La chose contrefaite( Télécharger le fichier original )par Nicolas Monteil Université Paris I Panthéon - Sorbonne - Master 2 Droit Patrimonial approfondi 2010 |
Conclusion §2.43.- La libre circulation des marchandises domine les échanges internationaux sous certaines limites parmi lesquelles figure nécessairement le commerce des marchandises contrefaites. Bien que l'illicite soit variable d'un État à l'autre, le principe est que la commercialisation des produits contrefaisants est illégale en droit international. Cependant des vides juridiques existent, et les contrefacteurs essaient de les exploiter au mieux. Les sentences arbitrales et les décisions des juges étatiques peuvent parfois surprendre et valident indirectement des actes juridiques ayant pour objets des marchandises illicites ou contrefaites. 32 Conclusion chapitre I44.- A l'instar, des autres choses qui composent la catégorie des choses hors du commerce, la chose contrefaite peut à titre d'exception, faire l'objet d'une convention en droit interne comme en droit international. Le contrôle de la licéité de l'objet du contrat est, semble-t-il trop souvent appréhendé à travers la question de l'extracommercialité. Une chose peut être hors du commerce tout en étant parfaitement licite. Mais tel n'est pas le cas de la chose contrefaite dont le commerce justifie l'application de sanctions pénales à ses différents intervenants. Partant de cette illicéité intrinsèque à laquelle ne sont pas forcément soumises les autres choses hors du commerce, la quasi-intégralité des conventions sur une chose contrefaisante sont annulées par le juge. A cet égard, de nombreux auteurs ont souligné que les instruments disponibles en droit positif permettaient déjà d'annuler la convention sur une chose contrefaite sans que soit besoin de faire appel à l'extracommercialité. Néanmoins, la mise en oeuvre de l'effet de l'article 1128 du Code civil par le juge a pu être appréhendée comme la traduction d'une ferme volonté de lutter contre la contrefaçon. Souvent parfaitement identique à la chose authentique, la marchandise contrefaisante n'échappe pas à tout contrat en raison, principalement, de sa réalité matérielle et économique. Contrairement aux autres choses hors du commerce, la chose contrefaite doit être acheminée, stockée, détruite ou recyclée. Dans certaines situations, elle peut être détenue valablement et parfois même être vendue. La chose contrefaite a donc semble-t-il un statut particulier au regard du droit des contrats. 33 Chapitre 2. La patrimonialité de la chose contrefaite et ses implications au regard du droit des biens 45.- Embarras du droit positif autour du concept de patrimonialité.- Le concept de patrimonialité recouvre des réalités diverses en droit positif et n'est pas exempt de conventions de langage. Il n'existe pas de textes définissant la notion de patrimonialité. On s'est interrogé sur le sens du mot en 1994 lorsque plusieurs auteurs ont tenu à souligner que le législateur n'avait pas employé, à l'article 16-1 du Code civil, l'expression de droit patrimonial dans son acceptation technique (droit réel ou droit de créance inclut dans le patrimoine) mais dans son sens vulgaire de droit monnayé92. C'est précisément dans ce dernier sens qu'il convient d'envisager dans un premier temps la patrimonialité de la chose contrefaite. Le Vocabulaire juridique de G. Cornu, définit d'ailleurs la notion précitée comme le caractère de ce qui est dans le patrimoine, comme ayant une valeur pécuniaire.
Section 1. La chose contrefaite : un bien patrimonial?
92. Ce que le législateur a voulu condamner est la vénalité du corps humain. 34 §1 Les limites juridiques de la valeur économique de la chose contrefaite A. L'absence de valeur juridiquement chiffrable d'une chose contrefaite
Toutefois, ce propos est à tempérer car on a vu avec la jurisprudence antérieure en matière de clientèle civile95 que le droit peut reconnaître de la valeur à une chose tout en la plaçant hors du commerce juridique au sens de l'article 1128 du Code civil. De cette extra-commerciliaté, dont était frappée la clientèle civile, on ne devait pas pour autant déduire son extra-patrimonialité. En effet, ces clientèles civiles étaient susceptibles de faire l'objet d'une évaluation pécuniaire pour les partages de communauté96 ou en cas de succession97. Le régime juridique façonné par la jurisprudence aboutissait donc à regarder la clientèle civile comme une valeur économique constituant l'objet d'un droit patrimonial, tout en refusant qu'elle
35 puisse faire l'objet d'une cession à titre onéreux. L'existence d'une valeur était donc conçue en dehors de l'échange. Les choses dans le commerce sont, à ce moment-là de leur existence, forcément patrimoniales, au sens où elles sont susceptibles d'évaluation pécuniaire. Néanmoins, une chose peut, de fait, avoir une telle valeur tout en étant placée, par le législateur ou par les juges, hors du commerce juridique. Une quelconque valeur attribuée à la chose contrefaite porte nécessairement atteinte aux titulaires de droits de propriété intellectuelle. L'extracommercialite de la chose contrefaite participe donc de la volonté du juge d'éviter l'attribution d'une valeur aux marchandises contrefaisantes. B. Réalité économique de la chose contrefaite 50-. La valeur illégale mais réelle de la chose contrefaite- L'extracommercialité et l'extra-patrimonialité fixent les limites de la sphère marchande d'une chose. Si la première proscrit dans son sens strict qu'une chose fasse l'objet de convention y compris à titre gratuit, la seconde interdit qu'une chose fasse l'objet d'une quelconque valeur98. Or la chose contrefaite a certainement une valeur en dehors de la sphère marchande qui est le seul espace légal de l'échange. Par exemple, certaines personnes peu scrupuleuses achètent le produit contrefait en connaissance de son caractère faux. Elles achètent sciemment une contrefaçon car elles savent qu'elles ne pourront jamais s'offrir la chose authentique. En achetant consciemment une chose contrefaite, ce type d'acheteur accorde une valeur à de fausses marchandises et se constitue demandeur d'un marché pourtant totalement prohibé. Ce marché étant illicite, la chose contrefaite n'a en ce sens aucune valeur au regard du droit mais en a au contraire dans certaines pratiques sociales répandues. La chose contrefaite est sous cet angle quelque chose d'utile et rare en ce qu'elle répond à un besoin dont elle permet la satisfaction. Les marchandises contrefaisantes ont donc au minimum une réalité économique et créent de surcroît des préjudices commerciaux considérables. Si elle n'a pas de valeur sur le marché licite, elle a un coût. 51.- L'absence de valeur pécunniaire licite- Sous cet angle la chose contrefaite se rapproche du bien extra-patrimonial comme par exemple les droits de la personnalité, qui ne pouvent jamais faire l'objet d'une évaluation pécuniaire. En refusant la patrimonialisation de certaines choses, le droit dénie simplement la possibilité qu'il leur soit attaché un prix. 98. Thèse préc., JOUARY (P.) 36 Cependant, le prix doit être distingué de l'indemnisation que recevra éventuellement le propriétaire des choses authentiques. Selon M. JOUARY, l'extra-patrimonialité ne se borne pas à suggérer qu'une chose ne puisse être mesurée à l'aune de l'étalon monétaire mais pose une limite à la sphère marchande99. Il précise qu'il est impossible de déduire du caractère extrapatrimonial d'une chose qu'elle ne peut pas être l'objet de convention ou plus généralement d'un acte juridique. C. Une restitution en valeur inenvisageable 53.- La question des restitutions - Comme il a été vu, le contrat de vente qui porte sur une marchandise contrefaisante est sanctionné par une nullité absolue. Cette nullité implique un anéantissement rétroactif de l'acte. La jurisprudence limite de plus en plus cette rétroactivité en fonction des intérêts lésés. Cependant dans l'hypothèse de l'anéantissement d'un contrat de vente, une restitution en valeur est inenvisageable100. En effet, comme il a été rappelé, les choses hors commerce n'ont pas de valeur juridiquement chiffrable. Qui plus est, les décisions rendues en matière de nullité du contrat de vente semblent avoir précisément comme ambition de dénier une quelconque valeur marchande à la chose contrefaite101. La doctrine a souligné que ces décisions devraient produire une effet prophylactique s'agissant des contrefacteurs, exposés désormais au risque de devoir restituer le prix de vente perçu, les marchandises étant quant à elles, confisquées. 54.- Refus récent de la prise en compte des marchandises contrefaisantes dans le calcul des dommages et intérêts- Cette question a trait plus précisément au droit de le propriété intellectuelle. Un auteur102 a souligné que l' article L335-7 du Code de la propriété intellectuelle103 prévoyait, dans sa rédaction antérieure à loi du 29 octobre 2007, une prise en considération de la remise des marchandises contrefaisantes à la victime dans le calcul des
37 dommages et intérêts. Ainsi l'article disposait que «...les objets contrefaisants et les recettes ayant donné lieu à confiscation seront remis à la victime ou à ses ayants droit pour les indemniser de leur préjudice». Autrement dit la valeur des objets contrefaisants confisqués venait en diminution des indemnités auxquelles avait droit la personne dont le droit de propriété intellectuelle avait été violé. Dans cette perspective, la loi reconnaissait en réalité une certaine valeur aux choses contrefaisantes et donc une dimension patrimoniale. En réalité cette règle était discutable, car ces objets contrefaisants ne présentaient pour la victime aucune valeur, le seul intérêt de leur remise étant de lui permettre de les détruire afin d'éviter qu'ils ne retournent dans le circuit commercial. C'est probablement ce qui a poussé à une abrogation de l'article dont la disposition pertinente dispose désormais à l'article L335-6 que « la juridiction peut ordonner la destruction, aux frais du condamné, ou la remise à la partie lésée des objets et choses retirés des circuits commerciaux ou confisqués, sans préjudice de tous dommages et intérêts ». En effet, la confiscation et le sort des objets contrefaits relèvent de la peine privée, voire d'une mesure conservatoire. Ainsi, en principe, la remise de la chose contrefaite n'a aucune incidence sur le calcul des dommages-intérêts en droit positif. Le législateur s'est donc prononcé récemment en faveur d'une absence de reconnaissance d'une quelconque valeur patrimoniale de la chose contrefaite. |
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