Conclusion §1.
35.- En prenant comme point de départ
la définition de l'extracommercialité établie par les
différentes études de MM. PAUL et JOUARY, il est possible de
s'interroger sur la validité des conventions qui ne réalisent pas
de mutation patrimoniale. Parmi celles-ci apparaissent des conventions
techniquement valables. Une convention peut concerner une chose illicite et
être, dans certaines situations, admise si la convention ne vise aucun
marché et ne porte pas atteinte aux titulaires des droits de
propriété intellectuelle. Bien que le risque soit techniquement
assurable dans l'assurance dommage, sa couverture par l'assureur serait
certainement prohibée pour des raisons d'ordre public. En outre, la
chose contrefaite ne semble pas non plus pouvoir faire l'objet d'un contrat de
dépôt en raison de sa nature illicite.
Ce n'est que dans certaines situations que des conventions
d'enlèvement, de transport, et de stockage et destruction, de la chose
contrefaite sont valables. La validité de ces conventions permet de
distinguer la chose contrefaite parmi les autres choses hors du commerce.
28
§2 Les actes juridiques valables en droit
international
36.- «L'illicite universel n'existe
pas»80- L'illicite est une notion variable d'un
Etat à l'autre, il n'existe pas d'illicite universel. Les marchandises
contrefaisantes ont -pour une écrasante majorité- une origine
internationale. Ces marchandises se voient appliquer les règles
juridiques des pays sur lesquels elles se trouvent. Si le droit français
assimile les marchandises contrefaisantes aux choses hors du commerce, il est
intéressant de s'interroger sur le sort des actes juridiques dont la
chose contrefaite ferait l'objet dans un contexte international.
Les contrefacteurs cherchent à exploiter les vides
juridiques et le laxisme des administrations partout où ils existent.
Par exemple, pour le transport, il est désormais bien connu que les
contrefacteurs recourent à l'acheminement indirect qui s'explique par le
souci de tromper la vigilance des autorités douanières. La
rupture de charge consiste à dissimuler l'origine du produit, en le
faisant passer par plusieurs territoires différents, avant de l'envoyer
vers sa destination finale. Les exemples permettant d'illustrer cette tactique
sont nombreux Par exemple, le 9 juillet 2002, une expédition de 2,6
tonnes de fausses montres, en provenance de Hong Kong et à destination
de l'Espagne, a été saisie à Roissy.
37.- L'extracommercialité en droit
comparé81- L'intérêt pour la notion
d'extracommercialité se trouve aussi partagé par d'autres
systèmes juridiques et par le droit international. Car la même
question juridique se présente dans quasiment tout système de
droit: toute chose peut-elle être objet de conventions légitimes?
Les droits d'origine romano-germanique s'étant directement
inspirés du Code civil reprennent la notion, en son contexte
même82. D'autres droits l'utilisent avec davantage de recul
par rapport au Code français. En revanche, les droits anglo-saxons ne
connaissent pas la notion de chose hors commerce elle-même. Ils ont
recours à une approche beaucoup plus pragmatique. Bien que le droit
anglais ne semble pas connaître la notion précitée,
certains contrats peuvent être illicites en raison de
l'illicéité de leur objet. Etant donné que le délit
est un acte illicite lui-même, a fortiori, le contrat est illicite s'il
oblige à un délit. En outre, le contrat ne doit pas être
contraire à l'ordre public.
80. n°69 préface,COURT DE FONTMICHEL (A.),
L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce
international, LGDJ, thèse Paris II.
81. thèse préc., MOINE (I.), n°91, p.69
82. Droits directement inspirés du Code
Natpoléon
A. 29
L'illicéité de la vente d'une chose
contrefaite en droit international
38.- Principe de l'illicéité de la
vente de marchandises contrefaites en droit international83-
Imaginons que la marchandise contrefaite soit légalement
commercialisée dans un pays tiers. En droit français, la vente
d'une marchandise contrefaite est dépourvue d'objet et de
surcroît, est illicite. Pour qu'un contrat soit valide, certaines
conditions relatives à son objet et à sa cause doivent être
réunies. Ces deux instruments de contrôle sont à la
disposition du juge pour s'assurer de la conformité du contrat à
l'ordre public et aux bonnes moeurs. La validité de ce contrat se
vérifie par rapport au droit applicable au contrat; la validité
du contrat sera du domaine de la lex contractus .
La technique de la prise en considération d'une
règle impérative par le juge d'un État tiers permettrait
d'interférer avec les conditions de validité d'un tel
contrat84. En effet, même si le droit applicable au contrat ne
prohibe pas la vente de marchandises contrefaites, ce droit applicable peut
considérer comme nul un contrat qui contreviendrait aux règles
impératives de l'État d'exportation. La nullité devrait
ainsi être encoure pour l'ensemble des conventions.
B. Décisions reconnaissant la validité de
la vente de choses illicites
49.- Exceptions : la validité de certains
contrats de vente de marchandises illicites importées ou
exportées- Il arrive parfois que des contrats de vente
internationaux aient un caractère illicite et soient reconnus valables
par le juge. Par exemple, le juge étatique avait considéré
au début du XX ème siècle que « l'exportation
d'une marchandise en pays étranger où sa vente est
prohibée ne constitue pas un acte de contrebande au regard de
la loi française si la circulation est permise en France
». La contrebande à l'étranger peut d'ailleurs faire
l'objet d'un pacte licite85.
En outre, pour ce qui est d'un contrat de vente de
marchandises importées ou exportées illicitement, certaines
sentences arbitrales ont fait preuve d'un grand libéralisme. Par
exemple, si la marchandise n'était pas prohibée sur le territoire
de l'État dont le droit était applicable au contrat, l'objet du
contrat ne pouvait être illicite, même si l'entrée sur le
territoire de l'État de la destination de marchandise était
prohibée. En 1966, ces arbitres ont adopté une attitude
relativement libérale vis-à-vis de la
contrebande86.
83 Thèse prec., COURT DE FONTMICHEL (A.), n°656 et
suivant p 301.
84 Pour une illustration, thèse précitée
n°391 et suiv p 209.
85. CA Aix-en Provence, 2 févr. 1926, JDI, 1926, p.918
«la contrebande à l'étranger peut faire l'objet d'un
pacte licite ». Solution validée par la Cour de cassation.
C.Cass.(Req.), 28 mars 1928, JDI, 1929, p.333
86 Thèse préc., n°150 et suiv.p. 104
30
C. La détention licite d'une chose
contrefaite
42.- La licéité de la détention
en France de produits revêtus d'une marque contrefaite-
Rappelons que pour que le délit de contrefaçon par importation
soit réalisé, il convient que la marque soit
protégée sur le territoire français87.
L'élément constitutif de la contrefaçon par importation de
l'art. L.716-988 suppose que les marchandises aient
été importées en vue d'une mise dans le commerce ou d'une
utilisation sur le territoire français89. Lorsque des
marchandises arguées de contrefaçon proviennent et sont à
destination d'un pays tiers à l'EEE (transit externe), elles n'ont
été ni importée ni détenues en vue d'une mise dans
le commerce ou d'une utilisation sur le territoire français; elles
n'entrent donc pas dans les prévisions de l'art. L.716-9 du Code la
propriété intellectuelle.
Une décision intéressante a été
rendu en matière de détention d'une chose contrefaite. En
principe le seul fait de détenir des marchandises contrefaites constitue
un délit assimilé à la contrefaçon. Peu importe
qu'il y ait eu ou non transfert de propriété. Or une solution de
la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 juillet 2007 affaire
Nutri Rich90 a retenu que «... procédait
d'un motif légitime, la détention en France de
produits revêtus d'une marque contrefaite en vue de leur
exportation vers un pays tiers où il n'est pas contesté
qu'ils sont licitement commercialisés.»
Autrement dit, la Cour de cassation juge que dans certaines
circonstances, la détention de marchandises contrefaisantes peut
être licite en France alors que la législation l'interdit et que
la chose contrefaite est hors du commerce. Les marchandises contrefaites
échappent dans cette situation à la répression. Pour
certains auteurs91, cette solution est difficile à justifier
que l'on se tourne vers le droit communautaire ou vers le droit interne.
87. Crim. 26 mars 2008, n°05-17.035.
88. L716-9 CPI: Est puni de quatre ans d'emprisonnement
et de 400 000 euros d'amende le fait pour toute personne, en vue de vendre,
fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises
présentées sous une marque contrefaite : a) D'importer,
d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises
présentées sous une marque contrefaisante ; b) De produire
industriellement des marchandises présentées sous une marque
contrefaisante ; c) De donner des instructions ou des ordres pour la commission
des actes visés aux a et b. Lorsque les délits prévus au
présent article ont été commis en bande organisée
ou lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la
santé, la sécurité de l'homme ou l'animal, les peines sont
portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 euros
d'amende.
89. Paris, 30 janv. 2009, «Pfizer»: PIBD 2009, III,
p. 926
90. Com. 10 juil. 2007 arrêt Nutri Rich,
Bull.civ. IV, n°189; D. 2007; AJ 2112, obs. Daleau; RTD com. 2005. 714,
obs. Azéma ; DURRANDE (S.) Recueil Dalloz 2009 p. 691 Droit des marques
juin 2007-septembre 2008 91.note préc., AZEMA.
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