Conclusion §2.
58.- La chose contrefaite soulève des
difficultés d'évaluation sur le plan indemnitaire lorsqu'on se
place dans la perspective d'une indemnisation des victimes des
contrefaçons. S'agissant de sa perte, son illicéité
s'oppose semble t-il à une indemnisation.
En l'absence de décisions jurisprudentielles, il y a
tout lieu de penser que, au regard du droit positif, le gardien d'une chose
contrefaite engagerait sa responsabilité aussi bien en présence
d'une garde de fait que d'une garde présumée. Si personne n'en
maîtrise le comportement au moment du dommage, le propriétaire
gardien présumé engage sa responsabilité. En effet selon
une partie de la doctrine, la chose contrefaite est physiquement
appropriable.
111. note préc., LOISEAU (G.) Typologie des choses
hors du commerce, lesquels peuvent être plus ou moins hors commerce
comme certains textiles au composé chimique nocif pour la santé.
Lorsque l'éviction est générale c'est à dire quand
sont interdits entre toutes personnes non seulement les actes onéreux
comme la vente mais aussi ceux à titre gratuit, la chose peut être
considérée comme étant effectivement hors du commerce. Par
exemple décret du 24 septembre 1990 interdit la fabrication, la vente
ainsi que la distribution à titre gratuit de textiles et vêtements
traités à l'oxyde de triaziridinylphosphine ou au
polybromobiphényle et prescrit la destruction de ceux qui seraient
déjà dans le marché. Leur extracommercialité est
alors bien totale et ne laisse place à aucune possibilité de
circulation, même restreinte à des circuits
spécialisés.
112. notamment Civ 2. 18 juin 1997 Villedieu c/ commune des
Cisternes la Forêt, Groupama et autres. Revue générale du
droit des assurances, 01 avril 1998 n° 1998-2, P. 327 , note REMY (P.)
La victime qui s'approprie une chose abandonnée et exerce sur elle
les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle, en devient le gardien
(pour un détonateur trouvé dans une carrière).
113. notamment thèse préc., MOINE (I)
41
Section 2. La chose contrefaite: un bien
appropriable?
59.- Une chose appropriée - La
réponse à la question de savoir si une chose contrefaite est ou
n'est pas appropriable est essentiellement doctrinale. Elle dépend de la
portée de la règle tirée de l'article 1128 du Code civil.
Selon une acceptation commune, la chose est une entité naturelle ou
artificielle susceptible ou non d'appropriation. Le bien est vu comme une chose
appropriée ou du moins juridiquement prise dans une relation
d'exclusivité. Si donc tous les biens sont des choses, à
l'inverse, toutes les choses ne sont pas des biens, car ils ne sont pas tous
appropriables. La chose contrefaite est semble t-il une chose
appropriée.
60.- Portée de l'article 1128 du Code civil
- La doctrine se divise sur la portée de la règle
tirée de l'article 1128 du Code civil. En résumé, on
distingue trois courants.
Pour certains cette règle ne viserait que la seule
chose insusceptible d'appropriation, ce qui conduit à mettre sur le
même plan l'extracommercialite de la chose et
l'extrapatrimonialité prises dans leur sens le plus juridique . Pour
d'autres au contraire, la portée de l'article 1128 du Code civil serait
générale et il concernerait toutes les choses qu'elles soient ou
non appropriées. Enfin, selon un dernier courant, l'article 1128 du Code
civil n'a de sens que si la chose hors du commerce se trouve appropriée,
faute de quoi, il serait redondant de prohiber qu'elle change de
maître114. En effet, dire qu'une chose inappropriable est hors
du commerce n'apporte rien. C'est cette dernière opinion qui nous semble
le mieux rendre compte du droit positif. Il convient d'exposer ces
différents courants.
61.- Cette division révèle deux
modalités très différentes de concevoir la mise hors du
commerce. La mise hors du commerce peut être appréhendée
soit comme un état de la chose attachée à sa nature
(conception naturaliste), soit comme un interdit légal qui affecte le
pouvoir de disposer (conception positiviste). Dans le premier cas,
l'extracommercialité apparaît comme un réflexe de
l'inappropiabilité de la chose contrefaite (§1) alors que dans le
second cas, elle se présente plutôt comme une anomalie affectant
son appropriabilité (§2).
114. Selon Monsieur le Professuer REVET le
commerce juridique est un critère de distinction des biens et non pas un
critère de distinction des choses non appropriées
42
§1 Une chose inappropriable
A. Réduction de l'extracommercialité à
l'inappropriabilité
62.- Une incompatibilité entre appropriation et
extracommercialité115- Une partie de la doctrine
semble réduire l'extracommercialité à
l'inappropriabilité, ce qui exclurait automatiquement la
propriété d'une chose contrefaite. Selon cette conception,
l'extracommercialité est le reflet du caractère inappropriable de
la chose. L'appropriation de la chose contrefaite est donc impossible en raison
de sa nature même. Cette analyse est fondée sur une approche
objective.
63.- Les choses inappropriables sont hors du commerce-
La mise hors du commerce d'une chose peut se déduire de son
caractère inappropriable. Dans cet esprit, il a été dit
que la clientèle est inappropriable, donc elle est hors du commerce. De
même, les choses communes sont généralement
considérées comme étant hors du commerce juridique parce
qu'elles échappent à l'appropriation.
Parmi les auteurs qui préconisent d'aligner la
conception d'une chose hors du commerce sur celle de la chose insusceptible
d'appropriation, une grande partie se réfère au corps humain pour
défendre l'idée que celui-ci ne peut constituer un objet
contractuel puisqu'il est associé par nature à la personne.
L'extracommercialité du corps permet de s'assurer son
inaliénabilité, ce qui garantit qu'aucun droit réel sur le
corps ne peut résulter d'un contrat. Il existe donc un lien très
fort entre la propriété et l'extracommercialité.
B. Lien intrinsèque entre
l'inappropriabilité et l'extracommercialité
64.- L'extracommercialité, un
dérivé de l'inappropriabilité116- Dans
les hypothèses où l'extracommercialité de la chose se
présente comme un dérivé de son inappropriabilité,
cette extracommercialité est le résultat d'une
impossibilité. Il n'est pas interdit de contracter sur une chose
commune, il est impossible. Faute pour la chose d'être l'objet d'un droit
privatif, celle-ci ne peut circuler juridiquement entre les personnes et
être l'assiette d'un contrat qui en organiserait la transmission. Selon
cette approche, il n'est pas alors contestable
115. thése préc.,MOINE (I.)
116. LOISEAU (G.), Typologie des choses hors du commerce,
RTD Civ. 2000 p.47.
43
de considérer que ce qui est insusceptible
d'appropriation (choses communes, corps humain) est hors du commerce. Cette
extracommercialité revêt un caractère nécessaire;
elle constitue fondamentalement un état de la chose qui, en raison de sa
nature inappropriable, se trouve nécessairement soustraite à
l'emprise des volontés individuelles.
C. Une appropriation contraire à la fonction
sociale du contrat
65.- Une appropriabilité contraire à la
fonction sociale du contrat - Un auteur117 s'appuie sur la
fonction sociale de la propriété et du contrat pour exclure
l'idée d'appropriabilité des marchandises contrefaisantes. En
effet la contrat n'a de sens que dans l'optique de la réalisation de la
propriété. Si on ne reconnaît pas la validité du
contrat ayant pour objet une chose contrefaite (extracommercialité), la
propriété de la chose ne peut être reconnue. Si la chose
n'est pas utile et rare, il ne sert à rien de reconnaître sa
propriété . Par conséquent, il ne peut y avoir de contrat
hors du domaine de la propriété. Si la chose contrefaite ne peut
faire l'objet d'un contrat, alors son appropriation est impossible.
64.- L'absence de propriété licite? -
A l'appui de l'inappropriabilité de la chose contrefaite, il
peut être rappelé que la possession, l'exploitation ou
l'utilisation d'un bien contrefait sont constitutives d'une infraction
pénale. En outre, l'absence de propriété licite sur la
chose provient de ce que sa simple détention est source d'une atteinte
à l'ordre public.
Il en résulte selon cette approche que la
qualification de choses hors du commerce est particulièrement bien
adaptée pour la chose contrefaite. Dans cette perspective, la
propriété de la chose contrefaite ne peut être
qu'illicite.
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