Partie I - La structure des conflits
22. La structure des conflits entre parents à propos
de la circoncision de leur enfant, est composée de données
juridiques et sociales, qu'il convient de présenter successivement. La
jurisprudence a en effet imposé aux parents l'obligation de prendre
conjointement la décision de faire ou de ne pas faire circoncire
l'enfant (chapitre I). Cependant, les parents ne parviennent pas toujours
à se mettre d'accord sur la question de la circoncision de leur enfant,
à plus forte raison lorsqu'ils ont des cultures et des religions
différentes (chapitre II). Structurellement, les conflits paraissent
difficilement évitables.
Chapitre I - L'accord des parents légalement
exigé pour la circoncision rituelle de l'enfant
23. L'impératif de concertation trouve son origine
dans le cumul de deux autres règles dégagées
simultanément par la jurisprudence. Bien qu'il ne soit pas possible de
séparer chronologiquement la naissance de ces principes, il convient de
les distinguer intellectuellement. En effet, le premier concerne le contenu de
l'autorité parentale : celui-ci recouvre le droit et la liberté
pour les parents de faire circoncire leur enfant (section I). Le second
principe concerne l'exercice de l'autorité parentale : le droit de
circoncire l'enfant doit être conjointement exercé par les deux
parents (section II).
Section I - Une prérogative parentale
exclusive
24. Le droit de circoncire l'enfant est un attribut de
l'autorité parentale (I). En principe, ce droit s'exerce librement
(II).
I - Une prérogative parentale
25. Plus qu'un simple attribut de l'autorité
parentale, la circoncision de l'enfant, non justifiée
médicalement, est perçue comme une forme d'éducation
religieuse (B). Un tel raisonnement ne peut être admis que si l'on part
du postulat selon lequel la circoncision est un acte religieux, ce qui n'est
pas sans susciter quelques objections (A).
A - Un acte religieux
26. Le contentieux, dans sa totalité, montre que les
juges ne distinguent qu'entre deux types de circoncisions. Cette distinction
repose sur le seul critère de la nécessité
médicale. Ainsi, l'intervention médicalement justifiée est
qualifiée par les juges de « circoncision médicalement
nécessaire », parfois encore de « circoncision
thérapeu-
15
tique ». A défaut, elle sera qualifiée de
« circoncision rituelle » (ou « religieuse
»)27.
27. Or la circoncision peut être motivée par des
raisons bien plus nombreuses : religieuses, culturelles,
esthétiques...mais aussi dans un souci de prévention de certaines
affections (circoncision prophylactique). Il semble donc réducteur
d'affirmer que toute circoncision qui ne serait pas médicalement
justifiée, doit être automatiquement classée dans la
catégorie des actes rituels ou religieux28.
28. Pour les juges, la circoncision rituelle va englober
toutes les autres qui ne seraient pas médicalement justifiées.
Ainsi, les juges ne distinguent pas le motif religieux du motif coutumier. Par
exemple, en 2009, une mère a justifié sa volonté de faire
procéder à la circoncision de l'enfant « plus par tradition
familiale que par conviction religieuse ». Elle a par ailleurs
attesté être athée et ne pratiquer aucune religion. La Cour
d'appel de Nancy a répondu que « néanmoins ladite tradition
repose sur la religion » 29.
29. La confusion du motif religieux avec le motif
traditionnel, conduisant à les classer indistinctement dans la
catégorie des motivations « rituelles », peut trouver une
explication dans la définition même de l'adjectif « rituel
». Celui-ci peut regrouper diverses acceptions, notamment celle d'un
ensemble de comportements codifiés, fondés sur la croyance en
l'efficacité constamment accrue de leurs effets, grâce à
leur répétition30. Ce qui ne justifie pas pour autant
le raisonnement jurisprudentiel conduisant à la dissolution de la
circoncision prophylactique dans le groupe des circoncision rituelles. En
effet, en tant que remède préventif, l'intervention
prophylactique (contrairement à la circoncision thérapeutique qui
est un remède curatif) ne peut être justifiée par la
nécessité médicale. Si la preuve de cette
nécessité n'est pas rapportée, les juges rejetteront le
motif médical31. Certains auteurs proposent la qualification
d' « acte de confort » par opposition à l'acte
médicalement justifié32.
30. Il ne serait pas pour autant utile de distinguer en
jurisprudence toutes les
27 La distinction entre circoncision thérapeutique et
circoncision rituelle se retrouve aussi en droit de la Sécurité
sociale. La jurisprudence a ainsi considéré que la circoncision
rituelle, dépourvue de toute visée thérapeutique, ne
saurait faire l'objet d'un remboursement par la Sécurité sociale
(CA, Grenoble, 22 septembre 1988, Mutuelles d'assurances du corps sanitaire
français). Par ailleurs, le Ministre de la Santé a
récemment eu l'occasion de rappeler que « la circoncision pour
motif religieux n'entrait pas dans le cadre de soins nécessaires au
maintient ou au rétablissement de l'état de santé des
personnes », couverts par l'assurance maladie (Rép.min.
n°30856 : JOAN Q, 30 juin 2009,p. 6716).
28 La qualification de l'acte de circoncision pose aussi
problème en droit de la responsabilité médicale (par
exemple sur la question de savoir s'il s'agit d'une intervention chirurgicale
simple ou nécessitant d'avantage de précautions) et en
matière de garantie due au médecin au titre de son contrat
d'assu-rance responsabilité civile, lorsque l'activité de
circoncision rituelle n'a pas été déclarée.
29CA Nancy 5 octobre 2009*.
30 Définition tirée du Dictionnaire « Le Petit
Larousse », édition 2007.
31 CA Grenoble 23 octobre 2012*.
32S. Alloiteau, « l'extension de la
jurisprudence Bianchi aux anesthésies dépourvues de fin
thérapeutique », Petites affiches, 1998, n°4, p. 20.
16
catégories sociologiques de la circoncision
(prophylactique, thérapeutique, coutumière, religieuse,
esthétique...). Il est simplement recommandé d'admettre une
troisième catégorie, qui serait « coutumière »,
ou « culturelle ». Celle-ci correspondrait davantage à la
réalité d'une majeure partie des familles en France
concernées par la circoncision (d'origine Maghrébine pour la
plupart). Celle-ci se distinguerait de la circoncision religieuse, en ce
qu'elle marque la volonté d'intégrer l'enfant dans une culture,
sans signifier son adhésion à une quelconque communauté
religieuse. Les circoncisions prophylactiques et thérapeutiques
seraient, quant à elles, fusionnées dans l'ensemble des actes
« médicaux ». En l'absence de preuve suffisante, le juge
pourra appliquer le régime qui lui paraîtra le plus
sévère et le plus protecteur des différents consentements
requis.
31. Malgré les objections qu'elle suscite, la
classification, en jurisprudence, de toute circoncision non
thérapeutique dans la catégorie des actes religieux, a le
mérite d'en simplifier le régime juridique. En ce sens, cette
classification paraît admissible. Tous les développements à
suivre partiront donc du postulat selon lequel la circoncision rituelle (ou la
circoncision non médicalement nécessaire) est un acte
religieux.
|