Conclusion §1.
18.- La sanction du contrat de vente sur une
chose contrefaite est clairement établie par le juge. Il s'agit d'une
nullité absolue qui trouve son fondement dans l'illicéité
de l'objet du contrat de vente appréhendée à travers
l'extracommercialité de la chose contrefaite. En effet, l'objet du
contrat de vente d'une chose contrefaite est illicite car au-delà
même de l'atteinte qu'elle porte au droit de la propriété
intellectuelle, la contrefaçon est un délit pénal. Or, un
contrat portant sur l'instrument d'un délit pénal constitue une
atteinte à l'ordre public. Le juge trouve dans le droit commun des
contrats, une sanction efficace et redoutable pour lutter contre le commerce de
produits contrefaisants, et ce, en marge du droit de la propriété
intellectuelle.
Le droit positif est cependant plus incertain s'agissant de la
validité des autres contrats portant sur des marchandises
contrefaisantes.
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§2. La nullité de l'ensemble des actes
juridiques
19.- Incertitude sur la sanction des autres
opérations juridiques - La Cour de cassation a rendu sa
décision en matière de vente au visa de l'article 1128 du Code
civil. Faut-il déduire du visa de cet article que la nullité est
encourue pour l'ensemble des conventions? L'étendue de solution est
incertaine étant donné que la Cour de cassation n'a pas
qualifié expressément la chose contrefaite de chose hors du
commerce et qu'il y a peu de décisions sur les autres
variétés de conventions. Toutefois, il semblerait que la
nullité soit encoure au moins par principe, pour l'ensemble des
opérations juridiques relatives à une chose contrefaite.
Cette position peut s'appuyer essentiellement sur trois
points: la lecture de la lettre de l'article 1128 du Code civil, la
consubstantialité de l'infraction et de la chose contrefaite, et la
jurisprudence de la Cour de cassation en matière de droit des
sûretés.
A. Portée générale et surexposition de
l'article 1128 du Code civil
20. - La lettre de l'article 1128 du Code civil -
La portée générale de l'article 1128 du Code
civil s'oppose à ce que la chose contrefaite fasse l'objet de la moindre
convention. La majorité de la doctrine50 étend la
solution de la Chambre commerciale en matière de vente à tout
type de contrat, en vertu du visa de l'article 1128 du Code civil. En effet,
selon Monsieur le Professeur Caron, l'article 1598 du Code civil visé en
matière de vente ne limite pas la portée de l'arrêt.
Effectivement, la mise hors du commerce juridique signifie qu'aucun acte
juridique ne peut avoir pour objet un produit contrefaisant. La solution serait
alors identique en cas de contrat de location ou de prêt qui auraient un
tel objet illicite51. En d'autres termes, au-delà de la vente
la solution doit, semble-t-il, être étendue à toute cession
à titre gratuit ou onéreux, tels que le don, la licence ou la
location, le dépôt, le prêt. Pour les auteurs
précités, les choses contrefaites seraient alors
complètement en dehors du domaine de la volonté
contractuelle52.
.
Cependant, il convient de tempérer la position qui
consisterait à exclure systématiquement la chose contrefaite de
tout acte juridique en vertu de la portée générale de
l'article 1128 du Code civil. En effet, comme le souligne Monsieur le
Professeur LOISEAU, la jurisprudence semble faire une application excessive de
cette disposition
50. RTD Civ. 2003 p. 703 note Jacques MESTRE
51. En ce sens, CARON (C.), Les marchandises contrefaites
sont hors du commerce., D 2003 p. 2683., GALLOUX (J-C.), Action en
contrefaçon: questions de procédure, RTD Com. 2004 p.304
52 .note.prec. E. TRICOIRE
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21.- Tempérament à
l'extracommercialité de la chose contrefaite: la surexposition de
l'article 1128 du Code civil - Le contrôle de la
licéité de l'objet est imparfait en droit positif53.
Il s'appuie en effet sur une unique disposition, l'article 1128 du Code civil.
Certes, il est possible de s'appuyer sur l'article 6 du Code civil qui prescrit
de ne pas déroger par des conventions particulières aux lois qui
intéressent l'ordre public et aux bonnes moeurs. Mais cette disposition
est générale et n'intéresse pas particulièrement le
contrôle de l'objet. Pour cette raison, on a pris l'habitude de faire de
la seule disposition de l'article 1128 du Code civil une sorte de
référence pour tout ce qui se rapporte à la
licéité de l'objet. Cette représentation de
l'illicéité à travers l'extracommercialité de la
chose n'est pas étrangère à certaines surexpositions de
l'article 1128 du Code civil. Ainsi, si la vente de marchandises contrefaites
est considérée par la Cour de cassation comme étant
illicite: un tel contrat n'est cependant pas prohibé par la loi, c'est
la contrefaçon qui l'est. Il ne peut être considéré
comme étant contraire à l'ordre public que parce que son objet
est illicite. La démarche est donc ascendante, on part de l'analyse de
la commercialité de la chose, pour en déduire la
licéité de l'obligation, laquelle contamine à son tour le
contrat.
Dans cette volonté de stigmatiser l'illicite, la notion
de chose hors du commerce n'est pas toujours utilisée avec exactitude
comme le montre la jurisprudence sur le sort du droit à
sépulture. Si le droit à la sépulture est hors du
commerce, aucune disposition légale n'interdit au
bénéficiaire de ce droit de le transmettre à d'autres
membres de la famille54. Pour certains auteurs, cette formule est
topique de l'altération de la notion d'extracommercialité. En
effet, il est contradictoire de proclamer le caractère hors du commerce
du droit à la sépulture tout en reconnaissant qu'il peut
néanmoins faire l'objet d'une transmission.
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