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Les litiges entre parents à propos de la circoncision de leur enfant

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par Ismahène Chamkhi
Université de Nantes - Master 2 Droit Privé Général 2013
  

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Introduction

1. Le terme « parent » vient du latin « parens », du verbe « parere », qui signifie « enfanter ». Dans la langue arabe, le parent est appelé « el walidou », qui signifie « celui qui met au monde ». Ces cultures s'accordent à définir le parent par sa fonction. Il est celui qui enfante, celui qui crée un enfant. Cette « création » passe par la conception et par la gestation, mais pas uniquement. Car l'enfant c'est bien cette oeuvre, cet être en devenir, innocent et inconscient, qui se construit autour de ses parents puis de son environnement.

2. La psychologie du développement nous enseigne que l'enfance est dans son ensemble un moment clé dans la construction de l'être, mais aussi dans ses diverses phases. La psychanalyse de Sigmund Freud a organisé sa théorie de la psychologie de l'enfant autour de conflits affectifs et sexuels1.

Carl Gustav Jung percevait la construction de l'être sous un angle plus dynamique. Cette construction passe par son « individualisation », c'est-à-dire par sa capacité à devenir un individu, synonyme de développement tant mental que physique. Jung ajoute que la croissance de la personnalité se fait aussi à partir de l'inconscient. L'individualisation est selon lui un processus de différenciation psychologique, destiné à harmoniser les rapports du conscient avec l'inconscient, et ayant pour but le développement de la personnalité de l'individu2.

Jung ne réduit pas le processus d'individualisation au simple stade de l'enfance, et l'élargit à toute la vie de l'être humain. Il admet tout de même le particularisme de l'enfance : « (...)les premières impressions de l'enfance accompagnent l'homme dans toute sa vie et certaines influences éducatrices ont le pouvoir de le maintenir toute sa vie aussi, dans certaines limites. »3 . Il met également l'accent sur la difficulté de la

1Freud distingue ainsi cinq stades de développement définis en fonction du déplacement de la zone érogène chez l'enfant. Au cours du premier stade, dit « oral » (de 0 à 1 an), l'enfant prend son plaisir par l'acte de manger. C'est le moment où l'enfant absorbe le monde extérieur, que ce soit de la nourriture ou des informations sensorielles. Lors du deuxième stade, dit « anal » (1 à 3 ans), l'enfant prend conscience de sa puissance sur le monde. Lors du stade « phallique prégénital» ou « oedipien » (3 à 6 ans), l'enfant découvre son corps et prend conscience de sa sexualité. C'est un stade où sont observées les prémices de l'affirmation de soi et de la mise en place de l'identité sexuée. La période de « latence » (6 à 12 ans) est une période de socialisation de l'enfant. Son intérêt devient intellectuel et son attention est davantage dirigée vers l'apprentissage. La transmission par les parents de leurs valeurs et de leur(s) culture(s) sera particulièrement influente durant cette période. Enfin, durant le stade « génital » (adolescence), l'identité, notamment sexuelle, se forme.

2Voir notamment C.G.Young, Types psychologiques (1921), éditions Georg, 1977.

3Carl Gustav Jung, L'âme et la vie, trad. Roland Cahen et Yves Le Lay, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p 400.

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mission éducative :« Qui veut éduquer doit lui-même être éduqué. (...) On dit continuellement qu'il faut développer la personnalité de l'enfant. J'admire bien entendu ce haut idéal d'éducation. Mais qui éduque en vue de la personnalité ? La première place, la plus importante, est occupée par des parents d'ordinaire incompétents qui, bien souvent, restent toute leur vie à moitié, sinon tout à fait, des enfants »4.

Mais pour Alfred Adler, les aspirations humaines sont avant tout tournées vers l'avenir, et ne se limitent pas aux fruits de moteurs inconscients ou d'expériences infantiles. Il voit l'enfance, et plus précisément le stade de nourrisson, comme la première situation d'infériorité que connaît l'individu (impuissant, le nourrisson dépend absolument de l'aide des personnes de son entourage) et de la manière dont l'individu va surmonter cette première situation d'infériorité, va dépendre la façon dont il sera en mesure d'affronter plus tard les défis de la vie.

Adler va même plus loin, en s'intéressant à la « corrélation précoce » entre la mère et l'enfant. Celle-ci va crée chez l'enfant un sentiment, qu'il nomme « esprit communautaire », qui devient une part inconsciente de sa personnalité. L'esprit communautaire serait la mesure de la santé psychique de l'individu. Or, le corps et la psyché sont primordiaux pour lui. Car, toute au long de sa vie, ils auront tendance à compenser ses problèmes de santé et, plus généralement, les difficultés de la vie 5.

3. Parmi ces différentes analyses, ce que le juriste doit surtout retenir, c'est que l'enfance, tant dans son ensemble que dans ses différentes étapes, est fondamentale dans la construction (tant physique que psychique) de l'être. C'est dans ce caractère fondamental qu'apparaît l'importance, et la difficulté, de toute décision prise (ou à prendre) par les parents sur l'enfant. Parmi elles, il existe des choix plus difficiles que d'autres, des choix plus intimes que d'autres, qui concernent à la fois la culture, la moralité et le corps de l'enfant, voir aussi sa sexualité. La difficulté de ces choix peut être source de tensions entre les parents.

4. C'est dans ce contexte que la circoncision de l'enfant apparaît comme l'une des décisions les plus difficiles à prendre pour le couple. La circoncision, du verbe circoncire, vient du latin « circumcidere », qui signifier « couper autour ». Elle est appelée en Hébreu, « berit milah » et en Arabe « tahara », ou encore « khitan ». Dans

4Carl Gustav Jung, Problèmes de l'âme moderne, trad. Yves Le Lay,. Paris, buchet/Chastel, 1991.op. Cit., p 246-247.

5« L'enfant, s'il n'est pas trop anormal, comme l'est par exemple l'enfant idiot, se trouve déjà sous la contrainte de ce développement ascendant qui incite son corps et son âme à la croissance. La lutte pour le succès lui est déjà tracée par la nature. Sa petitesse, sa faiblesse, son incapacité de satisfaire ses propres besoins, les négligences plus ou moins grandes sont des stimulants déterminantes pour le développement de sa force. Sous la contrainte de son existence imparfaite, il crée des formes de vie nou - velles et parfois originales. Ses jeux, toujours orientés vers un but futur, sont des signes de sa force créatrice, qu'on ne peut nullement expliquer par des réflexes conditionnés. Il bâtit constamment dans le néant de l'avenir, poussé par la nécessité de vaincre. Envoûté par le « Tu dois » de la vie, il est entraîné, avec toutes les exigences inéluctables qui s'attachent à elle, par l'envie sans cesse croissante d'atteindre un objectif final, supérieur au sort terrestre qui lui était assigné. Et ce but qui l'attire s'anime et prend des couleurs dans l'entourage restreint où l'enfant lutte pour triompher». Alfred Adler, Le sens de la vie, Étude de psychologie individuelle (1933), Page 58.

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son sens le plus strict, la circoncision désigne l'ablation du prépuce6. En ce sens, il s'agit plus d'une posthectomie que d'une circoncision. Il serait en effet réducteur de définir la circoncision en s'arrêtant à sa simple technique opératoire, parce qu'elle est avant tout un rite, une coutume.

5. L'anthropologue et psychanalyste Malek Chebel rapporte que le rite en lui-même se compose de plusieurs parties : la préparation, l'ablation, la cure et la postcure. La préparation connaît pour sa part une variation infinie de modèles. Chaque culture, chaque civilisation, parfois chaque région a sa propre façon de conditionner, tant psychologiquement, que physiquement, le jeune garçon avant l'opération. Le même constat s'impose à la lecture des différentes façons de pratiquer l'ablation.

Les intentions dans lesquelles on circoncit le jeune émule étant différentes, les outils employés sont divers et les façons de faire varient sensiblement. Un cérémonial haut en couleur accompagne la circoncision juive et arabe, sans pour autant égaler celui des Africains qui en font une affaire de la plus haute importance. Tout le village y participe, la cérémonie réunissant souvent une confédération de villages dont les membres sont apparentés. Dans la plupart des cas, l'ablation du prépuce du garçonnet offre la possibilité à sa famille d'exprimer sa joie, la circoncision étant entendue comme une fête. L'âge du circoncis varie lui aussi selon les cultures, les époques et la fortune des familles. Si le rite est rigoureusement établi au septième jour (huitième si l'on compte le jour de la naissance) par la loi hébraïque, tous les cas de figure se retrouvent dans le monde. Aujourd'hui, elle est à peu près pratiquée entre 3 et 7 ans dans les pays arabes et entre 7 et 10 ans en Afrique noire7.

6. Ces variations dans la conception du rite s'expliquent par l'ancienneté de la circoncision, dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Au fil des siècles, cette coutume s'est propagée dans différentes civilisations, sous des formes sensiblement diverses. Toutefois, nul chercheur - jusqu'à aujourd'hui - n'a pu valablement avancer de date précise quant à son institution, moins encore établir la raison qui, au départ, la justifia.

6Dans l'anatomie masculine, le prépuce est une partie de peau à la pointe de la verge, qui recouvre le gland. L'opération d'ablation du prépuce est notamment décrite par le docteur Alphandéry, auteur de la partie chirurgicale de la circoncision consacrée par La Grande Encyclopédie de Berthelot : « Le procédé le plus simple est celui qui se fait sans instruments spéciaux, à l'aide d'une simple pince, de ciseaux et d'une sonde crénelée. Le chirurgien attirant en avant la peau du prépuce met une pince en arrière du point où il veut inciser (pour éviter d'endommager le gland), et coupe en avant de celle-ci toute la portion excédante du prépuce. La muqueuse est sectionnée dans un deuxième temps avec les ciseaux à l'aide d'une sonde crénelée introduite entre le gland et cette muqueuse. Il est nécessaire de bien relever ensuite le prépuce jusqu'au niveau de la rainure du gland, ce qui offre parfois quelque difficulté par suite de la présence des adhérences ». L'anthropologue et psychanalyste Malek Chebel reprend ces lignes dans son ouvrage, puis les commente : « Voilà un siècle que ces lignes ont été écrites et rien n'a vraiment changé quant à la technique du circonciseur. Certes, les progrès de l'aseptie ayant sensiblement avancé, l'opération est entourée aujourd'hui de toutes les précautions qui s'imposent surtout lorsqu'elle est menée dans le cadre d'un établissement spécialisé. Mais, au fond, le prépuce de l'enfant continue à être dégagé du gland, le bistouri ou la lame électrique ayant remplacé la paire de ciseaux, et l'ablation est toujours la même. Une fois sectionnée, la peau qui recouvre le pénis et qui a été tirée lors de l'opération retrouve sa place naturelle en se rétractant en amont du gland. La circoncision a atteint sa phase finale ; il ne reste plus qu'à soigner la blessure en lui appliquant les produits hémostatiques habituels. » M. Che-bel, Histoire de la circoncision -des origines à nos jours-, Le Nadir Balland, 1997, page 19.

7Malek Chebel, Histoire de la circoncision -des origines à nos jours-, Le Nadir Balland, 1997, p. 15 à 17.

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Au 5ème siècle avant notre ère, Hérodote, père de l'histoire événementielle en Occident, admettait la difficulté de la question : « les Colchidiens8, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial. (...) Comme la circoncision paraît, chez les Égyptiens et les Éthiopiens , remonter à la plus haute antiquité, je ne saurais dire lequel de ces deux peuples la tient de l'autre ».9

7. L'ouvrage de Malek Chebel est le premier à présenter une histoire complète de la circoncision. Il rapporte qu'une circoncision juvénile existait déjà au début du 15ème siècle avant notre ère, chez les anciens Égyptiens ! Les fouilles archéologiques dans un temple de Ramsès III à Medinet-Habou, faisant partie de la nécropole thébaine (Nouvel Empire, autour de 1350 av. J.-C.), ont permis de retrouver des représentations phalliques gravées, figurant sur des bas-reliefs, célébrant les victoires de Pharaon contre les peuples asiatiques. Un agrandissement de photos prises sur le site montre que la circoncision était non seulement courante, mais qu'elle participait au don que les artistes offraient au pharaon-dieu. Une multitude de phallus circoncis favoriseraient la voûte, comme si le temple était consacré à quelque divinité de fertilité. De même, dans le temple de Karnak (Moyen Empire, entre 1400 et 1200 av. J.-C.), le dieu Min est représenté sur les traits d'un personnage ithyphallique10, clairement circoncis11.

8. M. Chebel explique que la circoncision des Égyptiens et autres peuplades anciennes (notamment des Mayas et des Phéniciens) est différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Il la décrit comme étant une circoncision « profane », c'est-à-dire qui n'est ni rituelle, ni laïque, tout en se prévalant d'un lien assez sommaire avec le sacré. La forme actuelle qui s'en rapprocherait le plus serait la circoncision initiatique animiste des ethnies africaines traditionnelles. Celle-ci est pratiquée de manière cyclique, sur une promotion d'individus d'une certaine tranche d'âge et d'un même clan ou d'une même tribu12.

8Les Colchidiens sont les habitants de la côte orientale de la mer Noire.

9 Pour le récit au complet :« les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial. Les Phéniciens et les Syriens de la Palestine conviennent eux-mêmes qu'ils ont appris la circoncision des Égyptiens ; mais les Syriens qui habitent sur les bords du Thermodon et du Parthénios, et les Macrons, leurs voisins, avouent qu'ils la tiennent depuis peu des Colchidiens. Or, ce sont là les seuls peuples qui pratiquent la circoncision, et encore parait-il qu'en cela ils ne font qu'imiter les Égyptiens. Comme la circoncision paraît, chez les Égyptiens et les Éthiopiens , remonter à la plus haute antiquité, je ne saurais dire lequel de ces deux peuples la tient de l'autre. A l'égard des autres peuples, ils l'ont prise des Égyptiens, par le commerce qu'ils ont en cause avec eux. Je me fonde sur ce que tous les Phéniciens qui fréquentent les Grecs ont perdu la coutume, qu'ils te - naient des Égyptiens, de circoncire les enfants nouveau-nés ». Hérodote (484-425 av. J.-C.) II, § 104. Enquête, Tome I (Livres I à IV), Editions paleo, les sources de l'histoire européenne.

10On dit d'une représentation qu'elle est ithyphallique, lorsque le phallus est surdimensionné par rapport au corps.

11Malek chebel, préc., page 39. Un répertoire des principales circoncisions conservées dans les musées figure à la fin de l'ouvrage de Malek Chebel.

12 Malek Chebel, préc., pages 145 à 147.

9.

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Moins ancienne est la circoncision qualifiée par l'auteur de « monothéiste », qui réfère, notamment, à la circoncision juive ou musulmane13. Celle-ci est caractérisée par son ritualisme et ses symboles religieux visant un double objectif : identification au dieu créateur et conformité aux aspirations profondes de la communauté d'appartenance. Cette deuxième catégorie est de loin la plus dominante et vise à inscrire le sujet dans un cycle de rites collectifs préétablis, lesquels le dépassent à la fois en intention et en fonctionnement14.

10. Quid du christianisme ? Quels rapports la religion chrétienne a-t-elle entretenu avec la circoncision? La question mérite qu'on s'y attarde, d'autant plus que les chrétiens ont beaucoup peint la circoncision de l'Enfant Jésus15. Nous savons que la circoncision juive a été remplacée par le baptême et l'imposition du nom. Toutefois, les recherches de M. Chebel nous apprennent qu'avant d'en arriver à cet équilibre, une violente polémique avait opposé juifs et chrétiens aux premiers temps de l'évangélisation. Le conflit était passé du niveau du rite à celui de la doctrine. Pour la doctrine chrétienne, la circoncision induisait une étrange opposition entre la perfection native de l'homme et le culte dû à Dieu. Les débats furent longs et nombreux. L'opinion de l'Apôtre Paul a finalement prévalu au plan de la doctrine. La circoncision intérieure (celle du coeur) l'a emportée sur la circoncision physique (celle du prépuce). Très vite, des lois impériales vinrent réglementer cette zone de l'interdit tout le temps que juifs et chrétiens se côtoyèrent sous la bannière de Rome.

Mais le débat a tout de même continué à prendre de l'ampleur, le prosélytisme juif ayant élargit la circoncision au cercle de leurs esclaves de race étrangère et des citoyens de Rome, qui le désiraient. L'autorité de Rome y vit « un danger pour l'intégrité du caractère national ». L'empereur Hadrien pris alors une mesure radicale en interdisant définitivement la circoncision pour tous les esclaves placés au service des juifs. Les lois de Rome assimilaient la circoncision à la castration, laquelle était pénalement considérée comme un homicide (homicidium) 16. Notons que la comparaison de la circoncision à la castration fait encore débat aujourd'hui, au sein de la doctrine psychanalytique17.

13 La circoncision telle qu'on la retrouve dans la mythologie bambara ou dogon relèverait aussi, par

certains aspects, de la circoncision « monothéiste ». Celle-ci est en effet caractérisée par une « unicité de l'Inspirateur suprême, (une) soumission inconditionnelle des sujets, (et une) uniformité des pratiques dans l'espace et dans le temps. Mais la comparaison ne peut être poussée plus loin». M. Chebel, préc., page 148.

14 M. Chebel, préc., pages 147 et 148.

15On compte une cinquantaine d'oeuvres importantes sur la Circoncision du Christ, chez les peintres du Moyen âge et de la Renaissance. Citons par exemple les oeuvres de Benvenuto Tisi (1481-1559), conservées au Louvre et celle de Andrea Mantegna (1431-1506), conservée à la Galerie des Offices, à Florence. (M. Chebel, préc., pages 138 et 139).

16M. Chebel, préc., pages 77 à 86.

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Au XIXème siècle, Pierre Larousse a posé la question de la place de la circoncision dans les moeurs chrétiennes de son temps. Il souligne à cette occasion que « les avantages de cette petite opération sont cependant incontestables » et dresse une listes d'avantages médicaux procurés par l'intervention18. M. Chebel explique que ces thèmes médicaux sont ceux que nous retrouverons dans la majeure partie des ouvrages scientifiques et parascientifiques qui paraîtront en France pendant le premier quart du XXème siècle19. La circoncision est ainsi détournée de sa visée initiale. On en extrait les dimensions rituelles, pour n'en retenir que les dimensions médicales. On retrouve ici une acception stricte de l'intervention, qui est désormais perçue comme une simple posthectomie. Cette approche moderne de l'intervention explique la récente apparition d'une troisième catégorie de circoncision, qualifiée par M. Chebel de « laïque ». Elle regroupe toute circoncision volontaire, d'enfant ou d'adulte, pratiquée dans des zones géographiques où le critère religieux n'intervient pas.

12. La circoncision « laïque » peut être pratiquée à des fins hygiéniques ou
médicales. Elle est perçue sous un angle « fonctionnel ». L'intervention est alors soit « thérapeutique » (remède curatif, que les juristes français préfèrent appeler « circoncision médicalement nécessaire »), soit « prophylactique » (remède préventif, ignoré par le droit français), le but étant de guérir ou de prévenir (par exemple) une balanite20 ou

17 Dans la doctrine psychanalytique, la circoncision est parfois rapprochée de la castration, mais en tant que structure psychique (et non en tant qu'intervention chirurgicale). L'idée d'un complexe de castration ressenti par le petit de l'homme en réponse à la différence sexuelle est née au début du XXème siècle. Selon Freud, son inventeur, il s'agit d'un phénomène « normal » qui a pour fonction de structurer la psyché de l'enfant mâle en la dotant en quelque sorte d'un obstacle à franchir. Craignant d'être châtré par un père perçu comme un rival (complexe d'oedipe), l'enfant sera amené à développer,dans la douleur, un certain nombre de mécanismes d'identifications qui lui permettront de dépasser la crise. Pour M. Chebel, « le seul lien qui puisse exister entre le complexe de castration, concept freudien, et la circoncision, ablation relevant autant du culturel universel que de l'organique, est un lien fantasmatique, celui de l'ablation totale du pénis. Les psychanalystes estiment en effet que la circoncision est une sorte de « castration a minima », quelque chose qui permet à la structure paternelle de se déployer sans beaucoup de frais, dans la mesure où le garçon se contente de perdre son prépuce au lieu de disparaître lui-même dans sa totalité ou de se voir châtrer par le père, au sens psychanalytique du terme (...) Pour le père de la psychanalyse, la circoncision est une sorte de tribut d'entrée à la sphère culturelle : seuls les circoncis accèdent en quelque sorte à la reconnaissance du père symbolique, pour devenir pères réels à leur tour, c'est-à-dire des pères doués d'une autorité reconnue par les tiers et faisant sens pour les fils à la génération suivante (...) ». M. Chebel, préc., pages 121 à 124.

18Pierre Larousse développe son propos en disant que la circoncision « empêche l'accumulation, sous le prépuce, de la matière subacée sécrétée à la base du gland ; elle préserve des banalités et des balanoposthites ; elle permet en cas de maladies accidentelles, une action plus immédiate et plus efficace ; elle préserve même, jusqu'à un certain point, de ces maladies en rendant la muqueuse du gland plus résistante et, pour ainsi dire, plus rustique ; elle provoque une développement plus précoce des organes génitaux ; enfin, suivant quelques auteurs, elle ne serait pas sans influence sur la fécondité masculine. Ce dernier point, très contestable cependant, puise sa principale raison dans la fécondité remarquable des mariages israélites ». Grand Dictionnaire du XIXe siècle, IV, réimpr.,1982.

19M. Chebel, préc., page 85.

20Balanite : (du grec balanos, qui signifie « gland ») est une inflammation de la muqueuse du gland coïncidant souvent avec celle du prépuce (balanoposthite), laquelle se caractérise par la formation d'oedèmes, de rougeurs et de dysurie (état de celui qui n'arrive pas à uriner ou dont le passage de l'urine est brûlant). (Malek Chebel, préc., pages 19 et 219).

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un phimosis21.

On retrouve la circoncision prophylactique surtout aux États-Unis, au Canada et en Suisse (cela est dû à la récente vague hygiéniste qui sévit ces pays). Elle peut y être perçue comme une intervention aussi banale que la suppression précoce de l'appendice, d'une dent mal plantée ou d'une dent de « sagesse ». Mais la circoncision « laïque » peut aussi être pratiquée pour d'autres raisons, qui peuvent être par exemple esthétiques ou encore érotologiques22.

13. On évalue aujourd'hui à plus d'un milliard le nombre de circoncis dans le monde. L'Afrique semble être de loin le continent le plus concerné, mais le Moyen et Proche Orient ne le sont pas moins. Elle est en augmentation progressive aux États-Unis et au Canada23.

14. L'ampleur de la pratique de la circoncision rend difficilement acceptable la confusion, encore constatée aujourd'hui, avec celle de l' « excision ». L'excision est une ablation du clitoris et des petites lèvres, imposée à la fillette ou à la femme. Elle est extrêmement répandue en Afrique subsaharienne, au Mali, au Soudan et dans la Haute-Egypte24. La confusion est aujourd'hui entretenue par l'emploi de l'expression « circoncision féminine », pour désigner l'excision. Cette terminologie a été dénoncée par une grande partie de la doctrine, notamment par Mme Nga Beyeme, dans sa thèse sur les mutilations génitales féminines. Cette dernière ajoute qu' « il est démontré médicalement que (la circoncision), contrairement aux opérations pratiquées sur le sexe féminin, n'entraînait pas une altération de l'organe sexuel masculin. La circoncision masculine aurait au contraire des conséquences positives, ce qui justifierait la non application du droit international en l'espèce ». Afin de désigner l'excision par une appellation révélatrice de ses conséquences pour la santé des fillettes et des femmes, ainsi que de son « caractère aliénant et dégradant »25, Mme Nga Beyeme propose l'emploi de la terminologie « mutilation génitale féminine ». En effet, l'excision est bien une mutilation, tant dans sa technique opératoire, que dans l'intention dans laquelle elle est pratiquée (soumission de la femme et diminution de son plaisir sexuel). C'est pourquoi l'excision et la circoncision sont deux pratiques qui ne peuvent être rapprochées l'une de l'autre. Les textes internationaux condamnant les mutilations

21 Phimosis : (du grec phimôsis, qui signifie « resserrement ») est une affection caractérisée par l'étroitesse anormale de l'anneau du prépuce, lequel empêche le gland de paraître, ce qui rend difficile le fait d'uriner ou de coïter. Il est admis que la circoncision est aujourd'hui l'unique réponse adaptée en cas de phimosis « lourds ». (Malek Chebel, préc., pages 19 et 230).

22M. Chebel. Préc., page 148. 23M. Chebel, préc., page 37.

24M. Chebel, préc., page 225 ; Crescence Nga Beyeme, Le Droit International de la Femme et son application dans le contexte Africain, Le cas des Mutilations Génitales Féminines, Peter Lang, Publications Universitaires Européennes, 2007, page 33.

25 Crescence Nga Beyeme, préc.,page 29.

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génitales ne peuvent donc être appliqués au cas de la circoncision. Par ailleurs, aucun autre texte, qu'il soit de source internationale ou nationale, ne prohibe cette dernière pratique. Le législateur français est lui aussi muet sur la question. Aucune loi française n'interdit, n'autorise, ni n'encadre la pratique de la circoncision.

15. Récemment, en Allemagne, on s'est posé des questions sur la licéité de la circoncision. Tout a commencé par une décision rendue le 7 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Cologne. En l'espèce, des parents, de confession musulmane, avaient demandé à un médecin de circoncire leur enfant, alors âgé de quatre ans. Malgré une intervention effectuée « dans les règles de l'art », une complication a entraîné l'hospitalisation de l'enfant. Le parquet de Cologne a engagé des poursuites contre le médecin. Statuant en appel, le Tribunal de Cologne juge que les blessures physiques infligées par la circoncision constituent l'élément matériel d'une infraction pénale (celle d'atteinte à l'intégrité physique de l'enfant), après avoir constaté successivement que ni l'exercice de l'autorité parentale, ni la liberté des parents quant à l'éducation de leur enfant ne peut conférer à leur volonté un tel pouvoir. Mais l'arrêt prononce la relaxe du médecin poursuivi en l'espèce pour avoir pratiqué la circoncision rituelle du jeune garçon, en raison de l'erreur commise par ce dernier quant à la licéité de son acte, erreur dont les juges retiennent qu'elle était inévitable en raison des incertitudes juridiques qui existaient jusqu'à présent sur la question, au regard de la doctrine et en l'absence de décision de justice tranchant la question. L'erreur qui fonde la relaxe prononcée en l'espèce peut être rapprochée de la notion d'erreur sur le droit, cause d'impunité prévue par l'article 122-3 du Code pénal français.

16. Bien que cette décision n'ait pas eu a priori vocation à s'appliquer à l'ensemble du territoire, ses conséquences furent graves : en l'absence de législation nationale sur le sujet, les risques de poursuite ont poussé les hôpitaux, de Berlin à Zurich, y compris l'Hôpital juif de Berlin, à arrêter leurs circoncisions non médicalement indiquées. C'est dans ce climat de tensions politiques que des manifestations ont éclaté en Allemagne, divisant le pays entre « partisans » et « opposants » à la circoncision des mineurs.

17. Le législateur allemand a dû intervenir assez rapidement afin de trancher le débat. Le 12 décembre 2012, la Chambre Basse du Parlement allemand, le Bundestag, a adopté par 434 voix contre 100 et 46 abstentions, une loi autorisant les parents à faire effectuer une circoncision sur leurs enfants. L'accord des deux parents est nécessaire pour que l'intervention soit faite. Ils n'ont pas à donner de raison, religieuse ou autre, pour demander à faire circoncire leur fils. En dehors des cas où la circoncision s'impose pour des raisons médicales, elle ne devra pas être impérativement effectuée par des médecins ou dans un hôpital, mais «en accord avec la pratique médicale». Des circonciseurs qualifiés pourront pratiquer l'acte pendant les six premiers mois de la vie.

18. La décision de circoncire l'enfant apparaît, dans un tel contexte, encore plus difficile à prendre pour le couple. Cette pratique a, ces dernières années, quitté la sphère intime du couple pour devenir une question publique, une opinion politique.

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Quand le prépuce devient une affaire de Justice, « couper ou ne pas couper ? », telle sera la grande question à laquelle seront confrontés certains couples, de cultures ou de confessions différentes (par exemple le couple unissant une personne de confession chrétienne et une autre de confession musulmane). Leurs divergences culturelles et/ou confessionnelles, rendront laborieux le dialogue autour de la circoncision de leur garçon. De cette complexité va naître des conflits.

19. C'est donc au juge qu'est revenue la délicate mission de résoudre les conflits entre parents à propos de la circoncision de leur enfant. La jurisprudence a dû construire le statut et le régime juridiques de la circoncision des mineurs, dans le silence du législateur. Cette mission est ardue, tant cette coutume fait débat. Agrémenté de politique, de médecine, de psychologie et de religion, le débat autour de la circoncision fait bouillonner notre droit dans un mélange brumeux, que le juge devra clarifier en répondant aux critères de la neutralité et de l'objectivité.

20. Notre étude se fonde sur une typologie du contentieux. Le contentieux de la circoncision commence en 1973. Le choix a été fait de limiter l'étude aux décisions rendues jusqu'à la fin de l'année 2012. Ce contentieux regroupe un total de 82 décisions de justice, dont 62 concernent plus spécifiquement les litiges entre parents a propos de la circoncision de leur enfant. Comme la circoncision est avant tout une coutume et une marque culturelle, la recherche a été davantage concentrée sur la circoncision non médicalement nécessaire, qui représente la majorité écrasante du contentieux (l'intervention médicalement nécessaire, que nous préférons appeler « posthectomie », ne sera citée qu'en marge dans notre étude)* 26.

21. L'étude de ce contentieux nous a permis de mieux comprendre la structure des conflits entre parents à propos de la circoncision de leur enfant (Partie I), ainsi que les réponses apportées par les juges dans la résolution de ces conflits (Partie II).

26 Les décisions tirées de ce contentieux seront suivies d'une astérisque (*). Celles-ci sont référencées à la fin du mémoire, dans l'Annexe n°1, accompagnées des références nécessaires.

Notre étude porte uniquement sur les litiges opposant les deux parents et ayant pour objet (exclusif ou pas) la circoncision de leur enfant. Sont donc exclus les litiges opposant parents et médecin (ou parents et circonciseur), ainsi que ceux portant sur la circoncision des majeurs.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon