B. Une chose irréductiblement liée à
l'objet d'une infraction
21.- La consubstantialité de l'infraction et de
la chose contrefaite55- L'un des principaux arguments au
soutien de l'exclusion totale de la chose contrefaisante du domaine du contrat
est le fait que la chose contrefaite est irréductiblement liée
à l'objet d'une infraction. Il est possible de dire que l'infraction et
la chose contrefaite sont consubstantielles. Une convention ne peut en aucun
cas porter sur ce qui peut être l'instrument d'un délit
pénal ou de la violation d'un droit. La contrefaçon s'entend de
la fabrication mais également de la mise dans le commerce d'une chose
couverte par un monopole d'exploitation. Il est certain que
53.V. notamment PLA, 12 févier 2009 n°31, p. 69 obs.
LOISEAU (G.).
54. Civ 1 re 2 mars 1999: Rev.jur. Personnes & Famille juin
1999,p. 26, obs. J. Casey
55. BRUN (P.), Illicéité de la vente de choses
contrefaites Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2, P. 337
20
cette dernière ne peut entrer qu'illicitement dans les
circuits de l'échange. En effet l'extracommercialité de la
marchandise contrefaisante présente une particularité, qui est
celle d'être dictée par l'illicéité de la chose
elle-même. L'illicéité est inhérente à la
méconnaissance d'un interdit; elle atteint le bien dans son existence
même. En d'autres termes, la chose contrefaite est différente des
autres choses qui sont classiquement soustraites à la circulation
juridique puisque celles-ci le sont de manière générale
sans être elles-mêmes intrinsèquement illicites. Dans
l'hypothèse précitée, l'illicéité de la
chose contrefaite contamine n'importe quel contrat dont elle serait l'objet.
C. L'impossibilité d'une rétention
étendue à l'ensemble des sûretés
22- L'impossibilité de faire l'objet d'une
rétention- Selon l'arrêt rendu par la Cour de cassation
le 26 octobre 199956, le caractère illicite des marchandises
contrefaites qui interdit leur commercialisation, empêche l'exercice du
droit de rétention d'un commissionnaire. Autrement dit, la Haute
juridiction pose une exception au principe retenu dans l'arrêt du 7
janvier 1992 selon lequel le droit de rétention constitue un droit
réel opposable à tous. Comme le relève l'arrêt du 26
octobre 1999, la difficulté a trait à la chose objet de la
rétention et non pas à l'opposabilité du droit de
rétention. Les choses objet de la rétention doivent a priori
se trouver dans le commerce juridique. Ainsi, la Cour de cassation avait
déjà posé les limites liées à l'ordre public
ou à l'illicéité de l'objet57. Le recours
à la catégorie des choses hors commerce semblait
déjà excessif pour une partie de la doctrine58. En
effet, la solution de la Cour de cassation pouvait se fonder seulement sur les
actes de contrefaçon: la constitution d'une sûreté sur des
objets contrefaits et surtout la réalisation de cette
sûreté, constituaient en elles-mêmes des actes de
contrefaçon.
23.- Des documents administratifs hors du commerce
objets de rétention- La position de la Haute juridiction dans
l'arrêt du 26 octobre 1999 est discutable. Certes, la Cour
56. JCP 2000, I, 209, n°14, obs. Ph. DELEBECQUE; En
l'espèce, un commissionaire de transports détenait des
marchandises qu'il entendait retenir pour garantir le paiment du prix du
transport et des avances de frais de douane effectués pour le compte de
son commettant. La situation se compliquait car la société Rochas
avait mis fin au contrat de marque la liant à la société
Marckley et elle avait obtenu la saisie-contrefaçon d'objets
fabriqués sous sa marque. Parmi ceux ci figuraient ceux détenus
par le commissionnaire. La Cour de Paris a rejeté les demandes de ce
dernier en nullité de la saisie-contrefaçon et en reconnaissance
de son droit de rétention. Le pourvoi est également rejeté
par la Haute juridicition au motif que le commissionnaire ne pouvait pas
invoquer son droit de rétention sur des marchandises contrefaites
puisque leur caractère illicite interdit leur commercialisation.
57. En ce sens, D. 2000 p. 388 PIEDELIEVRE (S.).
58. En ce sens, POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284
arrêt 24 septembre 2003;
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de cassation n'admet pas le droit de rétention sur
n'importe quel bien59, mais elle autorise cependant le
créancier d'un automobiliste à retenir la carte grise de son
débiteur, jusqu'au paiement de sa créance alors que celle-ci est
soustraite du commerce.
De surcroît, la rétention d'une carte
d'identité ou d'un passeport ne semblent pas exclus. Qu'il s'agisse de
documents personnels ou administratifs, la chose retenue est, soit de fait,
soit de par la loi, hors du commerce des actes juridiques.
En réalité le caractère cessible de la
chose retenue n'est pas une condition du droit de rétention, et la
motivation de la Cour de cassation dans l'arrêt du 26 octobre 1999 peut
être discutée. Ainsi selon certains auteurs, le caractère
commercialisable de la chose retenue importe peu60. Le droit de
rétention qui découle d'une situation de fait doit pouvoir porter
sur des choses hors du commerce mais ce n'est pas la solution que retient le
droit positif.
24.- Une solution applicable aux sûretés
réelles - La chose contrefaite peut-elle faire l'objet d'un
gage? La réponse semble a priori négative selon
plusieurs auteurs61. En effet, selon la majorité de la
doctrine, tout bien mobilier corporel, pourvu qu'il soit dans le commerce et
qu'il ne soit pas frappé d'inaliénabilité (notamment dans
le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire) peut être
donné en gage, qu'il soit un corps certain ou une chose fongible, voire
consomptible. Le gage peut porter sur toute espèce de
meuble, à la condition qu'il soit dans le commerce, faute de quoi il ne
pourrait être réalisé. Mais le gage pourrait être
constitué sur un meuble temporairement
inaliénable62.
Certes, la comparaison avec le gage n'est pas évidente
car le droit de rétention n'est pas une sûreté pour une
partie de la doctrine et n'est même pas un droit
réel63. Cependant, celui-ci joue le rôle d'une
sûreté. Or, l'impossibilité que la chose contrefaite fasse
l'objet d'un droit de rétention valable tient au caractère
illicite de la chose objet de la rétention. Par conséquent, cette
solution semble devoir être étendue à l'ensemble des
sûretés réelles.
59. D.2000 p. 365 MAROTTE (J.) Quelques précisions
quant aux biens susceptibles de rétention
60. note préc., D.2000 p. 365 MAROTTE (J.)
Quelques précisions quant aux biens susceptibles de rétention
61.MOULY (C.), CABRILLAC (S.) , PETEL (Ph.) Droit des
sûretés Litec 8e éd., .Page 501 dans l'objet du
gage:
62. AYNES (L.) , CROCQ (P.) Les sûretés, la
publicité foncière 4e éd., Defrénois page
226.(Com 30 septembre 2008, n°07-12768, RTD civ.2008, 701 obs Crocq; I
Riassetto, «Constitution d'une sûreté portant sur un bien
indisponible» RLDC juin 2009, 3461: «Mais attendu...que
l'indisponibilité d'une valeur mobilière, quand elle est
simplement temporaire, ne fait pas obstacle à son affectation en
nantissement»
63. CABRILLAC (M.), notamment.
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