivité de la relation parentale se traduit par
une moralisation des comportements parentaux ».
119CA Nancy, 5 oct. 1998 : JD n°056212.
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tution de motifs : non plus par l'affirmation des droits
des parents mais par l'affirmation des droits de l'enfant
»120. C'est dans ce mouvement de moralisation que
s'inscrit la foudroyante décision de la Cour d'appel de Paris engageant
la responsabilité du parent envers l'enfant (II).
I - Responsabilité envers l'autre parent
199. Pour être qualifiée de fautive, la
circoncision à elle seule ne suffit pas. Elle doit intervenir dans le
cadre d'un dépassement de pouvoirs ou du non respect d'une obligation
(découlant des modalités d'exercice de l'autorité
parentale). En 1998, la Cour de cassation a partiellement cassé
l'arrêt attaqué sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
qui n'avait pas retenu la responsabilité délictuelle du
père, énonçant que la demande de la mère «
n'est assortie d'aucune justification sérieuse ». En
l'espèce la circoncision rituelle a été pratiquée
par un père sur son fils lors d'un séjour au Maroc, sans l'accord
de la mère et au mépris d'une interdiction judiciaire de
sortir du territoire français avec l'enfant.
La Cour condamne « les circonstances dans lesquelles
(le) mari avait emmené leur fils au Maroc et l'avait fait circoncire
».
200. Indépendamment de la violation d'une
décision de justice exécutoire, il faut, comme le fait le
commentateur de l'arrêt121, « se demander si la Cour n'a
pas principalement voulu sanctionner le non-respect par le père des
règles concernant l'exercice en commun de l'autorité parentale,
qui imposent l'accord des deux parents pour l'exécution des actes non
usuels », en y répondant par l'affirmative. Cette affirmation est
confortée par les deux autres décisions qui ont suivi.
201. La Cour d'appel de Paris a engagé, entre-autres,
la responsabilité civile du père vis-à-vis de la
mère. Il fut donc reproché au père d'avoir profité
de l'exercice de son droit d'hébergement pour faire circoncire son
enfant sans l'assentiment de la mère. L'article 1382 est donc venu
sanctionner le devoir du père de respecter les droits de la
mère122. Dans le même sens, la Cour d'appel de Lyon a
engagé la responsabilité civile du père ayant circoncis
l'enfant en Algérie, au mépris du refus de la
mère123.
202. Le préjudice du parent victime du non respect des
règles de l'autorité parentale est, quant à lui, facile
à qualifier. L'octroie de dommages-intérêts à la
mère se justifie, selon le droit commun, par la nécessité
de réparer l'atteinte fautivement portée à ses
120Stéphanie Pons, préc., page 212.
121A.-M. Blanc, note sous Cass. 2 ème civ., 17
décembre 1998* : RJFP avril 1999, p. 125.
122CA Paris 29 septembre 2000* : Le père de
l'enfant avait « profité de l'exercice de son droit de visite et
d'hébergement pour prendre la décision de faire procéder,
à des fins rituelles, à la circoncision de cet enfant, sans avoir
recueilli l'assentiment de sa mère et alors que cet acte chirurgical ne
s'imposait pas d'après les certificats médicaux. Sa
responsabilité doit dès lors être retenue(...)».
123CA Lyon 10 janvier 2011* : « Qu'en effet,
en août 2010, Monsieur F. s'est rendu en Algérie avec les enfants
et a fait procéder à la circoncision du plus jeune, Omrane,
âgé de 3 ans, sans en informer la mère et ce, de
manière délibérée dans la mesure où il
connaissait parfaitement le refus de cette dernière d'élever les
enfants dans la religion musulmane ».
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prérogatives parentales. Ce préjudice à
caractère moral consiste en une remise en cause de sa qualité de
parent.
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