Conclusion §2.
25.- Il a été vu que la lettre
de l'article 1128 du Code civil ainsi que la dimension pénale des
marchandises contrefaisantes participaient d'une application large de la
solution retenue en matière de vente par la Cour de cassation. Ainsi, il
ne semble pas possible, au regard du droit des sûretés, que la
chose contrefaite fasse l'objet d'un droit de rétention ou d'un gage.
Néanmoins, pour une partie de la doctrine, certains biens hors du
commerce comme la carte grise semblent pouvoir faire l'objet d'une
rétention en droit positif.
Il convient de rester prudent sur champ d'application de la
sanction de nullité absolue qui serait encoure pour une convention qui
porterait sur une chose contrefaite. En effet, l'entrée de la chose
contrefaite dans la catégorie des choses hors commerce soulève
des inconvénients sur le plan théorique. L'article 1128 du Code
civil fait l'objet d'une surexposition qui déforme l'esprit du texte.
Cette variété de chose hors commerce pourrait
cependant se révéler prospère64. On pourrait y
ranger les stupéfiants, dont la loi interdit également tant la
fabrication que la mise dans le commerce (C.,art.222-35 et s.) hors des
conditions rigoureusement réglementées; ou bien encore, dans un
autre ordre d'idée, une invention non encore breveté qui serait
contraire à l'ordre public. En un mot, toute chose dont l'existence
trahit en soi la transgression d'un interdit.
64. JCP éd. g. n°13, 24 Mars 2004, III 123 Etude
par CONSTANTIN (A.), GHESTIN (J.), LOISEAU (G.), SAUPHANOR-BROUILLAUD (N.),
SERINET (Y-M)
23
Section 2. Les exceptions : la validité de
certains contrats
26.- Les choses hors du commerce font
régulièrement l'objet de conventions- La question de la
validité de certains contrats peut valablement être posée.
En effet, l'évolution législative et jurisprudentielle à
propos des choses hors commerce semble avoir vidé la catégorie de
toute substance65. Par comparaison, le corps humain66,
les clientèles civiles, le domaine public, les
sépultures67, le droit moral de l'artiste, font
régulièrement l'objet de conventions et il devient parfois
difficile de les imaginer encore comme des choses hors du commerce. Qui plus
est, certaines conventions sur des choses hors commerce sont interdites alors
qu'on les admet indirectement à titre onéreux lorsqu'elles
portent sur des valeurs. Par exemple68, par le passé,
l'extracommercialité de la clientèle civile rendait leur cession
illicite mais laissait subsister la validité d'autres prestations
licites comme celles de faire ou de ne pas faire, organisées par le
contrat de présentation69.
27.- La chose contrefaite est bien souvent identique
à la chose authentique- Si, sur le plan juridique, le
caractère contrefaisant de la marchandise l'empêche de faire
l'objet d'une convention, il n'en demeure pas moins que la chose contrefaite a
une réalité matérielle et économique. La
marchandise contrefaisante peut faire l'objet d'un certain nombre de contrats
et notamment celui dont l'objet serait la destruction de la marchandise une
fois le caractère contrefaisant constaté. En
réalité, ce sont principalement les contrats ne réalisant
pas de transfert entre deux patrimoines privés qui peuvent
s'avérer valables en droit positif (§1). De surcroît,
«l'illicite universel n'existe pas»70. Les
marchandises contrefaisantes font le plus souvent l'objet de conventions dans
un contexte international. La convention dont l'objet serait une chose
contrefaite, qui ne serait pas valable en France, pourrait, dans certaines
circonstances, être reconnue licite par le juge ou l'arbitre
étranger (§2).
65. obs. préc., TRICOIRE (E.)
66. La loi consacre expressément la possibilité
de la cession des éléments et produits du corps humain, à
titre gratuit (C.santé publ., art. L. 1211-1)
67. Certains contrats sont interdits comme la vente tandis
que d'autres demeurent valables comme la donation. Précicésement,
s'agissant des tombeaux et sépultures l'interdit n'atteint en
réalité que les actes à titre onéreux dont ils
seraient l'objet. La Cour de cassation n'est pas hostile à ce qu'ils
soient l'objet d'actes juridiques à titre gratuit qu'il s'agisse d'une
donation ou d'un leg, pour la donation: (Cass. 1re civ., 23 oct. 1968: Bull.
Civ.I, n°245; JCP G 1969, II, 15715, note R. Lindon; Defrénois
1969, art. 29275, p.325, obs. R. Savatier)
68. En outre, les autorisations administratives à
caractère personnel des exploitants de taxis dont l'économie est
illicite sous la forme d'une cession, est licite sous les traits d'une
présentation.
69. La jurisprudence admettait un tel contrat car ce n'est
pas la clientèle elle même qui faisait le contrat, mais le droit
de présentation pour lequel est retenu une valeur patrimoniale.
70. Préface thèse de COURT DE FONTMICHEL (A.)
L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce
international, LGDJ, thèse Paris II.
24
§1 Les contrats ne réalisant pas de mutation
patrimoniale
28.- Une approche restrictive de
l'extracommercialité de la chose contrefaite-Monsieur le
Professeur STOFFEL-MUNCK71 considère que
l'extracommercialié signifie essentiellement qu'un bien ne peut pas
valablement circuler d'un patrimoine privé à un autre. Il est
possible de se demander si la nullité serait encourue pour les contrats
ne réalisant pas de mutation patrimoniale comme par exemple le
dépôt, l'entreprise, ou l'assurance de chose. Selon cette
approche, les choses contrefaites appartenant à la catégorie des
choses hors du commerce, ne sont pas complètement soustraites à
la volonté contractuelle; elles peuvent laisser place à une
certaine activité juridique. Ainsi, seront succinctement
envisagés le contrat d'assurance dommage, le contrat de
dépôt, le transport, le stockage et la destruction des
marchandises contrefaisantes.
A. Un risque techniquement assurable dans le contrat
d'assurance dommage
29.- Un risque techniquement assurable dans le
contrat d'assurance dommage- Il est légitime de se demander si
la nullité serait encourue par le contrat d'assurance portant sur une
chose contrefaite. La réponse est a priori incertaine. L'article 1128 du
Code civil s'oppose à ce que les choses hors commerce fassent l'objet de
«conventions ». Pour autant, s'agissant de l'assurance dommage,
l'objet est le risque. Aujourd'hui, la vie d'une personne peut être
assurée, de même que toute autre chose, quel que soit l'usage que
l'on peut faire de cette dernière72.
Pour autant si le contrat d'assurance n'était pas nul
sur le terrain de 1128, les articles 6 ou 1133 du Code civil pourraient venir
le sanctionner d'une nullité absolue pour contrariété
à l'ordre public ou pour cause illicite, sous réserve de la bonne
foi de l'assuré. En effet si le risque lui-même n'est jamais
contraire à l'ordre public, il en va différemment de sa
couverture, réalisée par le biais de l'obligation de couverture
dont est tenu l'assureur. Celle-ci peut avoir un objet illicite quand
l'intérêt général s'oppose à la prise en
charge du risque. Tel est le cas notamment des activités de
contrebandes73.
30.- Autrement dit, même si le risque peut être
techniquement assurable, sa couverture par l'assurance peut être
prohibée pour des raisons d'ordre public. Il s'agirait alors d'une
71. note préc., STOFFEL-MUNCK (P.), citant les
thèses préc., de MM. PAUL (F.) .,JOUARY (P.)
72. V. notamment l'arrêt validant l'assurance de
l'immeuble qui sert de maison de tolérance CA Amiens, 1er juillet 1901
Gaz.Pal. 1901.2644;Cass. Req., 4 mai 1903, Gaz. Pal. 1903. 2394). Ex pris dans
l'ouvrage de BIGOT (J.), et alii, Droit des assurances, t.3, Le contrat
d'assurance, LGDJ, 2002.
73. Cass.req.,28 mars 1928, D. 1928.287 NIBOYET;
Cass. Com., 17 oct.1972, RGAT,
1973.355.
25
inassurabilité juridique de la marchandise
contrefaisante et non d'une inassurabilité technique. La Cour de
cassation n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur la question. Toutefois,
il semble que la nullité du contrat d'assurance pour
contrariété à l'ordre public ne soit pas difficile
à constater par le juge dès lors que le caractère
contrefaisant des marchandises a été démontré.
Ainsi, même si l'assurance d'une chose contrefaisante ne semble pas
impossible, l'hypothèse où l'assurabilité des marchandises
contrefaites serait reconnue apparaît comme étant improbable.
31.- L'impossibilité d'appliquer les
règles du contrat de dépôt sur une chose contrefaite-
S'agissant du contrat de dépôt relatif à une chose
contrefaite, la jurisprudence et la majorité de la doctrine semblent
s'opposer à une telle possibilité. Le contrat de
dépôt ne peut porter que sur une chose qui se trouve dans le
commerce. Cette interdiction justifie que les règles du contrat ne
s'appliquent pas à une sécrétion contenant le germe de la
vie et destinée à la procréation d'un être
humain74. Il semble donc que le contrat de dépôt de
marchandises contrefaisantes ne soit pas admis devant le juge.
B. L'interdiction légale de transporter une chose
contrefaite
32.- L'interdiction du transport de la marchandise
contrefaite: une limite à la libre circulation des marchandises-
En principe, l'envoi peut être composé de toute
marchandise, c'est-à-dire de tout bien meuble corporel pouvant faire
l'objet d'un contrat commercial. Néanmoins, le législateur
apporte certaines limites. D'une part, la loi interdit d'importer ou
d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises
présentées sous une marque contrefaisante, sous peine d'une
sanction pénale de quatre ans d'emprisonnement et de 400 000 euros
d'amende (cf. article L716-9 du Code de la propriété
intellectuelle). D'autre part, certaines choses ne peuvent faire l'objet d'un
contrat de transport parce qu'elles sont placées hors du commerce par le
législateur comme par exemple l'absinthe75. La chose
contrefaite ne pourrait pas a priori faire l'objet d'un contrat de
transport qui ne soit pas déclaré nul par le juge.
Toutefois, une fois que les produits contrefaisants ont
été reconnus faux, les conventions qui organisent le transport
des marchandises contrefaisantes vers un centre de recyclage ou de destruction
sont, semble-t-il, valables.
74. TGI Créteil, 1er août 1984 JCP 1984. II.
20371, note S. Corone; v. cep. Cass. 2e civ. 17 juillet. 1991. Bull. civ. II,
n°233, RTD civ. 1992. 412, obs. P.-Y. Gautier, pour le dépot de
cadavre
75. Loi du 16 mars 1915 JO 17 Mars 1915, relative à
l'interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail,
ainsi que la circulation de l'absinthe et des liqueurs similaires.
33.-
26
Validité de l'enlèvement de marchandises
contrefaisantes?- Monsieur le Professeur BRUN76 estime que
l'extracommercialite de la marchandise contrefaisante ne s'oppose pas à
ce que la chose contrefaite fasse l'objet d'un enlèvement. Celui-ci se
définit comme l'opération matérielle par laquelle le
destinataire retire les marchandises transportées dont la livraison a
été acceptée77. Ainsi, imaginons que le
caractère contrefaisant des marchandises ait été
constaté. Celles-ci pourraient être confisquées et
expédiées en vue de leur destruction soit à un
établissement spécialisé, soit à l'auteur du droit
violé. Dans cette hypothèse la convention qui aurait pour objet
l'enlèvement de marchandises contrefaites serait valable.
C. Les contrats de stockage et de destruction d'une
chose contrefaite
34.- Validité des conventions organisant le
stockage et la destruction de marchandises contrefaisantes- Des
marchandises contrefaisantes sont découvertes massivement chaque
année. Le stockage et la destruction des produits contrefaisants sont
devenus de grands sujets de préoccupation dans bon nombre de pays. Face
à l'ampleur du phénomène, des structures commerciales
privées visant notamment au recyclage des produits contrefaisants ont vu
le jour. Au niveau européen, la SNB-REACT 78, dont
l'infrastructure de recyclage est située au Pays-Bas, est notamment
spécialisée dans le stockage, le transport et la destruction des
marchandises contrefaites79. Cette société fournit
toute l'aide nécessaire pour saisir, détenir et détruire
les marchandises contrefaisantes. Ainsi, cette société
privée gère des entrepôts et des conteneurs vers lesquels
les produits contrefaisants sont expédiés dès qu'ils ont
été identifiés comme des faux. Les installations de
l'organisation sont placées sous la surveillance des douanes et la
destruction des produits est organisée et prise en charge
financièrement par la société privée. Ainsi, les
marchandises contrefaisantes peuvent donner lieu à une convention. En
échange d'une contrepartie financière des sociétés
membres titulaires des droits de propriété intellectuelle, la
SNB-REACT, s'oblige à stocker et détruire les produits
contrefaisants. L'acheminement, parfois long, des marchandises
déclarées contrefaisantes fait également l'objet d'un
contrat de transport valable.
76. BRUN (P.), Illicéité de la vente de choses
contrefaites Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2, P. 337.
77. Def. Vocabulaire juridique Cornu, (G.) 7eme éd.
p.352
78. SNB-REACT est un groupement à but non lucratif qui
rassemble quelque 160 sociétés détenant des marques de
renommée mondiale. Cette organisation privée est financée
par les sociétés qui en sont membres.
79. Le stokage et la destruction de produits
contrefaisants, par M. BROHM Ronald, Amsterdam (Pays-Bas) ; Organisation
Mondiale de la propriété intellectuelle ; COMITÉ
CONSULTATIF SUR l'APPLICATION DES DROITS Cinquième session
Genève, 2 - 4 novembre 2009
27
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