B. L'impossible réparation de la perte d'une chose
contrefaite
56.- L'indemnisation de la perte d'une chose
contrefaite - L'évaluation de la perte de la chose ne
correspond pas à une fonction marchande mais à une fonction
indemnitaire. En l'absence de solution sur la question, il est possible de
raisonner par analogie avec la jurisprudence n'admettant pas l'indemnisation de
la perte d'avantages obtenus de manière illicite107. On sait
que, par exemple, une victime ne peut obtenir la réparation de la perte
de ses rémunérations que si celles-ci sont licites108.
Le rapprochement des décisions laisse penser que le juge ne peut pas
accorder la force de son imperium à une demande dont l'objet
est d'obtenir la jouissance d'un avantage illicite. La perte des marchandises
contrefaites ne pourrait, dans cette perspective, donner lieu à
réparation.
C. L'engagement de la responsabilité du gardien
d'une chose contrefaite
57.- Responsabilité du gardien d'une chose
contrefaite - Le gardien d'une chose contrefaite peut-il engager sa
responsabilité? La Cour de cassation ne s'est jamais prononcée
sur la responsabilité du gardien d'une chose strictement hors du
commerce. Cependant imaginons qu'un dommage soit causé par ladite chose
et qu'il faille lui trouver un gardien. Il conviendrait de dissocier deux
hypothèses; celle en présence d'une garde de fait de celle en son
absence où il faudrait se retourner contre le propriétaire,
gardien présumé.
Si au moment du dommage une personne en maîtrisait le
comportement, il semble alors que son gardien verrait sa responsabilité
engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses
inanimées. Car la garde est un pouvoir de fait sur une chose,
indépendant de l'aptitude de celle-ci à faire l'objet d'un
pouvoir de droit tel qu'une appropriation109. Selon la
jurisprudence, seules sont soustraites à l'article 1384 al 1 les res
nullius110. Si l'on se réfère
107.opinion de Monsieur le professeur STOFFEL-MUNCK note
préc.
108. Cass.civ.2e, 24 janvier 2002, Bull. Civ II, n°5 ; D.
2002 p. 2559 note D. Mazeaud)
109. Les obligations, MALAURIE (P.), AYNES (L.) 2e
ed. p. 85 la responsabilité du fait des choses; ;DELEBECQUE (P.),
PANSIER (F.), Contrat et quasi-contrat 4e éd.,
Litec-JurisClasseur (LexisNexis) 2007 le fait d'une chose, n°254 et
suiv..
110. Mazeaud (H.) , RTD civ., 1959. 325, sous Cass. Civ. 2,
18 decembre 1958 «une res nullius ne peut pas avoir de gardien, en
raison même de sa nature, nul n'ayant sur elle un pouvoir de
commandement»
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aux solutions adoptées par la Cour de cassation en
matière de res derelictae, ou encore en matière de
produits dangereux111 le gardien d'une chose contrefaite
pourrait engager sa responsabilité112.
Si au moment du dommage, personne n'avait une maîtrise
du comportement de la chose contrefaite, il sera a priori
nécessaire de se retourner contre le propriétaire, gardien
présumé. Une partie de la doctrine considère que cette
solution serait inefficace en raison de l'incompatibilité entre
l'appropriation et l'extracommercialité113. Cependant, selon
notamment
M. le professeur REVET, une approche moderne du droit de
propriété permet d'envisager la propriété de la
chose hors commerce et donc d'une chose contrefaite. Dans cette
hypothèse où il est reconnu que la chose contrefaite peut faire
l'objet d'un droit de propriété sans pouvoir circuler, il serait
possible de se retourner contre le propriétaire gardien
présumé. Comme le remarque M. le professeur STOFFEL-MUNCK, cette
situation ne suppose pas que les avantages normalement liés à
cette propriété puissent être réclamés en
justice. Certes, la solution qui serait adoptée dans une telle situation
demeure très incertaine. Toutefois, l'extracommercialité ne met
pas la chose contrefaite à l'abri de causer un dommage en raison de sa
réalité matérielle.
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