Conclusion §1.
65.- Une partie de la doctrine exclut
l'appropriabilité des choses hors du commerce et donc a fortiori
de la chose contrefaite. La situation des biens est
déterminée à partir d'eux mêmes. Il peut être
également soutenu, en vertu de cette approche, que les utilités
qui pourraient être tirées de la propriété d'une
chose contrefaite auraient un caractère illicite.
Cette approche qui n'est qu'une façon
d'appréhender la règle tirée de l'article1128 du Code
civil ne nous semble pas la mieux adaptée. Au contraire, il semble
simpliste de réduire l'extracommercialité à
l'inappropriabilité.
117. TRICOIRE (E.), et PARANCE (B.), obs.sous Com.24 sept.2003
n°01-11. 504 , LPA 28 mai 2004 n° 107.
44
§2 Une chose appropriable
66.- La chose contrefaite est une chose
appropriée - Selon une autre conception doctrinale, la
propriété de la chose contrefaite n'est qu'altérée
par l'extracommercialité. Deux arguments plaident en faveur d'une
reconnaissance de la propriété de la chose contrefaite. D'une
part, dans l'approche subjectiviste, la commercialité participe de la
condition de propriétaire. Être propriétaire c'est avoir
établi une relation d'exclusivité avec une chose, d'où
résulte notamment la faculté d'engager cette chose dans les actes
juridiques. La commercialité n'est pas une qualité des choses
mais elle désigne l'étendue du pouvoir de disposition du
propriétaire. Elle n'interdit que le pouvoir de disposition du
propriétaire. D'autre part, l'article 1128 du Code civil est mis en
oeuvre par la jurisprudence comme une règle de police délimitant
les pouvoirs du propriétaire.
A. Une chose physiquement appropriable
67.- L'appropriabilité de la
corporalité d'une chose contrefaite118 - Les
marchandises contrefaisantes sont a priori des biens comme les autres,
physiquement appropriables. Le caractère illicite des choses produites
par contrefaçon en interdit le commerce mais non la
propriété. La propriété qu'en a le contrefacteur ne
saurait lui conférer le droit d'en disposer, puisqu'il les a
réalisées alors qu'il n'était pas titulaire du droit
d'exploiter une idée appartenant à autrui. Le droit de
propriété qu'il a sur les choses corporelles n'est pas
contestable, car ce droit puise sa source dans la propriété des
matières premières et dans l'acte de fabrication
68.- L'absence de droit d'exploiter- Le
contrefacteur n'a pas le droit d'exploiter la chose puisqu'il viole un droit de
propriété intellectuelle. Il est donc dépourvu du droit de
reproduire la propriété incorporelle. En effet, le contrefacteur
est privé de droits sur le principe de sa chose, il est dans
l'impossibilité de l'engager dans un acte quelconque. Il ne peut
exploiter la chose dont l'idée appartient à quelqu'un d'autre.
Comme il n'a pas de droit sur l'idée, il ne peut donc pas en
disposer.
118. n °31 p70 Les biens ZENATI-CASTAING. 3e
éd. puf.
45
B. Le simple anéantissement de la faculté
de disposer
69.- L'extracommercialité comme restriction du
droit de propriété119 - Dans un
système subjectiviste, où seule la relation d'exclusivité
fait la propriété, un propriétaire qui est privé du
pouvoir de disposer de son bien n'en reste pas moins propriétaire. En
effet, la faculté de disposer de la chose n'est qu'un attribut du droit
de propriété. Sous cet angle, la commercialité ne
désigne que l'étendue du pouvoir de disposition du
propriétaire. Cela signifie que l'extracommercialité n'est que la
neutralisation légale du pouvoir de disposer de tel type de bien.
De surcroît, une chose hors commerce n'est pas pour
autant une res nullius ou une chose commune. Une chose hors commerce
reste une chose appropriée. Le droit de jouissance reste intact,
même si le droit de disposer est anéanti.
70.- Le droit de propriété dans le
Common Law: le caractère secondaire du droit de disposer de la chose
(Property need not necessarily be susceptible of transfer in common law system)
- En droit de la common law, le fait que le bien soit susceptible
d'être transféré ne définit pas la qualité de
propriétaire. Cet élément de droit comparé va dans
le sens d'une possible appropriation de la chose contrefaite.
L'extracommercialité ne limite que l'emprise des volontés
individuelles sur la chose mais non la relation d'exclusivité entre une
personne et une chose. Même si la chose ne peut être vendue ou
-plus largement- transférée, les pays de common law reconnaissent
la propriété de la chose.
C. L'extracommercialité : technique du droit
objectif contenant les droits du propriétaire
71.- L'extracommercialité, règle de
police de l'objet contenant les droits du propriétaire- La loi
et la jurisprudence, à travers l'article 1128 du Code civil interdisent
ponctuellement de disposer de certains biens. L'extracommercialité
apparaît alors, de ce point de vue, comme une condition inhabituelle de
la chose puisqu'elle porte atteinte à un bien qui parce
qu'approprié serait normalement disponible. De façon
exceptionnelle, malgré son appropriation, ce bien n'est pas disponible
pour une raison déterminée. Ce n'est que par détermination
de la loi que ces choses sont mises hors de commerce. Leur commerce n'est
pas
119. note préc., RTD Civ 2004 REVET; Les biens
ZENATI-CASTAING. 3e éd. puf. Page 67, le commerce juridique est une
criètre de distinction des biens et non pas un critère de
distinction des choses non appropriées
46
souhaitable. La loi n'entrave que la circulation juridique.
Dans cette perspective, l'extracommercialité constitue une technique
permettant au droit objectif de contenir les droits des propriétaires
sur leurs biens quand cela se révèle nécessaire pour
préserver l'ordre social. Tel est le cas de la chose contrefaite ou de
l'investiture donnée par un parti à un candidat à une
élection politique120 ou encore, le cas des produits
périmés121. Ce dernier exemple rend bien compte de la
mobilité de la qualification de chose hors de commerce tout en
confirmant qu'une telle qualité ne tient pas à la nature de la
chose. En effet, la marchandise, avant de se périmer, constituait
assurément un bien dans le commerce et ce n'est que pour des raisons de
politique sanitaire et la sécurité des consommateurs
(l'intérêt général - l'ordre public) qu'elle a
été mise hors de commerce.
|